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d’étrangers , dont on puiffe attendre la confiance 1
& l'ardeur que montre une nation pour le faîut
& la gloire de fes citoyens.
L'état abondant en foldats aura pour lui l’ef-
poir des grandes victoires, fur tout fi les troupes
font guerrières & aguerries. La qualité des
troupes dqit donc auffi entrer dans le calcul. Il
eft des nations où tout payfan, pour ainfi dire ,
naît foklat , & prend aifément l'efprit militaire..
I l en eft où il fait un métier mercénaire , fans
goût & fans penchant naturel î mais ce goût ne
fe peut acquérir qu'après de très-longues guerres,
& les étatsfoiblement conftitués en ce genre ne
s 'y expofent point , & ils ont raifon. Chaque
peuple garde ainfi fes difpofitions naturelles à fe
battre , ou par amour de gloire , ou par une
obéiffance fervile & payée , ou par un principe
de férocité & d'amour du fang.
Le 'gouvernement doit moins compter fur des
troupes fans volonté & fans djfcipline 5 & quand
on commande une nation de cette efpècê , il ne
faut point la commettre 3 fans une abfolue né-
celïité 3 aux hafards de la guerre. On doit s'attendre
à des pertes ou à aes affronts, & quelquefois
à l'une & à l'autre. Une poignée de macédoniens
attaquoit avec confiance une multitude
d'afiatiques 3 & cette multitude étoit toujours
battue.
Enfuite la nature"du climat produit des hommes
plus ou moins propres à foutenir les fatigues
de la guerre. Les uns feront courageux , &
n'auront point de fermeté : d'autres ne feront
point dociles à l'affujettiffement de la difcipline
militaire; d’autres ne feront point patiens dans
les momens de peine & de défreffe „ & ils feront
toujours prêts à la révolte & au murmure.
Ces diverfes circonftances doivent .être calculées
dans les délibérations & dans les déterminions
politiques ; & l'homme d’état ne fauroit trop
étudier le génie & le goût des nations 3 s'il ne
veut point les jetter dans des entreprifes qui foient
au-deffus de leurs forces.
• Ces mêmes réflexions feront applicables au
ferviee maritime. En effet ^ une conftrudion de
vaiffeau plus ou moins légère , des ufages divers
dans l'armement & l'équipement * l'efprit maritime
plus ou moins militaire , plus ou moins
commerçant, décideront du fort des efcadresles
plus nombreufes, & prépareront des fuccès ou
des revers.
On doit encore confidérer , dans l'examen de
fes fo rce s , fi l'on a chez foi-tout ce qu'il faut
pour la guerre , parce que, fi on ne l'a point,
on peut > dans une infinité de cas > fe trouver au
dépourvu, & qu’il eft déraifonnable de compter
fur des moyens qui dépendent des hafards ou de
îa volonté d’autrui. Cette confidération eft d'autant
plus effentieîle, que même depuis les prinr
cipes de droit public * établis par la neutralité ar-
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mée, îa plupart des munitions ou des provîïîons
qui fervent à la guerre, deviennent ,• quand elle
eft déclarée, marchandifes de contrebande, fu-
jettes à être faifies M arrêtées fur terre comme
fur mer, & que d'ailleurs on eft réduit à les
acheter fort cher, parce que les prix fe fixent
en proportion des rifques comme des befoins.
C e n'eft pas encore affez d'avoir des hommes
& de l'argent, il faut avoir des hommes en état
de commander. Il eft des nations affez connues >
qui, à peine en un fiècle * pourraient citer un
général, & qui ont effuyé de terribles défaites. U
n'eft point d'amour de la gloire ou de raifon d'intérêt
, qui puiffe déterminer $ fe charger d'un
grand rôle dans les guerres. S'y embarquer fut
une aveugle confiance de fes généraux , ou avec
la certitude que l'on n'en aura que de mauvais ,
» c'eft courir à u n e ^ r te & à un déshonneur cer*
tains.
On peut mettre l’ état des frontières au rang
des forces purement défenfives; & c'eft un autre
calcul à faire > quand il s'agit de prendre des en-
gagemens.
