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C e n’eft jamais fur la nature d’un bienfait que
perfonne élève des plaintes.
Enfin, il ne faut pas perdre de vue une grande
idée générale. La plupart des états de l'Europe
font par leurs circonftances , ou guerriers, ou
commerçans j &> l’efprit de leur gouvernement
doit s'adapter à ces différences. La France , au
contraire , doit être Tune & l’autre : elle eft rap-r
. pellée aux idées de nobleffe 8c de fervice militaire
, par fa conftitution monarchique 5 & aux
idées de. commerce & de richefles , par la nature
de Ion fol 3 par l’intelligence de fes habitans 3 &
par la pofition du royaume : ces différentes confédérations
fe réunifient pour compofer fa puif-
iiance 5 il faut donc habilement les ménager toutes ;
il faut 3 dans le même temps qu’on nourrit les opinions
qui enflamment l’honneur 8c le courage 3 ne
point décourager celles jqui attachent aux occupations
utiles 8c fécondes de la fociété j 8c comme
les fentimens d’amour - propre & . de vanité qui
meuvent tous les hommes , fon t, en France 3 un
reflort encore plus puiflant 3 l’on ne doit pas le
diriger aveuglément 3 & dégoûter des profeflions
importantes 3 pour ajouter un petit triomphe de
plus à celles qui font déjà favorifées de* tant de
manières. C ’ eft fur-tout dans les villes de grahdes
manufactures 3 ou de trafic maritime 3 qu’il faut
prendre foin du relief & de la fatisfaClion du commerce.
Ainfi, pour citer un feul exemple, bien
loin qu’on doive regarder comme importuns les
privilèges de la ville de Lyon, qui l’autorifent à
fe garder elle-même ; il faut, fi l’on y réfléchit
en homme d’état, maintenir politiquement une
conftitution , qui difpenfe de mêler les militaires
leurs prétentions, au milieu d’ une Cité florif-
fante par l’application univerfelle de fes habitans,
aux occupations du commerce. Il feroit à defirer
même , que dans les villes de ce genre, il n’y eût
aucune grande cour fouveraine > les diftinétions
d’état qu’elles introduifent, nuifent fourdement à
la confidération des négocians, 8c leur infpirerit
infenfiblement une ambition différente. On a v u ,
les années dernières , en France , une grande
affaire, dont l’origine venoit de quelques places
diftinéles aflignées, dans la falle de fpe&acle de
Bordeaux, aux échevins de l’ordre de la nobleffe,
& à ceux du tiers état. Qu’ un véritable adminif-
trateur public confidère , fi c’eft dans une^vdle,
dont le commerce_enrichit la France, que de pareils
ufages doivent fubfîfter î de telles diftinç-
tions, lorfqu’ elles font hors de leur place , font
peut-être un plus grand mal politique, que beaucoup
de loix d’ignorance.
Ces réflexions ne s’ écartent point du fujet
que j’ ai voulu traiter ici j leur efprit s’y lie
Parfaitement 8c l’on peut en tirer une nouvelle
preuve de l’ efpèce d’obligation où eft le.
gouvernement , de biffer ouvertes les voies qui
conduifent à l’acquifition de la nobleffe, fi en les
fermant, il ne redouble pas de foins & de pré-
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J cautions , pour ménager aux autres états, de h
fociété la confidération qui eft due à leur utilité
& à leur importance. Il feroit à defirer , fans
doute , que tous les moyens d’ennoblijjement à
prix d’argent n’ euffent jamais été connus ; mais
quand de pareils ufages fubfiftent depuis longtemps
> quand cette efpèce de lien eft établie entre
les ordres de la fociété qui fe rapprochent par
les lumières & l’éducation $ il faut , en le rompant
, y apporter des ménagemens 5 il faut, en
rendant plus difficiles tous les changemens d’ état,
adoucir en même temps le§ motifs fenfibles de
jaloufîe. Peut-être , quelques perfonnes trouveront
- elles que tant de circonfpeétion eft inutile ;
que le gouvernement auroit trop à faire , s’il pefoit
fans cefle, 8c dans une exaéfce balance, le s ‘droits
ou les prétentions de toutes les claffes de la fociété
, & s’il s’inquiétôit de concilier ou de réunir
tant de rapports différens t fans doute , c ’eft
à cette condition que Tadminiftration eft difficile 5
mais les intérêts d’ i&ne nation, la juftice due à tous
les ordres qui la’ compofent, ne font pas un fi
petit objet, qu’on püiffe s’en occuper fans nonchalance
: c ’eft un ouvrage de peine, mais fi beau
dans fes fins , fi grand dans fes rapports, que l’on
y doit-au moins le tribut de fes forces.
