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peuples libres, eft abfolument contraire à la nature
des chofes.
L'état de liberté naturelle, dans lequel fe trouvent
les peuples libres, n'eft point à la merci des
conftitutions civiles. La volonté de chaque nation
eft libre & indépendante j dans les états , àü contraire
y la volonté de chaque citoyen eft foumife à
la volonté générale, qui s'eft formée de la réunion
des volontés particulières. Chaque nation ne
fe propofe que fa félicité particulière * comme chaque
homme le feroit 3 fi les peuplades vivoient
encore dans l'état de nature j au lieu qüe , dans
les fociétés civiles 3 un individu ne peut chercher
fa félicité particulière que par des moyens qui ne
contrarient point la félicité générale.
Véritable état des nations les unes a l'égard des
autres 3 d’ou Von tire ]e_ principe général du droit
des gens.
Les nations n'oht éntt'elles d'autre rapport que
celui d'habiter la même terre , & d'avoir la même
conftitution organique. Elles font dans un état de
parfaite égalité * auquel la différence de force &
de richeffe nb joute ou ne retranche rien.
Il en réfulte que leur volonté eft parfaitement
libre 3 & qu'elle ne peut être affujettie qu'à
la raifon, ou à -Ja contrainte. Si la volonté de
l'une d’entr'elles nuit à un peuple, ce peuplé a
droit delà réprimer par la force, parce que, eu
égard à- leur parfaite indépendance il n'y a
de moyen que la force , pour contraindre une
nation à fe renfermer dans les bornes de l'équité.
Elles font toujours dans le cas d'opprimer, ou
d'être opprimées.
Leur volonté doit recevoir les loix de la raifon ,
parce qu'elles doivent appercevoir qu'elles ne pourront
jamais parvenir à la félicité , fi elles n'ob-
fcrvent pas les loix de la nature & de l'équité ,
dans leurs procédés avec les différentes nations,
& fi elles ne fe conduifent pas à leur égard ,
comme elles défirent que les autres fe conduifent
vis-à-vis d’elles dans les mêmes circonftances.
On tire de-là ce principe général du droit des
gens : chaque peuple doit fe conduire a l'égard des
autres 3 comme i l foukaite que les autres fe conduifent
a fon égard en pareilles circonftances. C'eft la première
& la fuprême loi de l'équité naturelle, fur-
tput par rapport à ceux qui vivent dans'une égalité
& dans une indépendance parfaite.
■ C e principe général eft d'ailleurs analogue à la-
nature du droit des gens , qui repofe fur le con-
fentement tacite des nations , & qui tire toute fa
force de l'ufage.
Il s'enfuit qu'il eft conforme au droit des
gens de fe conduire vis - à - vis des autres nations
, comme elles fe font conduites vis-à-vis de
nous. Il peut en réfulter un droit des gens très-
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cruel j mais ce fera toujours un véritable droit
des gens. La-crainte des représailles contient les
nations ferocés , & le défordre des fociétés & des
peuples autorife quelquefois des vengeances ter-
ribles.
M. de Montefquieu a établi fur le droit des gens
un principe qu'il regarde comme général & comme
la bafe de ce droit. Voici fon principe : les nations
doivent fè faire autant de bien dans la paix } & dans
la guerre le moins de mal quelles peuvent, & que
leur intérêt le permet. C e principe eft très-conforme
a la raifon & a l'humanité, & oppofé aux maximes,
cruelles que différens auteurs ont cherché à
introduire dans le droit des gens. Il diffère peu de
celui que nous avons indiqué tout-aTheure, &
nous n'examinerons pas s'il réunit toutes les qua-
, lites d'un principe général.
La paix eft la première loi du droit des gens.
