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d'eux-mêmes, 8c même de les corrompre par des
promefles ou des récompenfes ? Quintilien, dans
fa déclamation 25 5, foutient quil ne faut pas recevoir
des déferteurs de l'armée ennemie. Il veut
qu'on obferve, au milieu de la guerre, les règles
de la juftice & de l'honneur j mais on fait
que la guerre fe moque des principes, de la juftice,
& qu'on s'efforce vainement d’y obferveriës règles
de l'honneur. Grotius prétend que , félon le
droit des gens, on peut fe fervir des déferteurs ,
mais non pas des traîtres. Cette décifiôn ne pa-
roît pas même conforme aux vaines règles qu'é-
tablinent les publiciftes ; ca r , en fuppofant qu'une
puifîance a un jufte motif de faire la guerre, elle
a certainement droit d'ôter à l’ennemi tout ce qui
lui eft de quelque fecours. Il femble donc qu'il
doit être permis de travaillera appauvrir l’ennemi,
en gagnant fes fujets par argent, ou de quel-
qu'autre manière. Mais il faut bien prendre garde
de ne pas fe nuire à foi - même, par l'exemple
qu'on donne aux autres ; 8c c'eft toujours un a été
de générofité de s'abltenir, tant qu'on le peut,
de ces fortes de voies.
D E S SÈ CH EM EN T , c'elt l’opération par laquelle
on tire un terrain bas de defious les eaux qui
le couvrent ; on le deflèche, on l'alfainit. Le def-
féchement eft une annèxe naturelle du défrichement
; cependant les premiers défrichemens durent
précéder le dejféckemcnt. De (impies familles 8c de
foibles fociétcs ont pu 8c dû même commencer
les travaux du défrichement des terres à leur portée
, tandis que les vrais dejféchemens n'ont pu être
que l'ouvrage d'une fociété en force , & par conséquent
nombreufe, d'une nation puiflante.
En effet, le defféckement entraîne néceflairement
l'ouverture des grands débouchés. Je puis défricher
autour de moi, 8c vivre pauvrement des
fruits de mon travail avec ma famille 8c mes voi-
lïns ; mais un petit dejféchement partiel va augmenter
au--deflous l’engorgement, qui bientôt augmente
& s'étend jufqu'à moi, par le gonflement,
par l'humidité, par des vapeurs mal faines & autres
inconvéniens du marécage ; il m'environne, il
me barre le chemin ; en un mot#, le vrai dejféche-,
ment, dans un pays encore neuf, doit commencer
par le bas, par les grandes voies. L'inondation
fut la première oppontion de la nature qui força
les hommes agricoles à la réunion.
Dans les contrées défertes, ( & il en eft trop
encore, ) la terre fe couvre de bois ; les bois attirent
8c concentrent l'humidité ; leurs débris arrêtent
les eaux; celles-ci entraînent des matières
qui forment des dignes naturelles ; tout devient
marais. Telle fut notre Europe dans les temps anciens
encore connus ; telle futl'Afie pour les premières
peuplades ; telle eft encore l'Amérique dans
la plus grande partie de fon continent.
L'homme fe roidit contre Eoppofition 8ç la ré-
fîftance. La néceflité des grands travaux fit les
étroites 8c les fortes réunions. Peut-être que i'ad-
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mirable police de l'ancienne Egypte fut due en
partie aux étranges difficultés que les premiers
habitans trouvèrent à s'établir dans un pays, aufli
contrarié par des accidens périodiques qu'avantagé
par le climat.
Le dejféchement 3 quand il eft poflible félon nos
forces, eft de tous les travaux celui qui donne le
plus d'encouragement. L'eau travaille d'elle-même
à féconder nos efforts qui favorifent fa pente ;
elle les facilite d'une manière admirable. Leur fuc-
cès devient auffi très-frudtueux furies terres def-
féchées ; car ces terres , faciles à manier, fécondées
par les mains du cultivateur, font d'une extrême
fertilité dans les premiers temps. D'ailleurs
la nature femble prendre plaifir à tout apporter
aux lieux des grands débouchés, à tout donner
aux terres d'alluvions.
