
$2 D É M
On prenoit à Rome les juges dans l'ordre des
fénateurs. Les gracques tranfportèrent cette prérogative
aux chevaliers. Drufus la donna aux fénateurs
& aux chevaliers s Sylla aux fénateurs [euls ;
Cotta aux fénateurs, aux chevaliers & aux tré-
foriers de l'épargne s Céfar exclut ces derniers ;
Antoine fit des décuries, de fénateurs, de che- ;
valiers & de centurions.
Quand une république eft- corrompue , on ne
peut remédier à aucun des maux qui naiffent,
qu'en ôtant la corruption & en rappellant.les principes
: toute autre correction eft ou inutile, ou
un nouveau mal. Pendant que Rome conferva fqs
principes, les iugemens purent être fans abus entre
les mains des fénateurs s mais quand elle fut
corrompue , à quelque corps que- ce fût qu’ on
tranfportât les jugemens, aux fériateurs, aux che-,
valiers , aux trésoriers de l'épargné, à deux de ■
ces corps, à tous les trois enfemble, à quelqu autre
corps que ce fû t , on étoit toujours mal. Les
chevaliers n'avoient pas plus de vertu que les fénateurs
, les tréforiers de .l'épargne-pas plus que
les chevaliers, & ceuxrci auffi peu qué les centurions.
Lorfque le peuple de Rome eut-obtenu qu’il
aurait part aux magiftratures patriciennes, il étoit
naturel de penfer que fes flatteurs alloient être les
arbitres du gouvernement: N o n , l'on vit ce peuple
, qui rendoit les magiftratures communes, ^üx
plébéiens, élire toujours des praticiens. Parce qu’il
étoit ^vertueux, il étoit magnanime ; parce qu'il
étoit libre, il dédaignoit le pouvoir. Mais ferf-
qu'il eut perdu fes principes, plus il eut de pouv
o ir , moins il eut de ménagémens ; jufqu’a: -ce
qu’enfin, devenu fon propre tyran & fon propre
efclave, il perdit la force dé la liberté pour tomber
dans la foiblefîe de la. licence..
S E C T I O N I I I ' .
Des chofes qui conviennent, & de celles qui'ne
conviennent pas à la démocratie.
En indiquant les chofes qui conviennent & celles
qui ne conviennent pas à la démocratie, nous ne
parlons pas d'une convenance ou d’une difconve-
nance abfolue qui maintienne néceflfairement, ou
qui détruife la république. Il faut appliquer la
même remarque à ce que nous avons dit dans les
deux premières feélions. Les républiques des petits
cantons de la Suiffe fe pafïent de toutes ces
combinaifons étudiées qu'on a vues dans les démocraties
de l'antiquité. On n'y trouve point de
fénats, ou du moins ces corps y font peii nombreux
: les citoyens n’y font pas divifés par çlafTes ;
D É M
ils font tous égaux , & le refpeéfc pour les vieillards
que lés légiflateurs des gouvernemens républicains
fe font efforcé d'établir y eft prefque nul, lqrfqu'il
s'agit de l'adminiftration des affaires publiques. 11 |
feroit aifé d'y montrer d'autres différences i mais
il fuffit d'avoir mis le leéteur fur la voie , & nous !
bornerons là, cette observation préliminaire.
Les peuples des ifles font plus portés à la liberté
que les peuples du c o n t in e n t& la démocratie
leur convient davantage. Les ifles font ordinairement
d'une petite étendue , ( i ) i une partie du peuple
ne peut être fi bien employée à opprimer l'autre
; la mer les fépare des grands empires , & la
tyrannie ne peut- s'y !£rêtér la mairî j les conqué*
rans fpnt .arrêtés par la,mer 5 les infulaires ne.font
pas enveloppés’ dàns îa :cofiquête, & ils confer-
vent plus aifémdnt leurs loixi 1
• y convient à une république de n'avoir qü'un
petit territoire '3 fans cera elle fie peut guère füb-
îifter; Dans urié“ grande- républiquê 3 il y a. de
grandes fortunes 3 & par conféquent peu de modération
dans les efprits j il- yi a^d.e trop grands
dépôts à mettre entre les mains d'un citoyen j les
intérêts fe particularifent j un homme fent d'abord
qu'il peut etre bèureux, grand 3 glorieux dans fa
patrie , & bientôt qu'il peut être feul grand fur
les ruines de fa patrie.