Les hommes font portés à la paix par le fenti-
ment de leur confervation, par le fentiment de la
peur que leur infpire la nature, par la commiféra-
tion qu'ils éprouvent à l'afpeél de leurs fembla-
bles. Le droit naturel eft le premier guide des nations
qui jouiffent de la liberté naturelle ; ainfî la
paix eft la première loi du droit des gens. La raifon
dicte aufti cette loi ; car çlle montre que les
nations ne peuvent faire la guerre, fans reffentir
de grands maux & de grandes per-tes , & fans
mettre leur félicité & leur confervation au ha*
fard.
La paix eft auffi la cortféquence la plus prochaine
&■ la plus immédiate' du principe général
que nous avons établi fur le droit des gens $ car fi
une nation fe conduit, à l'égard des autres, comme
elles fouhaitent que celles-ci fe conduifent à
fon égard , elle n'offenfera jamais lès peuples
de manière à leur donner fujet de lui faire la
guerre , & elle ne déclarera jamais la guerre fans
un jufte motif.
La fécondé loi eft qu'un peuple peut entrgprendre la
guerre, quand il eft en danger d'être fubjugué ou
détruit.
La confervation de foi-même étant la première
loi de la nature, & tout homme ayant droit d'en,
tuer un autre, quand il y eft forcé pour conferver fon
exiftence j les peuples ont de même le droit de
commencer la guerre, quand ils font dans un
danger certain ou inévitable d'être détruits. Le
droit naturel permet toujours de fe défendre , &
les peuples peuvent commencer la guerre, dans
tous les cas où le droit naturel permet que l'on tue
pour fa propre confervation. Lorfqu'on veut fui-
vre des principes rigoureux, il n'eft pas facile de
. juftifier les guerres entreprifes par d'autres motifs >
mais nous reviendrons fur cet objet à l'article
1 Guerre. •
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L'objet prochain de la guerre, c'eft la conquête ; on
veut conferver les domaines qu'on cherche a conquérir
j ainfi on ne doit point dévafter, ni faire
de cruautés.
L'objet d'une guerre jufte étant, félon les écrivains'
rigoureux ou relâchés , de prévenir fa propre
deftruélion, ou de conquérir un pays, pour
fe venger ou pour obtenir juftice ; dès que le
danger eft pané, que l'ennemi demandera paix ,
& qü'il confent à donner fatisfa&ion, f équité naturelle
& le droit des gens veulent qu on la lui
accorde : car fi on la refufoit, on ne fuivroit
pas le premier principe du droit des gens , qui ordonne
de faire aux autres ce qu'on voudroit qu'ils
nous fiffent dans la même- occafion.
Une guerre qu'on à déclaré avec juftice, peut
enfuite devenir injufte : c'eft le cas; où fe trouva
Charles X I I , roi de Suède 5 il commença la guerre
pour fe défendre contre un agrefteur injufte. Ainfi
elle' étoit parfaitement équitable : mais il la prolongea
dé la manière la plus injufte , en refufant
avec' opiniâtreté des projets de paix très - raifon-
lïables qu'on lui offrit.
Toutes - les guerres de terre ont un autre objet
acceffoire , qui eft de faire des conquêtes pour fe ■
dédommager des frais que la guerre oceafionne ,
ou des injuftices qu’ on a effuyées : ainfi oii fe
propofe de garder les conquêtes q u i, fans ce la ,
ne dédommageraient de rien , & ne feroient profitables
en aucun fens 5 la raifon & le droit des gens
n'autorifent donc pas le vainqueur à dévafter les
pays qu'il a conquis > & comme les nations qui
fe font la guerre, doivent fe faire le moins de mal
pofiible, & qu'il ne leur eft permis de faire que
celui que leur véritable intérêt exige,, la cruauté
contre les fujets de l'ennemi leur eft interdite. La
cruauté d'ailleurs déshonore l'humanité j elle eft
contraire à l’efprit de toute nation raifonnable &
policée. La troifième loi du droit des gens eft donc
de s'abftenir de toute cruauté pendant la guerre.