L'hiftoire de la Chine, la feule qui nous préfente
le tableau d'une nation indigène, & propriétaire
légitime du fol qu'elle occupe aujourd'hui,
nous fait voir les patriarches qui y établirent la
première peuplade , occupés à conquérir fur les
eaux les provinces du fud de ce vafte empire. Les
travaux publics furent leur premier foin , comme
ils doivent être celui de tout vrai fondateur d'empire
; & ces travaux, confiés aux premiers hommes
de l'état, aux plus fages 8c aux plus habiles ;
ces travaux, dont l'exécution les occupa pendant
une longue fuite d'années , étoient tous de àejfé-
chemçnc.
Il eft vrai qu'ils y en mêlèrent d’autres, autant 8c plus néceffaires par la fuite que les premiers ;
nous voulons parler de ceux d'irrigation, ou du
foin de donner aux eaux une dhçÔion nouvelle,
faélice 8c favorable aux divers befoins^ de l’agriculture,
de la population 8c des arts. C 'eft à quoi
nos nations conquérantes n'ont jamais penfé. Auffi,
ne font-elles pas vraiment établies. Mais le dejfè-
chement que l'irrigation rend enfuite permanent 8c folide, doit avoir précédé celle-ci ; puifqu'avant
que de fohger à diriger leS'eaux de manière qu’elles
deviennent utiles, il faut avoir acquis & découvert
le pays où l’on veut les répandre.
Toute prife de pofleflion en grand d’ un pays J?as
doit avoir commencé par le dejféchement. Il a même
; befoin d’ être renouvellé fans ceffe , car tout tend
i à renouveller les inconvéniens de l’inondation.
! Quand même , toujours fidèle aux foins 8c au
culte jpqrnalier & aflidu , pour ainfi d ire, que
dçmande l’agricuïîure prédominante , un peuple
; innombrable 8c laborieux feroit continuellement
| occupé à réparer les dommages des cas fortuits,
à maintenir, à conferver les terres hautes, aies
rétablir , y rapporter les terres & engrais entraînés
par les torrens ; il eft toujours vrai quç
les orages, les crues exceffives & le cours ordinaire
des eaux, tendent à encombrer les bouches
des grands fleuves, & par conféquent à inonder
les parties baffes des terrains qui les àvoifinent.
Ainu le Rhin a formé la Hollande & les petites
provinces
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‘provinces adjacentes tjue les hollaridoîs, fembta-
1 blés aux alcyons, ànt enfuite habitées & fécondées.
Ainfi le Nil forma le Delà, que l’egyptien
rendit le théâtre d'une fertilité prodigieufe ; ainfi
le Danube fe perd en une multitude de bouches,
dont lès rives n'attendent, pour devenir planru-
'reufes, que d’être habitées par un peuple moins
barbare que ceux qui les ont dévaftees jufqu'ici.
Les bouches du Rhône & tant d'autres pourvoient
reprocher à des nations policées, qu elles
! ne le font pas encore dans le vrai fens de ce mot.
' Quoi qu’il en foit, les immenfes travaux par lef-
quels la Hollande fe maintient 8c fe defend contre
les flots 8c les abîmes., prouvent que les travaux
de dejféchement font de la plus grande importance
8c d'une continuité néceffaire, entre ceux
>:què la providence a prefcrits à l'humanité. ;
: Si de ces grands objets , nous partons T ceux
| ‘de détail qui s'offrent à nous dans l'intérieur des
terres, nous en trouverons encore d'immenfes. Les
premiers dont, nous ■ venons de parler, font dans
\ l'ordre des. travaux publics; & r , f i on confidère
| leur étendue, on ne trouvera pas étrange l'opinion
des publiciftes, q u i, renonçant aux fpéculâtions
j 8c aux fubtilités dont on avoit voulu jufqu'à eux
l compofer la politique, ont cru trouver la faine
l& immuable politique', écrite & tracée dans les
lloix de l'ordre naturel, 8c q u i, traitant des dé-
| penfes fouveraines 8c de leur ob jet, ont afligné
■ un tiers de l'impôt aux dépèrrfes des travaux pu-
Iblics.' / j
I A l’égard des objets de détail, relatifs aux def-
wféckemens 3 ils' peuvent, à quelques avances près,
I concerner les dépenfes foncières des propriétaires ;
I & fur cela les changemens dans les moeurs, chan-
j gemens qui tiennent à d'autres caufes phyfiques, I
I peuvent influer beaucoup fur les dejféchemens par-
I ticuliers. Par exemple, il falloit par-tout des bois
| & des étangs, quand les proprietaires hahitoient
■ les campagnes & les châteaux, 8c les bois & les
i étangs fe trouvoient par-tout ; mais depuis que le
i numéraire plus abondant a rendu les revenus plus
I faciles à tranfporter & plus difponibles, les pro-
K priétaires fe font habitués & établis dans les villes,
I & les étangs 8c les bois ont beaucoup diminué ,
I parce que le bois & le poiflon ne fe tranfportent
I pas aufli aifénjent que les grains ; il a fallu des
I revenus dont on pût difpofer à volonté, quoique
I moindres ; les bois fe font rapprochés, les cam-
I pagnes ont été défrichées, & les étangs deflechés
| àvéc profit ; car on n'en vouloit pas donner de
K ferme, la moitié de ce qu'on en donnoit il y a
K cent ans.
