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les haies pour faire donner les oifeaux dans le fi-*
let. Le peuple volt la ftérilité -, il craint auffi-tôt
la difette , parce qu'il eft accoutumé à fe croire
feul & fans appui. Qu'on lui apprenne qu'il fait
caufe commune avec des affocies riches > qu'on,
ranime fon courage abattu 3 on le préfervera de
l'effroi que le tumulte rend toujours dangereux ;
on tirera les adminiftrateurs d’inquiétude 3 & l'on
empêchera la fociété d'être la dupe & la viéfcime
des prétendus approvifionneurs. Voyez l'article
G r a in s .
( Cet article efi de M. G r i v e l .)
DISPENSE. Voyez le Dictionnaire de Jurif- ,
prudence.
D IS SO LU T IO N DES É T A T S . Les états /
dont la conftitution change entièrement 3 & qui
deviennent la , proie des nations voifines 3 des
conquérans oiï des tyrans 3 perdent leur première
forme 3 & ' c'eft ce qu'on nomme leur dijfolution.
'
La nature, par une marche confiante, mène
tout ce qui exilte à la deftruCtion 5 les êtres phy-
fiques & les êtres moraux font plus ou moins tard
les victimes de cette inévitable loi. Les fociétés
humaines, leurs goüvernemens 3 leurs inllitutions 3
leurs opinions , leurs demeures mêmes s’altèrent
*& difparoiffent quelquefois. Les hommes, ces
êtres mobiles 3 font dans une aCtion & . dans une
réaction perpétuelles } le citoyen agit contre le cL
toyen j les différens corps d'un état luttent 3 pref-
que fans interruption 3 les uns contre les autres.
Les fouverains & les fujets font dans un combat
cçntinuel 5 les nations font des efforts conftans
contre les nations j les pallions communes aux fociétés
comme aux individus , font les forces motrices
qui font naître les mouvemens divers dans
le monde moral 5 & de cette collufion perpétuelle 3
réfulte à la fin la dijfolution des corps politiques.
. Les états 3 ainfi que les corps humains, portent
en eux les germes de leur deftruCtion : comme
eux, ils jouiffent d'une force plus ou moins durable
> comme eux , ils font füjets à des crifes
qui les enlevent brufquement, ou à des maladies
chroniques qui les minent peu-à-peu, en attaquant
les principes de la vie. Ainfi les fociétés, comme
les malades 3 éprouvent des tranfports, des délires
3 des révolutions : un embonpoint trompeur
couvre fouvent leurs maladies internes > la mort
elle-même fuit de près la fanté la plus robufle.
La nature toujours agiffante produit quelquefois
tout-à^coup des hommes qui guériffent un
état 3 & le font, pour ainfi dire, renaître -, mais
elle produit plus fouvent des êtres deftruCteurs ,
qui , en un moment, le précipitent dans l'abîme.
Un état fe diffout, dès que les vices accumulés
de fon gouvernement le privent de la fureté,
de la force & des moeurs neceffaires au maintien |
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de l'enfemble. Un corps politique eft menacé de
dijfolution, Iorfque fes fouverains négligent d'entretenir
en lui l'efprit qui doit l'animer relativement
à fes befoins, Iorfque, oubliant de tenir l'équilibre
entre fes forces, ils permettent qu'une
branche de 4'adminiftration abforbe toutes les autres
-, Iorfque, par quelque vice interne, une nation
ceffe de jouir de la puiffance, du rang, de
la confidération qu'elle devroit avoir parmi les
autres, d'après les avantages que la nature lui a
donnés : ces avantages font déterminés par le nombre
de fes habitans, par leur induftrie & leurs
talens , par leurs richeffes & leurs reffources, par
la bonté de leur fol, par fon étendue & fa po-
fition. Un état eft menacé de dijfolution, iorfque
les principes de fon gouvernement font corrompus
5 Iorfque -les loix font mauvaifes & fans vigueur
; Iorfque l'autorité eft méprifée -, Iorfque
l'anarchie s'empare de tous les ordres de l'état 5
Iorfque les.citoyens s'ifolent- & fe détachent de
la patrie 3 Iorfque des guerres civiles les armènt
les uns contre les autres > & un état eft diffous
Iorfque la violence change la forme de fon gouvernement
5 lorfqu'une force étrangère vient le
démembrer , le détruire & lui ravir fon indépendance
-, enfin une nation éft dans un état de dijfolution
& de ruine, quand lés refforts du gouvernement
font ufés, & quand le luxe plonge tous
les efprits dans l'apathie pour tout ce qui eft utile,
dans l'indifférence pour le bien public,, dans le
mépris pour la vertu : l'état n'a plus alors de cir
toyens > il fe remplit d'êtres vicieux, détachés de
leur patrie, qui ne font animés, que d'une paflion
défordonnée pour les richeffes, les plaifirs , les
frivolités. .
