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Les devoirs font les obligations impérieufes, qui
lui furent impofées par la nature & la nécefiité ,
qui font attachées à fon individu paffible 8c mortel
j & auxquelles il ne peut fe fouftraire fans fouf-
frir , & enfin fans périr.
Les droits & les devoirs de l'homme en famille
& en fociété, ne font qu'une extenfion de ceux-ci.
L'amour propre, organe préparé par la nature
pour la confervation de fes productions $ a&ion
dans les végétaux, inftinél chez les animaux , &
qui s'étend en nous jufqu'à l'intelligence, s'exalte
8c s'épure dans les idées 8c l'opinion de l'homme.
Tantôt il fe repaît de chimères 8c fe crée des fantômes
} tantôt il revient fur lui-même, s'épuife &
fe détruit par de vains efforts ; mais il a des règles
sûres pour fe retrouver à fa véritable place,
& ces règles font dans la nature qui lui. indique
fon objet, lui prefcrit fa tâche, & lui apprenant
a s'en acquitter,.lui en donne les moyens.
4 L'objet" de cet amour propre qui veille à notre
bien-être, eft d'acquérir des droits, de les perpétuer
, de les étendre ; fa tâche d'acquitter les
devoirs correfpondans inféparables de nos droits ;
fes moyens , ce font nos organes , 8c nos facultés
naturelles & acquifes.
Les uns 8c les autres font perfectibles, par l’habitude
& par l'intelligence. C'eft à celle-ci qu'il
appartient de diriger le tout. Pour bien employer
un objet, il faut le bien connoître. La connoiffance
exaCte de nos droits & de nos devoirs eft donc le
premier befoin de notre intelligence.
Nos droits font tous relatifs à la continuité, à la
commodité & à la perpétuité de notre exiftence j
nos devoirs fe rapportent tous à l'obtention, à la
confervation & à l'extenfion de nos droits.
Le fondement & la bafe de nos droits , ainfî
réunis & inféparables, fe trouve dans le fein de
la nature. Seule , elle fournit à l'homme les premières
avançes de fa fubfiftance, le premier de fes
befoins, 8c par conféquent fes premiers droits.
Le travail auquel l'oblige la néceffité de rechercher
fa nourriture, de la ramaffer , de l'apprêter
, fut le premier de fes devoirs. Son intelligence
aidant à fes organes de difcernement, de force &
de vîtelfe, l'homme apprit à guetter le fecret de
la nature, à l'inviter à la multiplication des alimens
& des produits analogues à fes autres befoins \
c ’eft la culture de la terre, travail que la nature
fit fru&ifier.
La culture veut de l’ aide. Toutes les conditions
naturelles de l'homme exigent qu'il s'affocie avec
fes femblables } & cette aflociation eft un traité,
dont la fubftance embraffe tous les membres qtii
la compofent, dans le cercle des droits & des devoirs
d'un feul individu. Nous allons’ nous expliquer
, en revenant toujours à la terre , organe des
loix de la nature le plus préfent à nos befoins ,
fource de toutes les avances 8c règle phyfique de
nos droits & de nos devoirs.
La terre, comme nous l'avons d i t , fit les pre-
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mières avances : il fallut, pour les perpétuer, les
lui rendre, partie en nature, partie en travail.
Cette reftitution fit l'acquit de notre devoir \ & la
terre, par fa fertilité, nous rendit le tout avec
accroifïèment pour reftituer notre mife, récom-
penfer notre travail, 8c continuer fon bienfait en
nous faifant de nouvelles avances.
Su^pofons des affociés pour cette cultivation ;
1 expérience nous ayant appris que l'aide bien entendue
double l'effet du travail, nous ne pouvons
douter que chacun des affociés ne foit compris
dans le don de la nature qui en réfulte$ qu'il ne
revienne à chacun fon droit, qui récompenfe l'acquit
du devoir paffé, 8c foumet au devoir du travail
futur, fi l'on veut que le profit fe perpétué.
Ici commence le cercle des droits 8c des devoirs ,
ail centre duquel viennent fe réunir tous les intérêts
individuels.