Un état ouvert de plufieurs côtés ne fe dégarnira
pas de fes forces , ou héfitera de fe faire
des ennemis en état de former une invafion.
S'il n'eft foible que d'un c ô té , il ne s'engagera
p as , à moins qu'un de fes alliés ne foit à
portée de le fécourir du côté foible.
Si fa frontière demande un grand nombre- de
troupeS'pour être gardée, il ne prendra* que des
engagemens proportionnés à fes moyens.
Si fes frontières fe défendent d'elles-mêmes >
par leur pofition , il pourra être beaucoup plus
hardi dans fes entreprifes, parce qu'il aura moins
d'objets à foigner , & que c'eft la multiplication
des foins & des objets , qui rend les réfolutions
plus ou moins hafardeufes.
C'eft par une fuite de ces maximes, qu’ordi-
nairemer.t les princes qui font enfemble des traités.
de troupes, réfervent les cas où ils en pourraient
avoir befoin pour leur propre défenfe. Une
nation ne peut donner en ce genre, que fon excédant
ou fon fuperflu, quelque intérêt .qu'elle
eût d'être auxiliaire d'une autre puiffance.
On ne fait pas toujours la guerre. L'efpèce humaine
n'y fuffiroit pas ; mais on eft fouvent dans
le cas de prendre des partis ou des engagemens
qui y peuvent conduire ;. & c'eft alors qu'il, faut
prévoir tout ce que -peut comporter l'état de fes
forces A afin de n'être pas contraint de renonces
à fes projets, ou de revenir fur fes pas, ou de
fe décréditer en manquant à des engagemens dont
on voit après coup les inconvéniens ou.l'impof-
fibiîité. • . . . / ^ ■
Il eft mal aifé , dans l'ordre politique, dé'fa
refufer à certains engagemens. Lorfque les projets
font très-avantageux ,. il eft dur de ne pouvoir
pas les former; mais lorfqu'on manque- de,
moyens, de les faire réuffir, il vaut* encore mieux
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h*y pas fonger, qu'être réduit à les abandonner
honceufement»
Des forces ■ particulières qui refultent de la capacité
des hommes employés dans les affaires.
Il ne fuffit p a s , dans les combinaifons politiques,
de calculer les forces générales ; le calcul
des forces particulières eft également néceffaire, fi
l'on veut ne fe point méprendre. J'appelle forces
particulières les reffources de taieris dans les hommes
qui peuvent avoir quelque part au miniftere
ou au ferviee public ; & c’eft peut-être 1 objet
qu'il importe de calculer avec le plus de pre*
cifion. S #
Le meilleur métal & le mieux prépare, entre
les mains d'un médiocre^ouvrier, ne formera jamais
que de médiocres ouvrages. II en eft de
même d'un état î il aura de grandes reffources^,
des forces fupérieures, de vaftes moyens 5 s'il n'a
point de grands généraux & de grands minillres,
fes forces lui deviendront inutiles.
Alexandre, digne fans doute par lui-même du
nom de grand, n’a peut-être dû fa fupériorité qu'à
l'infériorité de Darius & de Porus.
Rome, qui avoit fuccombé fous les. efforts
des grands hommes de Carthage, ne fe releva
qu'après les avoir exclus du commandement
par fes intrigues, & avoir reconquis la fupériorité
de talens, par le choix de fes généraux.
Mithridate ne fe fotitint fi long-temps que par
la fupériorité de fon génie , & ne céda qu'au
i bonheur des généraux, peut - être moins grands
que lui.
La gloire du règne de Charîes-Quint fut l’ouvrage
des grands capitaines de fon fiècle. Sans
fa confiance en e u x , il eût été moins entreprenant.
Le fiècle de Louis X IV montre b ien , par la
variété de fes fuccès, l’empire des bons généraux
& les extrémités où l’on fe trouve réduit avec
de grandes forces. On ne peut lire cette hiftoite,
fans en être frappé.