Chute des anciens empires. Que font devenus ces
peuples fameux, dont nous lifons avec étonnement
les. annales ? Quel fort ont eu les inftitutions
fi fages du laborieux égyptien , les richeffes &
les forces fi vantées de l’affyrien , du perfe & du
mède, les conquêtes du macédonien, le commerce
étendu du tyrien & du carthaginois ? Enfin que refi
te-t-il de ce peuple vainqueur de tous les autres
peuples, qui finit par engloutir tous les empires d»
monde, & dont les citoyens commandoient à tant
de rois ? Leurs goüvernemens ont été renverfés,
leurs inftitutions abolies, leurs demeures & leurs
dépouilles partagées entre des barbares : de toute
leur grandeur, on ne voit plus que des monumens informes
, dont les ruines impofantes nous impriment
encore une vénération ftérile pour une puiffance
qui a difparu.
Les loix & les noms mêmes des Solon, des Lycurgue
, des Numa ne font plus connus des barbares
qui occupent aujourd'hui l'ancienne patrie
de la liberté & de la gloire 1 Les inftitutions les
plus fages n'ont pu garantir les peuples dfe: leurs
propres, folies , de la fureur des faCtions , des
guerres, du fanatifme des conquêtes , du poifon
<au luxe, plus deftruCteur encore que tous les au-
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très fléaux. Que le paffé foit pour nous un miroir
fidele de l'avenir ; il nous apprendra que les
jpations les plus puiffantes & les plus belliqueuses
, que les goüvernemens les plus fages,- que les
établiffemens qui fembloient devoir braver letems
& l'inconftance des hommes, ont ete tôt ou tard
forcés de fuivre la loi d'une nature , qui,veut que
tout finiffe.
Mais, dira-t-on peut-être, fi toutes les nations
font forcées de fubir leur deftinée > fi , victimes
des loix du fort & des révolutions du globe ,
elles font toujours entraînées par une pente fatale
vers la ruine, qu'eft-il befoin de s'occuper
des maux qui doivent avoir leur cours ? A quoi
bon difputer fur la préférence que mérite un gouvernement
fur un autre ? Que peuvent produire
ces loix fi fages , ces établiffemens fi ^vantes ,
cette politique fi prudente, ces vertus mêmes que
l'on regarde comme les foutiens des empires ? Ne
longeons point tuiftement à nos peines j laiffons-
nous entraîner, le plus doucement qu’il eft poffi-
b le , par la force irréfiftible de la néceflite, &
^’allons pas, par des réflexions affligeantes, agra-
ver des malheurs auxquels nous ne voyons point
de remèdes v contens sde jouir du préfent tel qu'il
eft, ne portons plus nos regards fur un avenir
qui n'eft propre qu'à troubler. 9 C'eft ainfi que parlent de^ hommes corrompus
& frivoles , : en qui le vice éteint l'amour de la
patrie, & toute tendrefle pour leur poftérité. C'eft
ainfi que s'expriment des efclaves indolens en qui
Je defpotifme a totalement étouffé jufqu’au defir
de voir changer leur fort. Mais les maux des nations
font-ils donc fans remède ? De ce que l'homme
doit périr un jour , en conclura-t-on qu'il faut
l'abandonner à fon fort , lorfqu'il eft accablé par
quelque maladie ? Les lo ix , la liberté, la douceur
du gouvernement en font-elles moins defirables,
parce que leur durée ne peut être éternelle ? La
fanté eft-elle un bien à dédaigner, parce que tôt
ou tard elle eft fuivie d’infirmités & de douleurs ?