I artez delà 8c cherchez en quoi confiftent tous
les droits 8c les devoirs fociaux , d'individus à individus,
d'homme à homme, par-tout vous trouverez
ce cercle de-droits 8c de devoirs-, applicable
à toutes les conventions & inftitutions humaines ,
a tous les liens fociaux, à tous les devoirs naturels
ou de choix : droit d'acquérir chacun fa part dans
les tréfors annuels que la terre nousprépare,d’étendrè
cetre part,d’en perpétuer la perception : devoir de
parvenir à cet objet par la reftitution des avances qui
nous furent faites, foit en mife, foit en travail, foit
en induftrie : droit de faire de cette part fa propriété
que nul* ne peut léfer fans crime, fans attentat
contre la nature & la fociété : devoir de rendre ,
ûe laiffer, de garantir a chacun fa part en propriété
, aux mêmes conditions d'immunité facrée.
tout ce qui fort de-là contrarie la nature, & né
fauroit durer. Tout ce qui embraffe l'idée la plus
etendue du jufte 8c de l'injufte, fe «rapportera
toujours à ce principe fimple8c conftitutif des droits
& des devoirs de l'humanité , qui a far fource 8c
fa vie dans la terre.
En renfermant dans cette doCtrine, (applicable
avec la plus grande fimplicité à tous les details dé
droits 8c de devoirs de chacun en particulier ) toute 1 inftruCtion indilpenfable à donner à chaque individu,
membre d'une fociété policée , il ne fera
plus fi difficile, qu'on a voulu le faire croire, de
rendre l'inftruftion générale, 8c de repouffer la
politique impie qui. a voulu affujettir les peuples,
par la barbarie ou par des fuperftitions mal-entendues.
Chacun comprendra facilement que fon père &
fa mère lui ont fait les avances de la v ie , 8c qu'il
faut les rendre toute la vie ;
Q u e , dans ces avances, il entra portion de ce
qu'il redoit en fecours à fon frère cadet ;
Qu'en remontant un peu plus haut, fes proches
ont avec lui un même p ère, 8c que tous partent
des mêmes avances j
Ç ue là fociété fit à fon père des avances de sûreté
8c d'hôfpitalité j
Que le maître qui inftruit, que la religion qui
enfeigne, élève, tempère, menace ; que le fna-
giftrat qui maintient l'ordre j que la Souveraineté
qui couvre 8c défend tout, font tous en cela de
grandes, fortes 8c/efpeCtables avances, dont il
doit rendre fa portion , en s'acquittant de fa portion
de ces devoirs.
S i , dans fa débile enfance, il apprend cela par
coe u r , chaque progrès de fon intelligence lui en
montrera l'application, lui en donnera l'habitude,
lui en infpirera le fentiment, d'autant plus que la
notion de ces avances dérive de celle de fes droits^,
8c que chacun entend volontiers tout ce qui a trait
à cet article.
A côté de fes droits fe trouvent fes, devoirs. On
çe porte pas la même attention à les connoître,
on n'écoute pas ce qu'on nous en dit avec autant de
complaifance j mais en définiffant ce grand art d'inf-
truire, en l'appliquant aux objets rapprochés de devoir
journalier , en lui montrant le profit qui en réfuite
, toujours proportionnel à la mife en avances
& en travail, on arrivera bientôt à la propriété,
à la sûreté, aux avantages qu'on acquiert en propre,
8c à la liberté d’en ufer à fa volonté.
L'inftruCtion fur les - droits, montre par-tout la
propriété. L'inftrüCtion fur les devoirs, rappelle
toujours aux avances.
*Ainfî, pour accoutumer chaque enfant-à être
homme, citoyén_& regnicole de coeur 8c d'efprit,
pour inftruire chaque homme de tout ce que lui
vaut la fociété & de tout ce qu'il lui doit, pour
former de bons fujets 8c de dignes fouverains ,
pour réunir tous les membres du corps focial en
une feule 8c même opinion 8c volonté fociale,
il fuffit d'inculquer à tous, félon la portée du
plus fimple, la doCtrine des avances, des droits
& des devoirs, & de la propriété $ 8c , pour leur
offrir çet enfemble^, il fuffit de leur apprendre le
petit catéchifme des droits & des devoirs.
