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gouvernement démocratique convient aux petits
états , 1 ariftocra tique aux états d*i|ïie moyenne
étendue, & le monarchique aux grands. Cette
réglé dérivé du principe} mais il faut calculer la
multitude de circonilançes qui peuvent fournir
des exceptions.
Si 1 on donne l’acception la plus rigoureufe au
terme démocratie, il n’ a jamais exifté de véritable
démocratie, 8ç il n’en exillera jamais. On ne
peut imaginer un peuple qui relie inceflamment
affemblé pour vaquer aux affaires publiques, 8c
1 on voit aifement qu il ne fauroit nommer pour
cela des commiflions, fans abdiquer fes droits :
fi tous les individus d’une nation voûtaient fe
meler des affaires publiques fur tous les points
de détail, cette peuplade ne tarderont pas à fe
détruire elle-même, ou à être conquife.
L'expérience de tous les âges & de tous les lieux
autorife à mettre en principe que , quand les fonctions
du gouvernement font partagées entre plusieurs
tribunaux, les moins, nombreux acquièrent tôt
ou tard la plus grande autorité, ne-fut-ce qu’à
caufe de la facilité d’expédier les affaires.
D ’ailleurs que de chofes difficiles à réunir ne
fuppofe pas ce gouvernement•! Premièrement, un
état tres-petit ou le peuple foit facile à raffem-
b le r , 8c ou chaque citoyen .puifle aifément connaître
tous les autres j fecondement une grande
fimphcité de .moeurs, qui prévienne la multitude
d’affaires 8c les difcuffions épineufes} enfuite beaucoup
d’égalité dans les rangs. & dans les fortunes,
fans quoi l’égalité des droits 8c l’autorité ne pourvoient
fubfîfter long-temps : enfin peu ou point
de luxej caroube luxe eft l’effet des richeffes,
ou il les rend néceffaires} ri corrompt à la fois le
riche 8c le pauvre : l*un par la poffeffion, l’autre
par la convoitife} il vend la patrie à la molleffe,
a la vanité-} il ote a l’etat tous fes citoyens, pour
les affervir les uns. aux autres, 8c tous à l’opinion.
Les premières .fociétés fe gouvernèrent arifto-
cratiqueraent. Les chefs des familles délibéroient
entr’ eux des affaires publiques ; les jeunes gens
cedoient fans peine à l’autorité de l’expérience.
De là les noms de prêtres J $ anciens, de fénat ,
de gérontes. Les fauvages de l’Amérique fepten-
trionale fe gouvernent encore ainfi de nos jours ,
8c , vue leur pofition, ils ne font.pas mal gouvernés.
Mais à mefure que l’inégalité d’inllitution l’emporta
fur l’inégalité naturelle , la richeffe ou la puif-
fance 8c les talens furent préférés à l’âge, 8c l’arifto-
cratie devînt éleélive. Enfin la puiffance, tranfmife
avec les biens du père aux enfans, créa des familles
patriciennes > rendit le gouvernement héréditaire
8c l’on vit des fénateurs de vingt ans.
II y a donc trois fortes d’ariflocratie ; l’arifto-
cratie naturelle qui approche de la démocratie 5 1 eleélive^ 8c l’heréditaire, La première ne convient
<jü à des peuples fimples} la troifièmev paffe,
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chez quelques auteurs, pour le plus mauvais ffd
tous les gouvernement, 8c quelques autres admirent
beaucoup cette forme de gouvernement lorf-
quelle ell combinée avec foin. Harrington, par
exemple, ne tarit pas, fur les éloges qu’ il donne
a la conllitution de Venife, ainfi qu’on peut le
voir dans YOcaena. La deuxième , qui ell l’aril •
toçraji.e proprement dite, fe.mble la plus raifonna-
b le } 8c fi l ’amour de l’autorité & la corruption
qu elle entraîne^, ne dépravoient pas les fénateurs,
ce feroit en effet la plus fage. Voye% A r i s t o c
r a t i e .
Outre l ’avantage de la diftinélion des deux
'pouvoirs, elle a celui du choix de fes membres:
car , dans le gouvernement populaire , tous les citoyens
naiffent, magiftrats } mais celui-ci n’en admet
qu’ un petit n o m b r e i l s ne le deviennent
; que par élection : fi l’intrigue ne s’en méfoit pas,
la probité 3 les lumières, l ’expérience feroient
préférées.