La raifon , la prudence , la vertu , la liberté font-
elles des chofes méprifables, parce que fouvent
elles oppofent des barrières impuiffantes à la for ce
, au délire, au crime & à la tyrannie ? Gar-
fdons-nous de le croire. Si les nations ne font point
4eftinées à jouir d'une félicité inaltérable, le bonheur
n'eft pas moins fait pour être l'objet confiant
de leurs defirs > leur bien-être, même paffa-
•ger, doit occuper le légiflateur , le politique, le
•citoyen qui penfe, l’homme de bien qui s'intéreffe
à fa patrie.
Cela pofé , examinons quelles peuvent être ,
dans les différens goüvernemens, les caufes fenfi-
.bles de leur diffolution ; & remontons , s’il fe peut,
-jufqu'à la fource de la corruption des états : par-
,ce que jufqu'ici l'inexpérience des hommes les a
prefque toujours empêchés d’oppofer aux maux
: qui les affiègent, des remparts affez forts , n'al-
■ .lons pas en conclure que l'efprit humain, retenu
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trop long-temps dans une enfance perpétuelle, ne
pourra jamais en fortir. N e défefperons point de
fon activité j attendons un fort plus doux du progrès
des lumières : s'il ne nous eft pas permis de
changer nos propres deftinées, femons pour la
poftérité 5 montrons - lui les écueils où fes peres
ont échoué} expofons-lui les fuites de leurs gouver-
nemens imprudens, de leurs légiilations vicieufes,
de leurs préjugés dangereux , de leurs ufages in-
fenfés, de leurs vices deftruéteurs > tra^ons-lui le
tableau des folies qui les ont conduits à leur ruine
: faifons des expériences pour cette poftérité
, dont tout homme de bien doit s'occuper *
& flattons - nous de l’efpoir confolant que nos
defçendans, aidés des circonftances & de nos
réflexions , feront un jour plus fages & plus heureux
que nous.
Caujes de dijfolution des monarchies abfolu.es. La
monarchie paffe dans l'efprit de bien des gens ,
pour avoir des avantages marqués fur les autres
formes de gouvernement. Moins une monarchie
eft compliquée , plus fon jeu femble avoir d'ai-
fancë. Il eft vrai que , dans la monarchie, la p i i i f 7
fance de la nation, remife entre les mains d'un
chef qui gouverne fans partage, fe porte avec fa-^
cilité par - tout où le befoin l'exige} mais , d'un
autre cô té , une force trop grande confiée-à un
feul homme devient propre à fubjuguer une fociété
, qui ne préfente jamais à fon fouverain que
des forces divifées & des volontés peu d’accord.
Ainfi la monarchie dégénère prefque toujours en
defpotifme & en tyrannie. D'après l'exemple de
tous les âges , on a pu voir comment on abufe
du pouvoir , lorfqu'un feul homme eft dépoli- „
taire des forces de l'état.
Lors même que la monarchie ne dégénère point
dans ces honteux excès, l'inégalité & la diverfité
qui. fe trouvent néceffairement entre les talens ,
les caractères & les paflions des monarques qui
fe fuccèdent, doivent produire des variations continuelles
dans ce gouvernement. La volonté du
chef étant la feule règle de la nation , doit produire
à tout moment des révolutions dans les loix,
dans les établiffemens , dans les principes de l'ad-
miniftration, dans les idées. Il ne peut y avoir
rien de fixe par-tout où le caprice peut: tout changer
d'un jour à l'autre 5 fi le même homme n'eft
pas toujours d’accord avec lui - même, dans les
différens intervalles de fa durée , que fera-ce lorf-
que l'état paffera fucceffivement entre les mains de
princes ou de miniftres qui n'auront rien de commun
avec leurs prédéceffeurs.
D'où l'on voit que, par. fon effence même, un
état monarchique doit être dans une ofcillation
continuelle, & que le maître de tout peut aifé-
ment, par fon imprudence, conduire fa nation
à fa perte.
Caufes de la dijfolution des monarchies limitéesn
Même dans une monarchie limitée , le monarque
1 conferve toujours un afcendant très-marqué fur les