On n'exclut pas pour cela les hautes leçons
morales 8c religieufes ; mais le plus grand nombre
n'y fauroit atteindre que difficilement, les profusions
8c les exemples d'une fociété compliquée
tendants fouvent à l'en éloigner j 8c ceux qui
ont le moyen de fe livrer aux fpéculations, ne
fauroient fouvent y tenir ferme contre les Subtilités
du raifonnement 8c les égaremens de l'efprit,
qu'en s'éloignant jufqu'à un certain point des bafes
(impies 8c inébranlables de l'ordre naturel.
.Cette connoiffance eft la bouffole de la bonne
conduite dans la vie, le guide du véritable intérêt
particulier, dans lequel feulement réfîde l'intérêt
. public , qui n'eft autre chofe que la confervation
des droi*s de tous , 8c l'obfervatîon des devoirs de
tous. Tâchons de rendre ceci plus évident encore,
en donnant plus d'étendue à nos idées, 8c en faifant
des applications particulières, des vérités générales
que nous venons d'indiquer.
Comme être matériel 8c fenfibîe, l'homme eft averti
de fes befoins, par fes fenfations. Comme être intelligent&
raifonnable, il appretfS6 de l’expérience 8c
de la raifon les moyens de les fatisfaire. Etablis
pour furveiller fon ignorance 8c luifervir de fauve-
garde , la douleur 8c le plaifir font fes premiers
maîtres > l'une lui fait éviter 8c fuir ce qui lui
peut nuire : l'autre le fait voler au-devant des objets
qui lui font effentiels.
Ainfi la nature nous ayant donné des befoins 8c
des defirs qui conftituent nos devoirs , nous a en
même-temps gratifiés du droit 8c des moyens de
nous procurer la jouiffance 8c la pofleffion des
chofes qui peuvent fervir à les contenter.
Les droits 8c les devoirs font relatifs 8c réciproques
; ils croiffent ou ils s'affoibliffent en même-
temps 8c mutuellement ; c'eft-à-dire , qu'à mefurd
que les droits de l’homme prennent de l'extenfion
par la faculté d'en faire ufage, fes devoirs s'étendent
8c deviennent plus preffans 8c plus obligatoires.
Augmenter fes droits, c'eft donc augmenter
fes devoirs, 8c de même ajouter à fes devoirs, c'eft
étendre fes droits naturels 8c légitimes.
Les relations de l'homme font la mefure de fes
droits 8c de fes devoirs. D ’abord, Amples 8c en
petit nombre, elles fe forment, croiffent 8c fe
multiplient avec fes facultés individuelles 8c fes
propriétés. Ses premières relations font avec la
nature 5 celles qui fuivent graduellement font avec
le père 8c la mère , avec la famille, la fociété, le
gouvernement, l'humanité. ITaprès ces premières
notions, il n'eft pas difficile de connoître 8c de
claffer nos droits 8c nos devoirs.
Nous venons au monde, nous habitons la mai-
fon paternelle / nous entrons dans la fociété chargés
de nos devoirs envers nos fupérieurs , envers
qos égaux, envers nous-mêmes. L'auteur de la nature
, qui nous a donné l'exiftence, les parens de
qui nous tenons le jour , le prince qui nous gouverne
font nos fupérieurs : nos amis , nos concitoyens
1 tous les hommes font nos frères 8c nos égaux,
La foumiffion, l'amour, le refpeCtnous acquittent
envers les premiers > la juftice 8c la bienfai-
fance envers les autres. Notre confervation & notre
bien-être exigent pour nous-mêmes la préférence
de nos foins 8c l'amour de nous, toujours louable ,
s'il n'eft pas exceffif. C'eft-là le tribut journalier
dont nous fommes redevables, 8c auquel nous ne
pouvons nous dérober, fans vouloir troubler l'harmonie
générale , 8c fans porter atteinte à notre repos.
Nos devoirs une fois défignés, nos droits le font
en même-temps , puifque ce qui eft devoir pour
nous, eft droit pour ceux à qui nous fommes tenus
de les acquitter, 8c que les devoirs de ceux-
ci à notre égard conftituent nos droits fur eux. La
connoiffance de ces relations 8c de la réciprocité
des droits 8c des devoirs entre lés hommes, dans
les divers états 8c les différentes pofitions de la
vie , eft' de la plus grande importance, & petit
feule former la bafe d'une bonne éducation corn-:
me d'une bonne politique, parce qu'il eft infiniment
intéreffant pour toute fociété policée que char