Il eft fur que les affemblées fe font plus commodément
, les affaires fe difcutent mieux , s’expédient
avec plus d’ordre 8c de diligence} que-
le crédit de l ’état eft mieux foutenu chez l’étran-
; ger par des fénateurs, que par une multitude in-
; connue ou méprifée.
| G ’eft fans doute l’ordre le meilleur 8c le plus
naturel que les plus fages gouvernent la multitude
, quand on eft fur qu’ils la gouverneront
pour fon profit 8c non pour le leur.
A l’égard des convenances particulières , il ne
.faut ni un état fi p e tit, ni un peuple fi fimplç
8c fi droit} il fautque l’exécution des loix foit exaéle
comme dans une bonne démocratie ; il ne faut
ças non plus une fi grande nation que les chefs
epars pour la gouverner, puiffent trancher du
fouverain, chacun dans fon département, 8c com*
mencer par fe rendre indépendans pour devenir
enfin les maîtres.
Mais fi l’ariftocratie exige quelques vertus de
moins que le gouvernement populaire , elle en exige
auffi 'd’autres qui lui font propres, comme la modération
dans les riches 8c le contentement dans
les pauvres ; car il femble qü’une égalité rigoureufe
y feroit déplacée : elle ne fut pas même ob-
fervée à Sparte.
Si cette forme comporte une certaine inégalité
de fortune, c ’eft bien pour qu’en général Tad-
mîniftration des affaires publiques foit confiée à
ceux qui peuvent y donner tout leur tems} ‘ mais
non pas, comme dit A r illote , pour que les riches
foient toujours préférés. Au contraire, il
eft bon de montrer quelquefois au peuple qu’ il y
a , dans le mérite des hommes, d’autres raifons
de préférence que là richeffe.
Si la puiffance ell réunie dans les mains d’un
homme^, qui feul ait droit d’ en difpofer félon les
lo ix , c’eft la monarchie fur laquelle nous allons
faire quelques remarques.
Dans les autres adminiftrations, un être coL
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l e & i f r e p r é s e n t e - u n i n d i v i d u , 8 c d a n s c e l l e - c i l u i
i n d i v i d u r e p r é f e n t e u n ê t r e c o l l e c t i f : l ’ u n i t é m o r
a l e q u i c o n f t i t u e l e p r i n c e , e f t e n m ê m e - t e m s
i c i u n e u n i t é p h y f i q u e , 8c t o u t e s l e s f a c u l t é s
q u e l a l o i r é u n i t d a n s l ’ a u t r e a v e c t a n t d ’ e f f o r t s ,
f e t r o u v e n t n a t u r e l l e m e n t r é u n i e s .
Ainfi la volonté du peuple, la volonté du prince
, la force publique de l’état 8c la force particulière
du gouvernement, tout répond au même
mobile, tous les refforts de la machine font dans
la même main , tout marche au même b u t } il n.y
a point de mouvemens oppofés qui s’entredétrui,-
fent, 8c l’on n’imagine point de conllitution dans
laquelle un moindre effort produife uneaéiion plus
confidérable. Archimède, affis tranquillement fur
le rivage, 8c tirant fans peine à flot un grand
vaiffeau , me repréfente un monarque habile ,
gouvernant dé fon cabinet fes vaftes états , 8c
faifant tout mouvoir en paroiffant immobile.
Mais s’il n’y a point de gouvernement qui ait
plus de vigueur, il n’y en a point où la volonté
particulière ait plus d’empire 8c domine plus ai-
fément les autres : tout marche au même b u t, il
eft vrai} mais ce but n’eft pas toujours celui de
la félicité publique, 8c la force même de l’ad-
miniftration tourne fans cefTe au préjudice de
l’état.
Les rois veulent être abfolus , 8c de loin on
leur crie qu’ils doivent fe faire aimer de leurs peuples.
Cette maxime eft très belle, 8c même très-
vraie à certains égards'. Malheureufement on s’en
moque fouvent dans les1! cours. La puiffance qui
vient de l’amour des peuples, eft fans doute la plus
grande} mais elle eft regardée comme précaire 8c
conditionnelle,8c rarement elle fâtisfait les princes}
les rois veulent prefque toujours pouvoir être médians
, s’il leur plaît, fans ceffer d’être les maîtres.
