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forme varie félon la mode'que ch'aqufe natîoh à
adoptée. La couleur naturelle du fil eft le gris
lave. La rofée qui blanchit nos lins, lui donne
une couleur de citron que les gens .riches préfèrent.
La teinte noire, quùeft à l'ufage du peuple,
yient de l'écorce même de cè-fil, Amplement in-
fufée dans l'eau.
Les premiers européens qui fréquentèrent les
côtes occidentales de l'Afrique, donnèrent delà
vaUur à la c ire , à l'ivoire, aux .gommes', aux
bois de teinture, qui avoient eu jufqu'alors affez
peu de prix. On livrait auffi en échange à leurs
navigateurs quelques foibles parties d 'or, que des
caravanes , parties des états barbarefques, enlevaient
auparavant. Il venoit de l'intérieur des terres
, & principalement de Bambouk , arillocratie
fituée fous les douzième & treizième degrés de
latitude feptentrionale, & où chaque village eft
gouverné par un ch e f, nommé farim. C e riche
métal eft fi commun dans la contrée, qu'on en
peut ramafler prefque indifféremment par - tou t,
en raclant feulement la fuperficie d’une terre argi-
leufe, légère & mêlée de fable. Lorfque la mine
eft très-riche, elle eft fouillée à quelques pieds
de profondeur & jamais plus loin , quoiqu'on ait
remarqué qu'elle devenoit plus abondante, à me-
fure qu'on creufoit davantage. Les peuples font
trop pareffeux pour fuivre un travail qui devien-
droit toujours plus fatigant, & trop ignorans pour
remédier aux inconvéniens que cette méthode
entraîneroit. Leur négligence & leur ineptie font
poufifées fi loin, qu'en lavant l'or pour le déta- ;
cher de la terre, ils n'en confervent que les plus j
groffes parties. Les moindres s'en vont avec l'eau
qui s'écoule par un plan incliné.
Les habitans de Bambouk n'exploitent pas les
mines en tout temps, ni quand il leur plaît. Ils
font obligés d’attendre que des befoins perfonnels
ou publics aient déterminé les farims à en accorder
la permiflion. Lorfqu’elle eft annoncée ,
ceux auxquels il convient d'en profiter , fe rendent
au lieu défîgné. Le travail fin i, on fait le
partage. La moitié de l'or revient au feigneur ,
& le relie eft réparti entre les travailleurs par
portions égales. Les citoyens qui defireroient ces
richeffes dans un autre temps que celui de la fouille
générale, les iraient chercher dans le lit des toro
n s ou elles font communes;
Plufieurs européens cherchèrent à pénétrer dans
une région qui contient tant de trèfors. Deux
ou trois d'entr'eux, qui avoient réufli à s'en ap*
procher, furent impitoyablement repouffés. M .
David , che f des françois dans’ le Sénégal, imagina
en 1740 de faire ravager par un prince foule
les bords du Felemé, d'où Bambouk tirait tous
fes vivres. C e malheureux pays alloit périr, au
milieu de ces monceaux d'or^ lorfque l'auteur
de leurs calamités leur fit 'propôfer de. leur enr-
voyer des^ fubfiftances du fort Gatam, qui n'en
$$ éloigné que de quarante -ligues, s'ils con/en-
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toient à le recevoir & à permettre aux fieris d'exploiter.
leurs mines. Ces conditions furent aecep-
tees, & 1 obfervation en fut de nouveau jurée à
1 auteur du projet lui - même, q u i, quatre ans
apres, fe tranfporta dans ces provinces : mais le
traite n eut aucune fuite. Seulement, le fouvenir
des maux qu'on avoit foufferts & de ceux qu'on
avoit craints, détermina les peuples à demander
des productions à un fol qui n'avoit été fécond
qu en métaux. Il paraît qu'on a perdu l’or de
v u e , pour s occuper uniquement du commerce
des efclaves.