Un miniftère fage oppofe des hommes à des
hommes, dans les entreprifes de guerre ou dans
les négociations ; & ce font ces choix réciproques
& combinés, qui ouvrent les grandes écoles propres
à former des élèves. La lutte entre deux
hommes très-inégaux, n’inftruit qu’impârfaitement
les coopérateurs fubalternes. Au milieu de cette
inégalité, on ne peut comparer une aûion avec
une autre, puifque l’une ne^ répond pas à l'autre.
Il eft donc prefque impoffible qu'une inftruétion
foible produife de grands hommes. Les plus belles
~ années du règne de Louis X IV ont été l’ouvrage
dç l ’école du grand Turenne.
Formons donc des hommes, fi nous voulons
en trouver au befoin. Etudions leur jufte portée ,
pour ne leur rien donner au-deffus de leurs forces}
pour les placer d'une manière analogue à leurs
talens, & à ceux des généraux ou des rmndires
. contre lefipels ils doivent lutter j ou fi malheur
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reufement nous n'avons rien à oppofer en ce genre
aux autres nations, plutôt que de nous expofer à
des revers ou aux inconvéniens de l'incapacité des
inftrumens que nous pourrions employer, éloignons
les occafions délicates où nous pourrions
fent'r cette difette.
Il eft donc important de connoître la portée des
miniftres, des généraux , ou de tous ceux qui
peuvent le devenir chez les autres nations. Tout
le monde fait ce qu'un état entretient de troupes,
combien il a de revenus. La connoiflfance des faits
paffés apprend quelles peuvent être fes reffour-
ces ; mais peu favent la valeur des hommes particuliers.
Les bien connoître , les apprécier au.
jufte, c’eft rendre un grand ferviee à fa patrie,
& lui donner de précieufes lumières ; mais pour
cela il faut être habile fur cette matière, & c'eft;
un talent bien rare.
Quand on charge les hommes au-deffus de leurs
forces, ils fe trouvent accablés fous le poids, &
ils n’acquièrent rien pour l’inftruétion. Leur ef-
p r it , occupé uniquement de difficultés, rétrécit
fon diamètre, au lieu de l’étendre ; & , fembla-
bles à ceux qui fe font énervés par un grand
effort , ils relient prefque néceffairement médiocres
pour toujours; ou fi malheureufement ils
ont eu quelque fuccès inefpéré, l'amour-propre
les furprend , & , leur perfuadant qu'ils en favent
affez , les laiffe avec un affemblage d'ignorance
& de vanité, qui n'en fait plus que des
hommes dangereux, parce que n'imaginant plus
rien au-deffus de leurs forces, ils s'offrent à tout,
& font toujours au - deffous de ce qu'on leur
confie.
Il ferait heureux qu’on pût développer des ta-
lens qui commencent à naître ; les fuivre, pour
ainfi dire , pas à pas ; animer l'émulation par des
récompenfes proportionnées au mérite, au lieu de
l'éteindre en les prodiguant prématurément, ou
en les refufant quand elles font méritées. Ainfi
fe formeraient des hommes, dont le nom refpeété
& craint vaudrait à un état des forces réelles.
FO RM O S E , ifle de la mer de la Chine, où les
hollandois ont eu autrefois un établiffement. Les
hollandois étoient déterminés à abandonner leur
établiffement dans l'ifle des Pêcheurs , qu'ils
défefpéroient de rendre utile , lorfqu'ils furent invités
, en 1624, à s’ aller fixer à Formofe 3 avec
l'affurance que les marchands chinois auraient
une liberté entière d'aller traiter avec eux.
Cette ifle , quoique fituée vis-à vis la province
de Fokien , & à trente lieues de la côte 3 n'étoit
pas foumife à l'Empire de la- C h in e , qui n'a
point la paffion des conquêtes, & qui, par une
politique inhumaine & mal entendue, aime mieux
laiffer périr une partie de fa population , que
d'envoyer la furabondance de fes Tu jets dans des
terres voifines. On trouva que Formofe avoit cent
trente ou cent quarante lieues de tour. Ses habi-
tans, à eu jugsx par leurs moeurs & par leur-
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