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Athènes même. Car il ne faut pas confondre ce
qu'on appelloit le fîm t à Athènes, qui étoit ^ un,
corps qui changeoit tous les trois mois, avec 1 A-
réopage, dont les membres étaient établis pour
la v ie , comme des modèles perpétuels- Maxime
générale : dans un fénat fait pour etre la .réglé,
& , pour ainfi dire , le dépôt des moeurs , les
fénateurs doivent être élus pour la vie ; dans un
fénat fait pour préparer les affaires, les fénateurs
peuvent changer. ; , 13_ r . .
Il faut en convenir, 1 auteur de 1 Lfptit des
loix n'a pas examiné tous les inconveniens de fa
maxime, & il a tracé les loix de-la démocratie.
avec la rapidité ordinaire de fon génie._ Les nouvelles
républiques. d'Amérique ont fenti le défaut
de cet axiome ; & , maigre l’autorite de toutes
les républiques anciennes, elles non point voulu
que les fénateurs fulfent en place toute leur vie.
Une pareille combinaifon eft plus favorable a 1 e-
galité ; & quand on voit que l'oppreflion du peu
p ie , dans les républiques, eft prefque. toujours
venue du fénat, il eft clair que les nations, libres
doivent profiter aujourd'hui de la malheureuk expérience
des fiècles paffés. t
Outre l'aréopage, il y avoit à Athènes des
gardiens des moeurs & des gardiens des loix ( i ) .
A Lacédémone, tous les vieillards étoient cen-
fetirs. A Rome, deux magiftrats particuliers avoient
îa cenfure. Comme le fénat veille fur le peuple,
il faut que des cenfeurs aient les yeux fut le peuple
& fur le fénat. Il faut qu'ils rétablirent,
dans la république, tout ce qui a été^ corrompu ;
qu'ils notent la cié'deur, jugent les négligences &
corrigent les fautes, comme les loix puniffent les
crimes.
Toutes les républiques modernes n'imitent pas
l'inftitution de la cenfure qu’avoient adoptée les
anciennes républiques. Voy&{ 1 article Ét a t s -
Un is . Les métaux & le commerce ont tout corrompu
; ils détruilent & détruironrtoujours l’égalité
; ils amèneront le luxe & le dédain de la fim-
plicité, & ils mèneront toujours à cet ordre de
chofes con.raires a la nature de la démocratie. >
La loi romaine, qui vouloit que l’accufation
de l’adultère fût publique , étoit admirable pour
maintenir la pureté des moeurs , elle intimidait
les femmes j elle intimidoit suffi ceux qui devaient
veiller fur elles.
Rien ne maintient plus lés moeurs rqu’ une extrême
fubordination des jeunes gens envers les vieillards.
Les uns & les autres feront contenus s ceux-
là par le refpeét qu'ils auront pour les vieillards, &
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ceux-ci par le refpeâ: qu’ils auront pour etnwnêmes.
Rien ne donne plus de force aux loix que la
fubordination extreme des .citoyens aux magiftrats.
« -La grande différence que Lycurgue ait mife en*
: y» tre Lacédémone & les autres cités y dit Xéno-
| » phon (z ) j-confifte en ce qu'il a fur-tout fait
» que les citoyens ob-éiffent aux loix ; ils courent
» lorfque le m.agiftrat les appelle. Mais 3 à Athées
nés, un homme riche feroit au défefpoir que
» Lan crût qu'il dépendît du magiftrat
L'autorité paternelle eft encore très utile pour
maintenir les moeurs. Dans une république, iî
n'y a pas une force fi réprimante que dans les autres
gouvememens. Il faut donc que les loix cherchent
à y fuppléer : elles le font par l'autorité par
ternelle*
A Rome , les peres avoient droit de vie & de
mort fur leurs enfans ( ; ) . A Lacédémone, chaque
père avoit droit de corriger l'enfant d'un autre.
Au refte, depuis qu'on a approfondi l'étendue
des droits de l ’homme, on ne lait plus tant de
cas de l'autorité abfolue du père fur fes enfans.,
& aucune démocratie moderne ne vou droit imites
en cela les républiques de l'antiquité.
La puifiance paternelle fe perdit à. Rome avec
la république. Dans la monarchie ou Lon n'a que
faire de moeurs fi pures, on veut que. chacun vive
fous la puifiance des magiftrats.
