
D É P R A V A T IO N DE L'ORDRE. Cette exr ]
preflion collective ne préfente pas feulement l’idée !
de l’ altération , du dérangement de l’ordre ; mais
encore celle de fa dégradation progreffive. Remontons
un moment aux principes de l ’ordre ,
pour mieux connoître les principes de fa dépravation.
L’homme eft fi petit, fi foible , fi fubordonné 3
8c la nature fi grande, fi puiffante, fi impérieufe,
que, quand onfuppofe l’homme abruti par la barbarie
, par l’orgueil ou par l ’indépendance, au
point de croire que rien n’exifte au-delà de ce qu’ il
Voit, 8c de prendre les élémens & ce qui l’environne
pour l’infini, on ne pburrojt. encore s’empêcher
de fentir qu’alors meme il eft forcé de re-
connoître un ordre, auquel il eft affujetti par le
décret de fon exiftence , & dont fes befoins le
rendent fans ceffe dépendant.
Tout lui démontre en effet que, de l’ordre de
nos befoins, naît l’ordre de les fatisfaire ; que de
celui-ci naît l’ordre du travail ; de ce dernier l’ordre
focial, dont l’objet eft le fecours & l’afliftance
réciproques , & qu’on ne peut tenter de rompre
cette chaîne formée fur les deffeins de la nature,
fans échouer en tout ou en partie dans cette en-
treprife, c’eft-à-dire, fans fe mettre plus ou moins
en danger de périr.
Toute vertu confifte à fe tenfir dans l’ordre &
à lui obéir ; tout délit au contraire confifte dans le
défordre & dans fes accidens.
Telle eft la fcience du bien & du mal, com-
prife fous l’emblème de l’arbre de vie. L ’homme
voulut la connoître, fe gouverner lui-même, s’ex-
pofer ^ux hafards d’être fon propre guide ; & fon
auteur prit foin d e l’affervir aux befoins pour lui
marquer la voie, & pour le ramener fans celfe à
l ’obéiffance de l'ordre , dont dépend fa conferva-
tion maintenant encore. Si-tôt que , par le travail
& fes profits, il fe trouve dans l’abondance, 8c
qu’ il en abufe, le lien focial fe relâche, le guide
s’éloigne, l’homme fuit fes folles idées, perd la
voie du bien , cherche le mieux , trouve le mal,
& prend le pire. Voilà l’origine de la dépravation
de l'ordre, voilà fa marche & fes fuccès.
Quand nous difons dépravation de l'ordre, c’eft
de l’ordre focial quë nous entendons parler 5 car
le grand ordre eft dans les mains du grand ordonnateur
; il né nous appartient d’en connoître que
ce qui eft relatif à notre’ fubfiftance & à nos befoins
; mais cette portion fait la loi de notre exiftence
, 8c devient pour nous l’ ordre légal— phy-
fique. -
L ’ordre légal impofé à l’humanité, eft cet ordre
protecteur & favorable, qui fait naître 8c diriger
l’ordre focial ; celui-ci n’eft autre chofe que
Laffociation des travaux de chaque individu pour
l ’avantage de tous ; 8c cette union légale de par
la nature eft ce qu’on appelle la fociété.
La fccieté, ou le concours d’aides 8c de fecours ,
eft indjfpenfable à l’homme, depuis l’inftarir de
fa naiflance jufqu’ au jour de fa mort ; & fi > dans I
cet intervalle, il étoit quelques heures vers le midi I
de fa carrière, où la préfomption de fes forces I
lui fît penfer qu’il peut fe fuffire à lui - même , 1
cette préfomption ne ferviroit qu’à l ’égarer, & à I
jB mener à une vie miférable 8c dépourvue de I
tout : julte punition d’un ingrat, dont l'enfance I 8c le premier âge ne purent échapper à la mifère I
que par des avances gratuites 8c par la protection I
de la fociété.
Rendre à chacun la part qui lui eft due, eft |
la première loi fociale ; car chacun a fes befoins, |
& n’a que fon travail pour y fatisfaire ; 8c f i , par 1
épargne fur les profits de fon travail, il a pu faire I
des avances à d’autres, la reprife de ces avances I
eft un droit naturel légal pour lu i, . comme la ref- I
titution de ces avances eft un devoir naturel, égal |
pour celui qui les a reçues.