Dans une grande république, le bien commun
eft facrifié à mille eqnfidérations j il eft fubor-
donné à d e s exceptions ,j il dépend des accidens.
Da.ns une petite, ;le bien public eft mieux fen ti,
mieux tônhu , "plus près degchaque' citoyen ; les
abus ÿ, font moins étendus , & par conféquent
moins .protégés.'
C e qui fit fubfîfter fi long-temps Lacédémone,
c ’eft qü'après toutes fes guerres, elle refta toujours
avec fon: territoire 'borné. Le feul but de
Lacédémone étoit1 ! la liberté j le feul avantage de
fa liberté c'étoit la gloire.
Saris des circonftaricès “particulières (2) , Jil eft
difficile que tout autre'gouvernement que lè .républicain
puiffe fubfîfter dans une feule ville. Un
prince d'un fi petit état cherchèrbit naturellement
à opprimer, parce flu'il auroit une grande puif-
fance 3 '8c peu de moyens''pour-en jouir ou pour
la faire réfpeéter : il fouleroit donc beaucoup fon
peuple. D'un autre, côté 3 ün tèl prince feroit ai-
fément opprimé par une forcé étrangère , ôü même
par une force domeftique j le peuple,1 pourrôit
à tous les inftans s'affembler & fe féüriir coritrè
lui. O r , quand un prince d'une ville eft cfiaffé de
fa ville, le procès eft fini 5 s'il a plufieurs villes,
le procès n'eft. que commencé.
Il .eft contre là nature de la chofe que, dans
une conftitution fédérative , un état confédéré
(1) Le Japon déroge à ceci , par fa grandeur & par fa fervitude./’ . » ; 31
(2.' Comme quand un petit fouverain fe maintient entre deux grands: état* par leur jaloufie mutuelle J -mais
& p’exifte que précairement,
D É M D É M 53
[conquière fur l’ autre .comme nous avons vu Ae
Inos jours chez les fuiffes ( i l . Dans les repubh-
I ques fédératives mixtes, ou l aflociation eft entre
| de petites républiques & de petites monarchies ,
Icela choque moins. ,
| Au refte, en difant que telle chofe eft contre la
Inature de la démocratie, nous ne voulons pas dire
I que cette chofe détruirait la démocratie : on fut
que des circonftatices particulières arrêtent 1 effet
(d e la combinaifon la plus deftruâive; & ce qu on
(vient de dire des conquêtes dé 1 un des états du
1 corps helvétique, en, eft un exemple. .
i II eft encore contre la nature de là chofe, qu une
irépublique démocratique coMuiere des villes qui
In e fauroient entrer dans la fphere de la démocratie.
I IL faut que le peuple-conquis puiffe jouir des pri-
Ivilèges de la fouveraîneté, comme lés romains 1 e-,.
établirent au commencement. On doit borner la
»conquête au nombre des citoyens que 1 on fixera,
»pour la démocratie. . . .
I 5i une démocratie conquiert un peuple pour le
gouverner comme fujet , elle expofera fa propre
«liberté parce qu'elle confiera une trop grande
puiffance aux magiftratsquelle enverra dansl'etat
.'5conquis. % Æ ,
( ' Dans quel danger n eut pas ete la république
de Carthage, fi Annibàl avoit pris Rome? Que
n'eût-il pas fait dans fa ville après la v ifto ire ,
lui qui y caufa tant de révolutions après fa de-
| fa i t e (2 ) ? . . . « fr
Hannon n auroit jamais pu perfuader au lenat
de ne point envoyer de fecours- à Annibal, ^s'il
n'avoit fait parler que fa jaloufie. C e fenat qu A-
riftote nous dit avoir été fi fage,; (chofe que la*
Iprofpérité de cette république nous prouve fi bien)t
in e pouvoit être' détermine que par - des raifons»
|fenfees. Il auroit fallu être trop ftupide, pour ne
pas voir qu'une armée à trois cents lieues de^. là
i faifoit des pertes - néceffaires , ^ qui: dévoient être
«réparées. y i . ;i I Le parti d'Hannon vouloit qu’on livrât An-
■ nibal aux romains ( i ). On ne pouvoit pour
nibal.
