
gardoit comme le mobile de tant de calamités.
Dès que la moindre,hoftilité commençoit à divifer
les deux métropoles, on attaquoit la péninfule.
On la prenoit toujours, parce que toute fa défenfe
réfidoit dans le Port-Royal, foiblement entouré
de quelques paliffades, & quelle fe trouvoit trop
éloignée du Canada pour en être fecourue. C'é;-
toit fans doute quelque chofe, aux yeux des nou-
, veaux anglois, de'ravager cette colonie Jk de re-i
^tarder Tes progrès : mais ce n'étoit pas allez pour
diffipér les défiances qu'infpirùit une nation plus
redoutable encore par ce qu'elle peut que par ce
qu'elle fait. Obliges à regret de rendre leur con-
• quête à chaque pacification, ils attendoient impatiemment
que la fupériorité de la Grande-Bretagne
fût montée au point de les difpenfer de cette ref-
titution. Les événemens de la guerre pour la fuc-
ceffion d'Efpagne amenèrent ce moment décifif,
& la cour de Versailles fe vit à jamais dépouillée
d'une polfeffion, dont elle n'avoit point foupçonné
l ’importance.
i La chaleur que les anglois avoient montrée à
s'emparer de ce territoire , n e fe foutint pas dans
les foins qu'on prit de le garder ou de le faire
valoir. Après avoir légèrement fortifié Port-Royal,
qui prit le nom d‘Annapolis 3 en l'honneur de la
reine Anne, on fe contenta d'y envoyer une gar-
nifon médiocre. L'indifférence du gouvernement
pafla dans la! nations ce qui n'eft pas ordinaire
aux pays où règne la liberté. Il ne fe tranfporta
que cinq ou fix familles angloifes dans l'Acadie :
elle refta toujours habitée par fes premiers colons.
On ne réuffit même à les y retenir qu’en leur promettant
de ne les jamais forcer à prendre lés armes
contre leur ancienne patrie. Te l étoit l'amour
que la gloire & l'honneur de la France infpiroient
à tous fes enfans. Chéris de leur gouvernement,
honorés des nations étrangères , attachés à leur
roi par une fuite de prospérités qui les avoit
illuftrés & agrandis, ils avoient ce patriotifme qui
naît des fuccès. Il étoit beau de porter le nom françois
j il eût été trop affligeant de le quitter. Audi
les acadiens qui avoient juré, en fubiffant un nouveau
jo u g , de ne jamais combattre contre leurs
premiers drapeaux, furent-ils appellés les françois
neutres.
II y avoit douze à treize cents acadiens .dans
la capitale ; les autres étoient répandus dans les
campagnes. On ne leur donna point de magillrats
pour les conduire. Ils ne connurent pas les loix
angloifes. .Jamais il ne leur fut demandé ni cens y
ni tribut, ni corvée. Leur nouveau fouverain pà-
roifîbit les avoir oublié^, & lui-même il leur étoit
tout-à-fait étranger.
La chafle qui avoit fait anciennement les délices
de la colonie, & qui pouvoir encore lamourrir
ne ■ touchoit plus un peuple fimple & bon, qui
n'aimoit point le fang. L'agriculture étoit fon oc-:
cupation. On l'avoit établie dans des terres baffes,
en repouffant, à force de digues, la mer & les
rivières dont ces plaines étoient couvertes. On retira
de ces marais cinquante pour un dans les
premiers temps, & quinze ou vingt au moins dans
la fuite, Le froment & l'avoine, étoient les grains
qui y réuffifïbient le mieux : mais le feigle, l'orge
& le maïs y reuffiffent auffl. On y voyoit encore
une grande abondance de pommes de terre , dont
I'ufage étoit devenu commun.
D'imm en fes prairies étoient couvertes de troupeaux
nombreux. On y compta jufqu'à foixante
mille bêtes à corne. La plupart des familles avoient
plufîeurs chevaux, quoique le labourage fe fît avec
des boeufs.
Les habitations, prefque toutes confiantes de
bois, étoient fort commodes, meublées avec
la propreté qu'on trouve quelquefois chez nos laboureurs
d'Europe les plus aifés. On y élevoit une
grande quantité de volailles de toutes les efpèces.
Elles fervoient à varier la nourriture des colons ,
qui étoit généralement faine & abondante. Le cidre
& la bierre formoient leur boiffon. Ils y ajou-
toient quelquefois de l'eau-de vie de fucre.'