Les loix de Rome, qui avoient accoutumé les
jeunes gens à la dépendance , établirent une longue
minorité. Peut - être avons-nous eu tort de
prendre cet ufagè : dans une monarchie y on n'a
pas befoin de tant de contrainte.
Cette même fubordination, dans la république ,
y pourroit demander que le père reliât pendant fa
vie le maître des biens de fes enfans, comme il
fut réglé à Rome 7 mais cela n'eft pas de i efprit
de la monarchie. . . >
C'eft dans le gouvernement républicain que 1 on
a befoin de toute la puifiance de l'éducation. La
crainte deis gouvememens defpotiques naît d elle-
même parmi les menaces & les châtimens. L honneur
de la monarchie eft favorife par les paillons,
& les favorife à fon tour ; mais la. vertu politique
eft un renoncement à foi-même , qui eft toujours
une chofe très,-pénible. jy .
On peut définir cette vertu, l'amour des. loix
& de Fa patrie. C e t amour, demandant une préférence
continuelle de l'intérêt public, au fien propre,
donne toutes les.vertus particulières.; elles né
font que cette préférence. R
C et amour eft finguliérement affeéie aux demo*
pour qu’ils ne fe négligeaient pas même à la fin délia v ie ; & » en les étabîiflant juges du courage des
jeunes gens, il a rendu la vieillefl’e de ceux-là plus honorable' que la force de ceux-ci.. ...
u) L’aréopage lui-même étoit fournis à la cenfure.
(a) République de Lacédémone. . ' ■ ' a rg
g On peut v o ir , dans l’Hiftoire romaine, avec quel avantage pour îa république on fe fervit de cette
puifiance. Je ne parlerai que du temps de la plus grande corruption. Aulus Fulvius s etoit nus en chemin
pour aller trouver Catilina; fbn père le rappelîa & lé fit mourir. Salufte, de bello CatiL Plufieurs autres
citoyens firent de même?» Dion , liv . XXXVU.
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fraiiiî. Pam elles feuks , k gouvernement eftoonu j
fié à chaque citoyen . O r le gouvernement eft comme
toutes les chofes du monde; pour le confer-
ver , il faut l'aimer. , . M K
On n'a jamais oui dire que les rois n aimaffent
p as la .monarchie,;& que les defpotes haiffent le
<*e$ oufÉ^ p en d donc d’ établir dans la république
cet amour ; & c’eft à l’infpirer que 1 éducation
doit être attentive. Mais , pour que les enians
puiffent l’avoir, il y a un moyen fûr ; ç elt que ,
! les pères l'aient eux-mêmes. H
j On eft ordinairement le maître de donner a les
! enfans fes connoiffances ; on l'eft encore plus .de j
! leur donner Fes partions., . y-$' c . •
Si cela n’arrive pa's, c’ eft que-ce qui a ete lait
dans la maifon'paternelle, eft détruit par les un-,
prefiions du dehors. . , , , N
C e n'eft point le peuple naiflant qui dégénéré;
jl ne fe perd que lorfque les hommes faits font
“déjà corrompus.
S e c t i o n I I e.
J)e la corruption du principe fctninmental de la de-
mocratie, 6'des moyem ds le rétablir.
Le principe de îa démocratie fe corrompt, non-
feulement lorfqu'on perd l'efprit d égalité , mais ,
: encore quand on prend Leïprit d égalité extreme,
& que chacun veut être égal à ceux qu il choilit
pour lui commander. Pour lors le peuple 9 ne
1 pouyant fouffrir le pouvoir meme qu il .confie ,
; veut tout faire par rui-même, délibérer pour le
fénat, exécuter pour les magiftrats., & dépouiller
I tous les juges. j ,
Il ne peut plus y avoir de vertu dans la république.
Le peuple veut faire les fonctions des ma-
giftrats ; on ne les refpeéte donc plus. Les deliberations
du fénat n’ont plus de poids; on n a donc 1
plus, ; d’égards pour les fenateurs, & par confe- r
quent pour les vieillards. Q u e , fi l’pn n'a pas du
refped pour les vieillards ? on n’ en ^ura pas nop ;
plus pour les pères ; les maris ne méritent pas ’
plus de déférence, ni les maîtres' plus de foumif-
fion. Tout le monde parviendra à aimer ce libertinage;
la gêne du commandement fatiguera comme
celle de Lobéiflance. Les fermes les enfans,
les efçlaves p ’àwqnt'âqï fnumiftipn f 9ur petfqnne. |
Il n’y aura plus de raçeurs, plus • d’arupur deLor- ;
dre , enfin plus de yertu.