De-là, nailfent les droits & les devoirs récipro- |
ques q u i, par un commerce continuel d’ avances i
& de retours, font tout le mouvement de la fo- I
ciété.
T o u t , en effet, porte fur des avances : il fallut | 8c il faudra toujours travailler avant de recueillir. |
Les facultés que l’homme tient de la nature , 8c I
les fruits fpontanés de la terre firent toutes les pre- I
mières avances. Le travail les a continuées > il les I
follicite 8c les entretient ; mais le fein fécond de |
la terre 8c le bienfait confiant de la providence
renouvellent journellement cet ordre de munifi- }|
cence} car le-fein dé la terre rend fix chaque an- 1
née à qui lui confie deux ; 8c cet excédent annuel J
qui perpétue, accroît & enrichit la fociété, eft 1
un miracle perpétuel de nouvelles avances.
C ’ eft au partage de cette reftitution annuelle |
des avances de la culture, avec le furcroît nécef- |
faire pour les renouveller, que doit préfider l’or- I
dre légal focial, pour que la diftribution s’enfaffe ^
équitablement à tous ; 8c l’ordre légal étant çon- ; ;
forme aux intentions de la nature, cette diftribu- ;.
tion s’opérera d’elle-même , fi la cupidité fraudu- g
leufe ou violente n’en intercepte le cours.
L’ordre fait donc à l’homme des avances, dont I
la reftitution eft de droit 8c la continuation de de- i
voir. L’acquittement des devoirs 8c l’acquêt des I
droits font le double objet toujours renaiffant du |
travail, 8c ce cercle continuel de droits 8c de de- I
voirs, de travaux & de dépenfes, eft le noeud de I
la fociété , dont la propriété eft l’ame : tel eft l’or- I
dre de fon eflence.
La volonté générale tend toujours à l’ordre ; la I
volonté particulière émue & déterminée par la eu- I
pidité , dévoyée par le mauvais exemple, foute- I
nue par l’ignorance, fuite de la prévarication , I
tend aifément à enfreindre l’ordre ; de-là la né- I
ceffité des loix pofitives qui annoncent les rites I
de l’ ordre, & qui , par la crainte qu’infpire la I
fanétion des peines, écartent les infraéteurs.
Mais les loix n’ont point d’autorité, 8c font bien- I
tôtméprifées, fi une force publique, impofante, I
fupérieure I
fupétîeureà toute force privée, n’eft établie pour
maintenir l’obfervation des loix , pour repréfenter
la volonté commune, pour contenir ou reprimer
les volontés particulières qui s’en ecartent 8c
pour faciliter enfin , par les travaux publics, 1 action
laborieufe 8c profitable de la fociete. C eft
l'établiffement folide 8c refpeéfcé de cette force en
puiffance, qui complette le corps & l’ordre focial ;
c’eft du dérangement de cette inftitution efîentielle
que provient la dépravation d$ l'ordre, & voici
comment. . r
Les grands devoirs que l’ordre impofe a la force
publique , qui repréfente la fouveraineté, fuppo-
fent & néceffitent l’attribution de grands droits^; 8c ces droits font connus, propages 8c acquittes
par la nature, comme toutes les autres avances, 8c félon les mêmes conditions. Mais, quand les
fociétés prennent leur dernier accroiflement & fe
complettent en raffemblant tous leÿ arts , les pro- ,
feflions, les moyens de travail 8c d’induftrie, à
la faveur defquels les hommes cherchent à fatif-
faire leurs befoins , on néglige d’ordinaire le principal
pour l’acceffoire 5 & le. brillant des arts frivoles
8c décorateurs tourne vers leurs productions
, les defirs, l’a&ivité 8c l’empreffement du
plus grand nombre, au préjudice des objets de
première utilité : on perd de vue , on dédaigne,
on oublie la fcience importante des avances, des
diftributions & des dépenfes, 8c 3 à plus forte
i raifon, l’ordre naturel légal 8c fes bafes pofées
[ de la main de l’éternel. Chacun cherche à fe pré-
I valoir, 8c s’ efforce d’ahticiper fur la part des au-
f très ; tout devient ligue, 8c alors il n’ eft plus de
[ vraie fociété.-
En cet état, la force fupérieure remife entre les
‘ mains des hommes, féduite par l’artifice des paf-
: fions qui l’environnent & qui la flattent , par
la cupidité qui i’ affiège ,' ne reconnoît plus de
bornes.; elle fe perfuade que l’intérêt public
fe concentre en elle feule , qu’ elle doit étendre
fon gouvernement fur tout, 8c fe mêler de tout.