C'étoit leur lin, leur chanvre , la toifon de
leurs brebis , qui fervoient à leur habillement ordinaire.
Ils en fabriquoient des toiles communes,
dés draps greffiers. Si quelqu'un d'entr'eux avoit
un peu de penchant pour le luxe , il le droit.
d'Annapolis ou de Lôuisbourg. Ces deux villes
recevoierit en retour, du b led , dés beftiaux, des
pelleteries.
Les françois neutres n'avoient pas autre chofe
à donner à leurs voifins. Les échanges qu'ils fai-
foient entr'eux étoient encore moins confidérables,
parce que chaque famille, avoit l'habitude & la
facilité de pourvoir feule à tous fes befoins., Auffit
ne connoiffoient-ils pas I'ufage du papier-monnoie
fi répandu dans l'Amérique feptentrionale. Le peu
d'argent qui s'étoit comme gliffé, dans cette colonie
, n'y donnoit point 1'actfvité qui en fait fe
véritable prix.
Leurs moeurs étoient extrêmement fimples. II
n'y eut jamais de caufe civile ou criminelle allez
importante, pour être portée à la cour de juftice
établie à Annopolis. Les pèdts différends qui pour
voient s'élever de loin en loin entre les colons ,
étoient toujours terminés à l'amiable par les anciens.
C'étoient les pafteurs religieux qui dreffoient
tous les aéles, qui recevoient tous, les teftamens.
Pour ces fonctions profanes , pour celles de l'églife,
on leur donnoit volontairement la vingt-feptième
partie des récoltes.
Elles étoient affez abondantes pour biffer plus de
facultés que d'exercice à la génerofité. On ne con-
noiffoit pas la mifère , & la bienfaifance prévenoit
la mendicité. Les:malheurs étoient, pour ainfï dire,
réparés avant d'être fentis. Les lecours étoient
offerts fans oftentation d'une part 5 ils étoient acceptés
fans humiliation de l'autre. C'étoit une fo-
ciété de frères, également prêts à donner ou à
recevoir ce qu*ils „croyoient commun à tous les
hommes. ' . .
Cette précieufe harmonie écartoit jufqu a ces
liaifons de galanterie, qui troublent fi fouvent la
paix des familles. On ne vit jamais, dans cette
fociété, de commerce illicite entre les deux fexes.
C 'e ll que perfonne n'y languiffoit dans le célibat.
Dès qu'un jeune homme avoit atteint 1 âge convenable
au mariage, on défrichoit, on enfemen-
çoit des terres autour de fa demeure > 011 y met-
toit les vivres dont il avoit befoin pour une année.
Il y recevoit la compagne qu'il avoit choifie, &
qui lui apportoit en dot des troupeaux. Cette
nouvelle famille croiffoit & profperoit, a 1 exemple
des autres. Toutes enfemble compofoient une
population de huit mille âmes.
Les anglois fentirent, en .1749 , de quel profit
poùvoit être à leur commerce lTpoffeffion de l'A cadie.
La paix, qui devoit lailïer beaucoup de
bras dans l'inaétion , donnoit, par la réforme des
troupes, un moyen de peupler de cultiver un
terrain vafte Sc fécond. Le miniftère britannique
offrit à tout. foldat, à tout matelot, à tout ouvrier
qui voudroit aller s'établir en Acadie, cinquante
acres de terres , & dix pour toute perfonne
que chacun d'eux ameneroit de fa famille :
quatre-vingt acres aux bas-officiers, & quinze pour
leurs femmes & pour leurs enfans : deux cents
aux enfeignes , trois cents aux lieutenans, quatre
cents aux capitaines, fix cents aux officiers d'un
grade fupérieur, avec trente pour chacune des
perfonnes qui dépendroit d'eux. Avant le terme de
dix ans, le terrain défriché ne devoit être fujet à-
aucune redevance, & l'on ne„ pouvoit, à perpétuité
, être taxé à plus d'une livre deux fous fix
deniers d'impôt, pour cinquante acres. Le tréfor
ublic s'engageoit d'ailleurs à avancer ou rem-
ourfer les frais du voyage j à élever des habitations
j à fournir tous les outils néceffaires pour la
culture ou pour la pêche, à donner la nourriture
de la première année. Ces encouragemens déterminèrent,
au mois de mai 174 9 , trois mille fept
cents cinquante perfonnes à quitter l'Europe, où.
elles rifquoient de mourir de faim pour aller vivre
en Amérique.