Le peuple tombe aans ce,malheurlprfque ceux
à qui il fe confie,, voulant cacher leur .propre cor*
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luption, cherchent à le corrompre. Pour qu’il ne
voie pas leur ambition, ils ne lui parlent que de
fa grandeur ; pour qu'il n'apperçoive pas leur
avarice, ils flattent fans ceffe la fienné.
La corruption augmentera parmi les corrupteurs,
& elle augmentera parmi ceux qui font déjà corrompus.
Le peuple & djftribuera tous des deniers
publics ; & , comme il " aura joint .à fa parefle la
.geftion des a f fa i r e s i l ypuflra joindre à fa pauvreté
les amufemens du luxe. M a is , avec fa pa-
reflî & fon luxe , il n’y aura que le tréfqr public
qui puiffe êfre un objet pour lui. . '
11 .ne faudra pas s'étonner, fi l'on yoit les fuf-
frages je donner pour de l'argent. On ne peut
donner beaucoup au peuple, fans retirer encore
plus de lui : mais, peut retirer de lu i, il faut ren-
verfer l ’état. Plus il paroîtra tirer d'avantage de
fa liberté,, plus jl,s'approchera du moment où il
doit la perdre. Il fe forme de petits tyrans, qui
ont tous les vices d'un feul. Bientôt ce qui refte
de liberté devient infupportable ; un feul tyran
s 'élève, & le,,peuple perd tout jufqu’aux avantages
de fa j cohruptjon. ;
La démocratie a donc deux.excès a éviter ; l’ef-
prit. d'inégalité „ qui 1,a mène à l’atiftocratie, ou au
gouvernement, d'un feul, j & l'efprit d égalité extrême,
qui la conduit au defpotifme d'un feul »
comme le defpotifme d'un feul finit par la con-
quête. . .i . . i . , ,
Il eft vrai que,ceux qui corrompirent les républiques
grecques, ne devinrent pas toujours tyrans;
c'eft qu'ils étoient plus attachés à l’éloquençp
qu’à l'art militaire, outre qu'il y avoir, dans le
coeur de tous les grecs, une haine implacable
contre ceux qui rénverfoient le gouvernement républicain
; ce qui fit que l'anarchie dégénéra en
anéantilfement^, au-lieu de fe changer^ en tyrannie.
Mais Syracufè , qui fe trouva placée au milieu
d’un grand, nombre de .petites „oligarchies chan-
; gées en tyrannies (O ; Syracufè qui avoit un fé-
.nati l ) ,. dont, il n'eft prefque jamais fait mention
dans l’ hiftoire,, effujta des . malheurs que la corruption
ordinaire ne donne pas. Cette ville, toujours
dans la licence (5);,ou dans l'oppreffion ,
également travaillée par fa liberté & par fa fer-
vitude, recevant .toujours l’une & l’autre comme
.une tempête ;; malgré fa puifiance au dehors,
jtmijours déterminée à une révolution, par la plus
petite force étrangère, avoir dans fon fein un peuple
immenfe,' qui n'eut jamais que cette cruelle
.alternative de fe donner un tyran, ou de 1 etre
.lui-même.
(4> Voye\ Plutarque, dairi les-viefedè Timotéon Se-de Dion.
li) C’eft celui des lix cents, dont parle Diodore. , „ , , , . * - ,
..<»1 Avant A mR ■ les-tyïans-,-elMt- citoyens -des étrangers & des-foldats mercenaires ,_ce qui eau fa de
guerres civiles. Arijlote, Polit, liv. V, chap. in.Le peuple ayant ete caufe.le: la v-éjoirefuries =t “ e",lens>
la république fut changée ,. ibid. chap. IV. La paffion de déux jeunes magrfoats, dont lun enleva a l autre
un- jeune' garçon:, ,£c ceiui-ci I91 débaucha fa-femine, fit changer de forme a cette république, io . v. V »
cliap.'iY.