En conféquence, elle entreprend ou fe pro-
pofe ce que ne peut faire la rofée du ciel &
la graiffe de ja terre ; je veux dire , de contenter
tout le monde , ou de faire au moins que
tout le monde fe taife 8c obéiffe comme s’il étoit
content.
D’un autre c ô té , les pallions & les cupidités
partielles des hommes éloignés de ce centre de
puiffance, qui par - là même ne peuvent profiter
^ des ~ erreurs & des foibleffes de l’autorité , vou-
7 dtoient lui tout difputer, méconnoiffent fes droits
; utiles, en lui fuppofànt des devoirs univerfels ,
. d’infaillible utilité.
[ i Ces deux er reurs fi oppofées , 8c , de part &
[ d’autre, produites par des intérêts également aveu-,
f | 'esj portent, dans l’ intérieur d e là fociété, un
( ferment toujours corrofif, dont l’a&ivité cachée
[ fous les apparènees d’un calme trompeur, ne peut
cjetre arrêtéè que par l’ejplofion dés querelles ex-
(Scon. polit. 6* diplomatique. *Tom. II.
térieures ; autre moyen infaillible de dépérilfe-
ment. En-attendant, des trêves artificieufes 8c perfides
compofent un ordre ruineux de conventions,
de droits , de* privilèges , dont l’obfervation 8c
le maintien font l’objet de i’obéiffance , comme
leur infraction deftruétive eft celui des vues ambi-
l tieufes de l’autorité.
La nature , cette bonne mère, appelle également
à fa table ronde tous les individus de la fociété
;. pour recevoir à leur tour chacun fa part à
la fubfiftance ; mais les combats de la cupidité 8c
la fluctuation continuelle qu’ils occafionnent, dans
la foule de ceux qui en approchent, ne permettent
qu’aux plus forts de s’y affeoir , 8c font périr
chaque jour les plus foibles d’ entre les convives
, ainfî que l’efpoir des avantages qui dévoient
naître de leur population 8c de leurs travaux. Parlons
fans figure ; la lutte continuelle du pouvoir
défordonné & de PobéilTance égarée , opéré dans
la fociéçé la dépravation de l'ordre , en renverfant
la diftribution des richeflfes, le cours des dépenfes
& celui des travaux ; en favorifant les attentats
de la force injufte & oppreflive contre les droits
de la foibleffe ; en détruifant enfin la fource des
revenus, par la fpoliation des a.’arc s de la culture
& par le [découragement de fes ag;n?. C e t
enchaînement de défordres qui tendent toujours
plus à diminuer la réproduCtion des fubfiftances
& le nombre des mariages, empêche en même-
temps de naître un furcroît de population , dont
les travaux auroient été fuivis d’un furcroît de
productions, toujours avec le même excédent def-
tiné à des avances futures.
Eh ! le moyen qu’ à travers les brouillards épais
qu’élèvent tant de pallions difeordantes, on puiflTe
voir fe conduire, on penfe à rechercher 8c on
retrouve les voies de la nature, les règles & les
loix de l’ordre naturel, que quelques hommes' Amples
8c ifolés peuvent bien reconnoître encore ;
mais que nul ne peut fuivre, fi la généralité des
hommes ne s’y conforme concurremment.
Quoi qu’il en fo ît, c’eft dans l’oubli 8c dans
l’ignorance de ces voies propices 5 c’ eft dans les
erreurs vexatoires 8c impies qui en réfultent, que
confifte la dépravation de L’ordre , dépravation dont
les détails fans nombre feroient trop longs & inutiles
à développer. Il fuffit de dire que toute prof-
périté humaine dépend de l’ordre focial légal ,
c’eft-à-dire, entièrement conforme aux lois Amples
& favorables preferites par l’ordre naturel, & que
toute inquiétude , toute infortune 8c vexation fo-
çiale proviennent de la dépravation de cet ordre,
( Cet article eft de M. G r i v e l .')
D É P U T A T IO N . C ’eft [’envoi de quelques Iperfonnes choifies d’ une compagnie ou d’un corps,
vers un prince ou une affemblée, pour traiter en
leur nom, ou pour fuivre quelque affairé. Voye£
l’article fuivant D é fu t é .
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