La propriété que quelques hommes ont àcquife
fur d autres dans la Guznee , eft d’une origine fort
ancienne. Elle y eft généralement é t a b l ie f i l'on
en excepte quelques petits cantons ou la liberté;
s eft retirée & cachee. Cependant nul propriétaire
n a droit de vendre un homme né dans l'état
de fervitude. Il peut difpofer feulement des efclaves
qu’il acquiert, foit à la .guerre où tout pri-
fonnier eft efclave, à moins d’échange, foit à titre
d’amende pour quelque tort qu'on lui aura
fa it, foit enfin qu'il les ait reçus à titre de re-
connoiffance. Cette loi qui femble faite en faveur
de 1 efclave-né, pour le faire jouir de fa famille
& de fon pays, eft infuffïfante depuis que
les européens ont établi le luxe fur les côtes d'Afrique.
Elle fe trouve éludée tous les jours , par
les querelles concertées que fe font deux proprietaires
, pour être condamnés tour-à-tour, l'un
envers 1 autre, a une amende qui fe paye en ef*
claves-nes , & dont la difpofition devient libre
par l'autorifation de la même loi.
La corruption, contre fon cours ordinaire, a
gagne des particuliers aux fouverains. Ils ont multiplié
les guerres pour avoir des efclaves, comme
on les fufcite en Europe pour avoir des foldats.
Ils ont établi l'ufage de punir par l'efclavage, non-
feulement ceux qui avoient attenté à la vie on
a la propriété des citoyens, mais ceux qui fe
trouvoient hors d'état de payer leurs dettes, &
ceux qui avoient trahi la foi conjugale. Cette
peine eft devenue avec Ire temps celle des plus
légères fautes , après avoir été d'abord réfervéé
aux plus grands crimes. On n’a celfé d'accumuler
les défenfes, même des chofes indifférentes^
pour accumuler les revenus des peines avec les
tranfgreflions. L'injuftice n'a plus eu de bornes,
barrières. Dans un grand éloignement des
cotes , il fe trouve des chefs qui font enlever^
autour des villages, tout ce qui s'y rencontre. On
jette les enfans dans des facs ; on met un bâillon
aux hommes & aux femmes pour étouffer leurs
cris. Si les raviffeurs font arrêtés par une force
fupérieure , ils font conduits au foüverain qui
défavoue toujours la commiflîon qu'il a donnée >
& qui , fous préfexte de rendre la juftice, vend
fur le champ fes agfens aux vaiffeauxavec lefquels
il a traité.
Malgré ces odieufes rufes , Jes peuples de la
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côte fe font vus hors d'état de fournir aux demandes
que les marchands leur faifoient. Il leur
eft arrivé ce que doit éprouver toute nation ,
qui ne.peut négocier qu’avec fon numéraire. Les
efclaves font pour le commerce des européens en
Afrique , ce qu'eft l'or dans le commerce que
nous faifons au nouveau - Monde. Les têtes de
nègres repréfentent le numéraire des états de la
Guinée. Chaque jour ce numéraire leur eft enlev
é , & on ne leur laiffe que des chofes ^qui fe
confomment. Leur capital difparoît peu a p eu,
parce qu’il ne peut fe régénérer, en raifon de
l'aélivité des confommations. Auffi la traite des
noirs ferait-elle déjà tombée , fi les habitans des
côtes n'avoient communiqué leur luxe aux peuples
de l’intérieur du pays, defquels ils tirent aujourd’hui
la plupart des efclaves qu'ils nous livrent.
C'eft de cette manière que le commerce
des européens a prefque épuifé de proche en
proche les richeffes, commerçâmes de cette nation.
C et épuifement a fait prefque quadrupler le
prix des efclaves depuis vingt ans, & voici comment.
On les paye en plus grande partie avec des
marchandifes des Indes orientales , . qui :ont doublé
de yaleur en Europe. Il faut donner en Afrique
le double de ces marchandifes. Ainfi les colonies
d’Amérique, où fe conclut le dernier marché
des noirs, font obligées de fupporter ces diverfes
augmentations, & par conféquent de payer quatre
fois plus qu'elles ne payoient autrefois.
Cependant le propriétaire éloigné, qui vend
fon efclave , reçoit moins de marchandifes :
que n'en recevoit, il y a cinquante ans , celui
qui vendoit le fien au voifinage de la côte. Les
profits des mains intermédiaires 5 les frais de voyage
j les droits quelquefois de trois pour cent ^
qu'il faut payer au foüverain chez qui l’on paffe,
abforbent la différence de la fomme que reçoit
le premier propriétaire , à celle que paye le marchand
européen. Ces frais groftiflent tous les jours,
par l'éloignement dès lieux où il refte encore des
efclaves à vendre. Plus ce premier marché fera
reculé , plus les difficultés du voyage feront grandes.