La nouvelle peuplade étoit deftinée à former un
établiffement au fud-eft de la péninfule d'Acadie ,
dans un lieu que les fauyages appelèrent autrefois
Ckiboufton, & les anglois enfuite, Hallifax. C 'é toit
pour y fortifier le meilleur port de l'Amén-*
que ,, pourétablir auvoifinage une excellente pêcherie
de morue , qu'on avoit préféré cette pofition
à toutes celles qui s'offroient dans un fol plus
abondant. Mais, comme c'étoit la partie du pays
la plus favorable à la chaffe , il fallut la difputer
aux mickmacks , qui la fréquentoient le plus. Ces
fauvages défendirent avec opiniâtreté un territoire
qu'ils tenoient de la nature > & ce ne Fut pas fans
avoir eflfuyé d'affez grandes pertes, que les anglois
vinrent à bout de chaffer ces légitimes pofifeifeurs.
Cette guerre n*étoit pas encore terminée, lorsqu'on
apperçut de l'agitation parmi les françois
neutres. Ces hommes fimples & libres avoient déjà
fenti qu'on ne pouvoit s'occuper férieufement des
contrées qu'ils habitoient, fans qu'ils y perdiffent
de leur indépendance. A cette crainte, fe joignit
celle de voir leur religion en péril. Des pafteurs
échauffés par leur propre enthouftafme , ou par
les infinuations des adminiftrateurs du Canada ,
leur perfuadèrent tout ce qu’ils voulurent 'contre
les anglois , qu'ils appelaient hérétiques. C e mot ,
qui fut toujours fi puiflant pour faire entrer la
haine dans des ames féduites, détermina la plus
heureufe peuplade de l'Amérique à quitter fes habitations
pour fe tranfplanter dans la Nouvelle-
France , où on lui offroit des terres. La plupart
exécutèrent cette réfolution du moment, fans prendre
aucune précaution pour l'avenir. Le relie fe
difpofoit à les fuivre , quand il auroit pris fes
fûretés., Le. gouvernement anglois , foit humeur
ou politique, voulut prévenir cette défertion par
une forte de trahifon , toujours lâche & cruelle
dans ceux à qui l'autorité donne les moyens de
la douceur & de la modération. Les françois neutres
, qui n'étoient pas encore partis, furent raf-
femblés, fous prétexte de renouveller le ferment
qu'ils avoient fait autrefois au nouveau maître de
l'Acadie. Dès qu'on les eut réunis , on les embarqua
fur des navires quf les tranfportèrent dans
d'autres colonies angloifes, où le plus grand nombre
périt de chagrin, encore plus que de misère.
Etat de La Nouvelle-Ecofle, avant La révolution
des Etats-Unis. Depuis\ émigration d’ un peuple
qui devoit fon bonheur à fes vertus & à fon obf-
curité, la NouvellerEcoJfe ne fit que languir. L'envie
, qui avoit dépeuplé cette terre, fembla l'avoir
flétrie. Du moins , la peine de- l'injuftice retom-
boit-elie fur les auteurs de l'injuftice. Les cala-*
mités, fi multipliées en Europe , y poufsèrent à
la fin quelques malheureux. On en comptoit vingt-
fix mille en 1769. La plupart étoient difperfés.
On ne les voyoit réunis en quelque nombre qu’à
Hallifax , à Annapolis & à Lunebourg. Cette
dernière peuplade", Formée par des allemands,
' étoit la plus floriflante. Elle devoit fes progrès à
cet amour du travail, à cette économie bien ordonnée
, caraélères diftin&ifs d'une nation fage
& belliqueuTe, q u i, contente de défendre fon
pays, n’én fort, guère que pour aller cultiver des
contrées qu'elle n'eft point jaloufe de conquérir.
Cette année, la colonie expédia quatorze navires
& cent-quarante-huit bateaux, qui formoient
fept mille trois cens-vingt-quatre tonneaux. Elle
reçut vingt-deux navires & cent-vingt bateaux,
qui formoient fept mille fix tonneaux. Elle conf-
truifit trois chaloupes, qui ne paftoient pas cent-
dix tonneaux.
Ses exportations pour la Grande-Bretagne &
pour les autres, parties du globe , n'excédèrent
j pas 7293850 liv. tournois.