EN T E R R EM EN T . F o y e i l’article C imet
ièr e . . >
EN TR A V E S , f. f. C e m o t, dans fon fens
propre & primitif, eft le nom des liens dont on
embarrafle les jambes d’un cheval. Par extenfion ,
les entraves font les fers aux pieds , comme les;
menottes font les fers aux mains. Figurement, il
fignifie obftacle, empêchement.
C ’eft par une métaphore très - jufte que cette.
expreflion a été transportée dans la langue de
l'économie politique. En effet, c’eft l’ a&ion des
pieds que demande le. commerce, ame de la vie
fociale, & non celle des mains 5 car les menottes
11’empêchent ni le rapprochement , ni la parole-
qui fuffifent pour conclure des échanges 5 mais ce
qui gêne le rapprochement, arrête tout.
La vie humaine eft néceffairement fociale. Elle
ne fauroit l’être néanmoins , fi la faim fe faifoit
fentir trop vivement j car dans ce cas, un aflocié
dévoreroit l’ autre , plutôt que de travailler au
bien de la fociété. Les' hommes ne peuvent^être
aflociés- que pour le travail, à l’effet d’échapper
à la misère. Les moyens de recherche pour trouver
la fubfiftance , comme la chaffe , la pêche
8cc. doivent manquer tôt ou tard par épuifemenf..
L ’agriculture feule, qui fait un traité avec la nature
, eft un moyen durable & abondant, en rai-
fon du contingent que nous pouvons mettre dans
cette fruétueufe alliance , moyen périodique &
perpétuel. Mais ce traité , pour être avantageux*
exige ïéfidence * car la nature, qui travaille fans
relâche, demande fans ceffe une portion quelconque
de la mife de fon coopérateur.
Telles font les premières 8c radicales entravex
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3e l’homme, cet être libre qui prétend 8c veut x
être indépendant, & qui naquit '3 qui vit &
meurt dans la dépendance de la nature, laquelle
ne peut même lui permettre de s’en écarter : mais
ces entraves A ï font favorables.
Chaque befoin annonce le plaifir d’y fatisfaire j
de même la loi de réfidence accorde le fuccès des
travaux, la propriété, fa jùrifdiétion & fes fruits.
Cependant, nous avons vu qu’en ce genre, le
travail le plus affidu ne pouvoit fatisfaire qu’ à une
forte de befoin 3.que l’ homme en avoir plufieurs,
tous fucceffivement impérieux, à mefure que les
premières néceffités étoient fatisfaites, 8c qü’il ne
pouvoit fournir à ces befoins fucceffifs , que par
le moyen de l’échange avec fon voifîn. Tous les
deux, fédentaires par la nature de leur travail ,
ils doivent néanmoins fe rapprocher par la nécef-
fité de faire leurs échanges j 8c l’on ne s’entend
que de près. Ils doivent auffi rapprocher les matériaux
de ces échanges 5 car comme on dit vulgairement
: on n’acheté pas chat en poche. La Habilité
.ordonnée par la nature de leurs travaux, la
tranfplantation forcée par la nature de leurs be-
foins j voilà les deux contraires qu’il faut abfolu-
mentconcilier, 1 en prenant fur l’un & fur l’ autre,
& le moins qu’on peut fur les deux.
Cette conciliation a d’abord fait najtre le courtage
, oeuvre des entremetteurs qui traitent de part
& d’autre, indiquent 8c propofent les échanges5
elle a enfuite produit le trafic , c ’eft-à-dire, le
commerce de revendeurs , qui fe chargent des voyages
8c des* tranfports des marchandifes, achètent
d’une main 8c emmagafinent, vont ailleurs 8c
revendent de l’ autre , & qui font leurs affaires fur
les différences de prix des deux côtés, comme les
'‘courtiers fe payent fur le bénéfice des commif-
fions.