On leur répète en vain que la force du peuple étant
la leur , leur plus grand intérêt eft que le peuple
fbit floriffant, nombreux , redoutable } ils favent
très-bien que cela n’eft pas toujours vrai. Leur
intérêt perfonnel eft d’abord que le peuple foit
foible., miférable, 8c qu’ il ne puifle jamais leur
réfïfter. En fuppofant les fujets toujours parfaitement
fournis, l’intérêt du prince feroit alors que
le peuple fût puiffant, afin que cette puiffance
étant la fienne, le rendît redoutable à fes voifins}
mais comme cet intérêt n’eft que fécondaire 8c
fubordonné, 8c que les deux fuppofîtions font pref-
qu’incompatibles, les princes donnent ordinairement
la préférence à la maxime qui leur eft le plus
immédiatement utile. C ’eft ce que Samuel repré-
fentoit avec force aux hébreux } c’ eft ce que Machiavel
a montré clairement. En fçignant de donner
des leçons aux rois, il en a donné de grandes
aux peuples.
On, a v u , par les rapports généraux, que la
monarchie n’eft convenable qu’aux grands états ,
8c on le verra encore, fi on examine cette forme
de gouvernement en elle-même. Plus l’adminillra-
(SkCon. polit, fi? diplomatique. Tom. I l .
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’tion publique, eft nombreufe , plus le rapport du
prince aux fujets diminue 8c s’approche de l’égalité
, enforte que ce rapport ell un , ou l’égalité
même dans la démocratie. C e meme rapport augmente
à mefure que le gouvernement fe refferre , 8c il eft .dans fon maximum , quand le gouvernement
eft dans les mains d’un feul. Alors il fe trouve
une trop grande diftance entre le prince 8c le peuple
, 8c l’état manque de liaifon. Pour la former ,
il faut donc des ordres intermédiaires } il faut des
princes, des grands, delà nobleffe pour les remplir.
O r , rien de tout cela ne convient à un petit
é ta t, que ruinent toutes ces diftinélions.
M a is , s’il eft difficile qu’un grand état foit bien
gouverné, il l’eft beaucoup plus qu’il foit bien
gouverné par un feul homme } 8c chacun fait quo
fi quelques repréfentans d’ un roi fe conduifent
bien, les autres fe conduifent très-mal.
Un défaut effentiel, qui mettra- toujours le
gouvernement monarchique au deffous du républicain
, eft que dans celui-ci la voix publique n’élève
jamais aux premières places que des hommes
éclairés 8c capables, qui les rempliffent avec
honneur.
Pour qu’ un état monarchiquevpût être bien gouverné
, fa grandeur 8c fon étendue devroient être
proportionnées aux faculte’s du maître. Il eft plus
aifé de conquérir que de régir. Avec un levier ,
le mouvement du doigt peut ébranler le monde >
mais pour le foutenir, il faut les épaules d’Her-
cule. Pour peu qu’un état foit grand, le prince
eft prefque toujours trop petit. Si l’état eft trop
petit pour fon ch e f, ce qui eft très-rare , il en:
encore mal gouverné, parce que le chef, fuivanc
toujours la grandeur de fes vues, oublie les intérêts
des peuples , 8c ne les rend pas moins malheureux
par . l’abus de fes talens, qu’ un chef
borné par le défaut de ceux qui lui manquent. Il
faudroit, pour ainfi dire , qu’ un royaume s’étendît
ou fe refferrât à chaque règne, félon la portée
du prince ; les talens d’ un fénat ayant des
mefures plus fixes , l’e'tat peut avoir des bornes
tonllantes , 8c l’adminiftration aller toujours
bien.
Le plus fenfible inconvénient du gouvernement
d’un feul, eft le défaut de cette fucceffion continuelle
de vues fages qu’ on trouve dans les deux
autres. Un roi mort, il en faut un autre } les
élections laiffent des intervalles dangereux} elles
font orageufes, 8c à moins que les citoyens ne
foient d’un défintéreffement, & d’une intégrité que
ce gouvernement ne comporte guère, la brigue 8c
la corruption s’en mêlent. Il eft difficile que celui
à qui l’état s’eft vendu, ne le vende pas à fon
tou r , 8c ne fe dédommage fur les foibles des fa-
crifices qu’ont arraché les hommes puiffans. T ô t
ou tard tout devient vénal fous une pareille ad-
miniftration } 8c la paix dont on jouit alors fous
les rois, eft pire que les défordres des interrè-
» gnes.
D d d d