C e n'eft pas la faute des auteurs qui ont écrit
fur le droit de la nature & des gens, fi lés nations
de l'Europe ne fe livrent plus à la barbare cruauté
des anciennes guerres 5 ils n'ont pas rougi d'en-
feigner que le vainqueur a le droit de rafer-toutes
les villes de* l'ennemi, & de tuer les vaincus , ou
de lés réduire en efclavage, s'il vouloit bien leur
laifler la vie par compaffion.
Les nations , en fe faifant là guerre , doivent laijfer
" un chemin libre aux négociations ou a la paix.
Puifque la paix eft la première loi des nations,
& qu'une guerre jufte; ceffe de l'être quand on re-
fufelapaix , il en réfulte qu'au milieu de la guerre,
les nations doivent laijfer un chemin libre ait retour
de la paix. Q'tft. la quatrième loi du droit des gens.
Les envoyés de l'ennemi qui ont.quelques pfopo-
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Étions à faire, ou quelques papiers à remettre,
de quelque état qu'ils foient, doivent donc jouir
de la sûreté la plus patfaite, tant de la part des
foldats, que du refte des citoyens.
La nature de la chofe & 1*aveu des nations fur
ce point, exigent feulement que., s’ ils font militaires
, ils faflent connoître, par un trompette ou
par un tambour, qu'ils viennent faire un meffage ,
& qu'on n'a rien à-redouter de leur approche. 11
eft d'ufage aujourd'hui que les envoyés d'un ennemi
aient un paffeport de celui auquel on les envoie,
lôrfqu'ils font de l'état civil 5 mais ce n'eft
guères qu'une précaution , pour qu'on ne les ac-
eufe pas d'efpionnage, & qu'ils foient garantis
des mauvais traitemens des partis ennemis qu'ils
peuvent rencontrer fur leur route. C e n’eft point
ce paffeport qui rend la perfonne des envoyés fa-
crée pour les princes & les généraux ennemis. Leur
lettre de créance fuffit à leur sûreté, fans qu'ils
aient befoin de paffe-port. Toutes les nations policées
dé l'antiquité ont accordé une pleine sûreté
aux ambaffadeurs de leurs ennemis 5 & lorfque
Charles XII fit arrêter l'-ambaffadeur d'Augufte 3
roi de Pologne, dans fon quartier général, fous
prétexte qu'il étoit venu fans paffeport j il viola le
droit des gens.
La cinquième loi eft d'obferver inviolablement les paroles
que l’on donne a la guerre.
Les conventions faites à la guerre doivent être
facrées. Si les nations civiliféès ne les obfervoient
pas., leur manière de faire la guerre feroit cruelle
& barbare 5 mais par la corruption de la nature
humaine , la guerre fufpend ou élude toutes les
loix , même celles du droit des gens.
Il s'agit ici des capitulations des fortereffes, de
la promeffe de certaines troupes q u i, en danger
d'être prifes par l'ennemi, fe font engagées à ne
point fervir contre lui pendant un temps déterminé
5 des paroles d’honneur, des officiers prifon-
niers , des fufpenfions d'armes , & de beaucoup
d'autres conventions qui ont lieu dans le
cours d'une guerre. Si une nation ne tient pas ces
fortes de conventions, fes ennemis ne les obfer-
veront pas non plus dans les mêmes circonftances
: fi îè droit des repréfailles les y autorife, la
guerre deviendra plus cruelle & plus deftruc-
tive. >
On a déterminé,'par la crainte des repréfailles>
les turcs à tenir les capitulations qu'ils accordent
aux fortereffes j ils ont enfin fenti qu'il étoit de
leur intérêt de tenir leur parole.
Quels que foient les ennemis, quand ce feroient
des fujets révoltés, contre l'autorité la plus légitime
, il faut remplir les conventions qu'on a faites
avec eux , pendant qu'ils avoient les armes à la
main. Dans le fiècle dernier, un général de l'empereur
en Hongrie ne voulut pas tenir les conven-
j tiôns qu'il-a voit faites avec les mécontens, il fai