Elles deviendront telles , que de ce que le
marchand européen pourra donner, il reliera fi
peu à offrir au premier vendeur, qu'il préférera
de garder fon efclave. Alors la traite cefferg. Si
l'on veut abfolument la foutenir , il faudra que
nos négocians achètent exceffivement c h e rv &
qu’ils vendent dans les proportions aux colonies,
qui, de leur côté , ne pouvant livrer qu'à un prix
énorme leurs-productions, ne-trouveront plus de
confommateurs. Mais , jufqu'à ce période qui eft
peut-être moins éloigné que ne le penfent les colons
, ils vivront tranquillement du fang' & de
la fueur des nègres. Ils trouveront des navigateurs
pour en aller acheter, & ceux-ci des tyrans^pour
en vendre.
Les marchands d’hommes s’affocient entr’eux ,
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& , formant des efp.èces de caravanes, condui-
fen t, dans l’efpace de deux ou trois cents Jieues,
plufieurs files de trente ou quarante efclaves, tous
chargés de l ’eau & des grains néceffaires pour
fubfilter dans les déferts arides que l’on traverfe.
La manière de s’en affurer, fans trop gêner leur
marche, eft ingénieufement imaginée. On paffe ,
dans le cou de chaque efclave, une fourche dp
bois de huit à neuf pieds de long. Une cheville
de fer rivée ferme Ja fourche par derrière, de
manière que la tête ne peut en fortir. La queue
de la fourche, dont le bois eft fort pefant, tombe
fur lejdevant, & embarraffe tellement celui qui eft
attaché, que, quoiqu’il ait les bras & les jambes
libres, il ne peut ni marcher, ni lever la fourche.
Pour fe mettre en marche,, on range les
efclaves fur une même ligne : on appuie & on attache
l ’extrémité de chaque fourche fur l’épaule
de celui qui préfide , & ainfi de l ’un à l’autre
jufqu'au premier, dont l’ extrémité de la fourche
eft portée par un des conducteurs. On n’fmpofc
guère de chaînes aux; autres, fans en fentir foi-
même le fardeau. Mais pour prendre fans inquiétude
le repos du fo.mmeil , ces,marchands attachent
des bras de chaque efclave fur la queue de
la fourche qu’il porte. Dans cet é ta t , . il ne petit
ni fuir, ni rien attente^ pour fa liberté. Ces précautions
ont paru indifpenfables , parce que ft
l’efclave peut parvenir à rompre fa chaîne, il de- .
vient libre. La foi publique, qui affure aii propriétaire
la poffeflion* de fon efc lave, & qui dans
tous les tèrns, le lui remet entre les mains, fe
tait entre l'efclave & le marchand, qui exerce
de toutes les profeffions la plus méprifée.
Les efclaves arrivent toujours en grand nomr
b re , fur-tout lorfqu’ils viennent des contrées reculées;
C et arrangement eft néceffaire pour diminuer
les frais qu’il faut faire pour les conduire*
,L’intervalle d’un-voyage à l'autre, déjà long par
-cette raifon d’économie j peut être augmenté par
.des circonllanees particulières. La plus ordinaire
,vient d’abord des pluies, qui font déborder les
rivières. & languir la traite. La faifon favorable
pour voyager dans l ’intérieur de.l'Afrique eft
depuis février jufqu'en feptembre j & c'eft depuis
feptembre jufqu'en mars que le retour des marchands
d'efclaves offre le plus de cette marchan-
dife: fur la côte. -
S e c t i o n I I I9-
Des êtahlijfemens européens fur la cote de Guinée ,
ô* du nombre d’efclaves qu'on en tire„
Là traite des européens fe fait au nord & au
fud de ligne. La première côte commence au
Cap Blanc. Tout près font Arguin & Portc’îdic*
Les portugais les découvrirent en 1444 j & s 'y
p u K K r p n f 1 -