Cependant ce dejféchement qui devient unîverfel,
I Zc qu'on croit avantageux aux propriétaires, fait
K beaucoup de tort aü pays. Quand les eaux font
K confervées & retenues, elles femblent doubler en
K apparence 8c doublent réellement en effet ; de
». meme, quand elles font écoulées, elles diminuent,
I ainfi queThumidité, bien plus qu'il ne pâroît à
(E c o p o l i t , & diplomatique. Tome I h
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la v u e , & le terrein s'en relient. Par-tout on abat
& on reftreint les bois, foit en extirpant jufqu’aux
haies & aux bordures, foit en réduifant tous les
bois en taillis, qui n'ont point du tout le même
effet qu'avoient les futaies, pour attirer l’humidité
d'en haut & pour appeller les fources. En
même-temps on defieche & ou défriche les étangs,
les eaux baiffent par-tout. & les ruiffeaux difpa-
roiflént. L'homme, en toutes chofes , ne trouve
rien de fi difficile que de tenir le jufte milieu.
Une forte de dejféchement bien néceffaire 8c
bien digne de l’ attention publique , qui doit
toujours aider & encourager la follicitude privée
, ce feroit d'empêcher ou de détruire les
marais jonequeux & faâices , que des éclufes
& d’autres travaux de main d’homme forment de
toutes parts en retenant & élevant les^eaux, fans
aucune attention pour le dommage qu'en fouffrent
les poffeffions riveraines. Les moulins feuls , qui
en général'donnent le plus chétif des revenus ,
toujouts fujéts à autant & plus de réparations
qu’ ils ne rapportent de profit, fon t, par leurs digues
& leurs éclufes mal conftruites & plus mal
entretenues, une multitude de marécages des bons
'terrains qui bordent les petites rivières & les ruiffeaux.
Indépendamment du remplacement de ces éclu-
lès & des machines grolïières qu'on nomme mou~
lins aujourd’hui, & que l’induftrie & les fciences
méchaniques, appliquées à leur plus utile objet,
pourraient fuppléer par des machines à moudre
moins difpendieufes & plus perfeétionnées, la bien-
tenue de tous ces engins préferveroit les terres adjacentes
de l’effet du rèfluement des eaux & de
leur tranfudation j mais cela tient à la richeffe des
campagnes. La mifère occafionne par-tout le dé-
fordre & la mal-propreté ; la richeffe fe complaît
à la bienvenue. Et qui, la mérite plus que notre
patrimoine, que le fol bienfaifant & nourricier ?
En tout , l'art & le foin du dejféchement & celui
de l’irrigation font lés deux grands àrcs-boutans de
l’agriculture.
( Cet article ejè de M. G u r u . )
D E T T E S PUBLIQUES. C e font les dettes
contraélées par le gouvernement, pour le compte
du public, ou de tous les fujets de l’état, pris col-
leétivement.
Le mot de dettes publiques , employé chez les
peuples les plus connus, dans le fens qu’on lui
.donne ici , femble former un préjugé favorable
pour la folidité de l’état qui en fait ufage. En effet
, l’ufage du mot annonce celui de la chofe ,
& cèlle-ci la confiance qu’ elle infpire. On ne prête
qu’ j celui qu’on croit avoir de quoi rendre, de
manière pourtant qu’on puiffe l’y forcer, s’il re-
fufoit d’acquitter fes engagemens. Cependant le
1 public, qui eft le nom colleétif des individus qui
vivent fous la même lo i , n’ eft en quelque forte
qu’ un être de raifon ; car fi cette réunion ne leut