On ne pouvoit croire, dit-on, lé fuccès d’An-
.•nibal : mais comment en douter ? Les carthaginois
, répandus par toute la terre, ignoroient-ils
ce qui fe paffoit en Italie ? G'eft parce qu'ils ne
l'ignoroient pas , qu'on ne vouloit pas envoyer de
! fecours à Annibal.
Hafinon devient plus ferme après Trebies, après;
Trafîmènes, après Cannes : ce n'eft point fon incrédulité
qui augmente , c'eft fa crainte.
Lés conquêtes faites par les démocraties ont un
autre inconvénient. Leur gouvernement eft toujours
odieux aux états affujettis. Il eft monarchique
par la fiélion jamais, dans la vérité , il eft
plus dur que le monarchique , comme l'expérience
de tous les^temps & de tous les pays l'a
fait voir.
Les peuples conquis y font dans ùn état trille ,
ils rie jouifîent ni des avantages de la république ,
ni de ceux de la monarchie.
C e qu'on vient de dire de l'état populaire, fe
peut appliquer à l'ariftocratie.
Airiu, quand une république tient quelque peuple
fous fa dépendance , il faut qu'elle cherche à
réparer les inconvéniens qui naiffent de la nature
de la chofe, en lui donnant un bon droit politique
& de bonnes loix civiles.
Une république d’Italie tenoitdes infulaires fous
fon obéifiance j mais fon droit politique & civil à
leur égard étoit vicieux. On fe fouvient de cet adle
d'amriiftie (4) , qui porte qu'on ne les condamne-
roit plus à des peines affiiélives, fur la çonfcience
informée du gouverneur. On a vu fouvent des
peuples demander des privilèges : ici le fouverain
I accordé le droit de toutes les nations.
Il- eft dangereux, dans les républiques > de trop
: punir le crime de léfe-màjefté. Quand une république
eft parvenue à détruire ceux qui vouloient
la renverfer, il faut fe hâter de mettre fin aux
; vengeances , aux peines & aux récompenfes mêmes.
; ., On. rie peut faire de grandes punitions, & par
: côriféqûent de grands changemens , -fans, mettre
dans les -mains.de quelques,citoyens un grand pouvoir:
Il vaut donc mieux, dans ce c a s , pardon-
I n.er beaucoup que punir.pêaucoup ; exiler* peu ,
qu'exiler beaucoup j laiffer les biens, que multiplier
les confiscations. Sous,, prétexte de la vengeance
de la république, on. étahliroit la tyrannie
des vengeurs. II. n'eft pas queftion de détruire
celui qui domine , mais la domination. Il faut rentrer
, j e plutôt que l ’on .peut, dans -ce, train, ordinaire
du, gouvernement3 ou les loi protègent tout»'
& ne' s'arment contre, pérfonne.
Lés grecs ne mirent poirît de bornes aux vengeances
qu'ils prirent des tyrans, ou de ceux qu'ils foup^
çonrièrent de l'être. Ils firent mourir les enfans (5) 3
quelquefois cinq des; plus proches parens ( 6 ) .
(1) Pour lé Tockembourg.
: (1) Il étoit à la tête d’uné feèlîôri. j r ■
| (3) Hannon vouloit livrer Annibal aux romains, comme Caton vouloit qu’on livrât Céfâr aux gaulois.
$4) Du 18 oêlobre 1738 , imprimé à Gênes v chez Frahcelli. Vetiamô al nojlro general-governatore, in dettes.
\ifola , dï condanare ïn.avenue folamefCte ex informatâ confcientiâ perfona alcuna nationale in ptna affiitttva r
•potrâ ben fi fore arrejiare ed incarcerare le perfone che gli faretnho fofpette ; falvo dï renderne poi à noi folle-
thtamente.art^ 6 . Voye^ l’article C o r s e .
[ is) Denÿs d’Halicarnafl'e , Antiquités romaines, Iiv. VIII. 0 } Tyranno occifo , quïnque ejus propipws cogxiatioae, mdgijftràtus .necato. Cicéron, de inventtxme , fié. II*