Tous ces entremetteurs ne font que des repré-
fentans des confommateurs de part & d’autre j &
ils ne^ font profitables qu’autant que, par leu^jn-
duftrie, l’habitude & la vigilance, ils trouvent
moyen de diminuer les frais de rapprochement
pour les parties intérefiees, qui toujours &en toutes
manières payent ces frais. Toute l ’utilité du commerce
ne confifte qu’en diminution de l’efpace qui
fépare les confommateurs refpeétifs, toujours né-
ceffaires les uns aux autres dans toute Yociété. A
bon droit donc nous avons dit que c ’eft de fes pieds
dont a befoin le commerce, & que tout ce qui le
gêne eft entraves.
S i , par exemple, connoiffant l’avantage du
commerce , du trafic & de l’ aétion qui le met en
oeuvre, l’adminiftration entreprenoit d’autorifer les
courtiers, de les privilégier, favorifer, &c; il don-
neroit au contraire par-là des entraves au commerce,
à la confommation 8c à la production j car
ma confiance eft à moi, & je fuis feul juge valable
des convenances entre celui à qui je l’accorde
& moi ; 8c fi vous me preferivez l’entremetteur de
mes affaires, je ferai peut - être forçé de m’en
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fervir ; mais je ne ferai que des affaires forcées ,
acheminement vers la langueur. De fon côte , le
courtier abufera de fon droit, groffira fon falaire
par accroiffement de frais, diminution d’échanges
, 8c par conféquent de confommation, & par
conséquent de production.
Il en eft de même, fi l’autorité favorife le trafic
, fi elle le privilégie & regarde fes profits comme
un avantage national : c’eft fon aCtion, c ’eft fa vigilance
, fa fécurité & la multiplicité de fes en-
treprifes qui font un avantage pour tous 5 ma^s
tout cela doit être animé par la concurrence, 8c
ne peut s’ étendre qu’en raifon de la multiplicité de
fes pratiques. Cette multiplicité dépend de celle des
confommations payées. Le confommateur ne peut
payer que par échange avec les denrées dont il a
befoin j & plus vous augmentez les frais de l’échange
, plus vous en altérez la fubfiftance ;
moins il lui refte pour payer, acquérir & con-
fommer.
Une telle erreur fuppoferoit qu’on ne peut fe
mettre dans, la tête ce point fixe 8c capital j que
toutes les dépenfes n’ont qu’une feule 8c même
fource, d’où il. fuit que toutes les fauffes- dépen-,
fes font faites en diminution des vraies.
Au lieu de s’en tenir à ce point, central du méandre
des confommations, d’où l’on peut en démêler
aifément toutes les finuofités apparentes , on
s’imagine que tout profit eft une création de ri-
cheffes. On voit naître 8c croître rapidement une
ôu plufieurs fortunes ÿ on les admire, on les envie
j mais bien peu recherchent, & nul ne discerne
fi cette fortune eft une excroifTar.ee qui
deffèche les parties environnantes, 8c par conféquent
le corps entier de la fociété, ou fi elle accroît
la mafle des fortunes réparties dans la fociété.
Il n’en eft aucune de ce dernier genre, qui ne foit
faite de moitié avec la nature i 8c la fociété éclairée
ne devroit chercher que fous l’habit groflîer des
entrepreneurs de culture fes bienfaiteurs en ce
genre, ou tout au plus fous le furtout de Quelque
propriétaire de campagne, mis peut-être en
carricature dans quelque farce des bateleurs favoris
de l’ oifiveté.
Ceux qui gouvernent fagement les fociétés >
ceux qui fe. dévouent par honneur & avec magnanimité
pour la défenfê de la patrie j les maîtres
de l’inftruétion qui enféignent le bien 8c défî-
gnent le mal j lés magiftrats qui le répriment ,
•font les vrais bienfaiteurs de la fociété. Les gens
de bien, les bons pères de famille la maintiennent
& la perpétuent. Cependant nul ne la fait croître di-
reétement & s’étendre en profpérité & en vigueur,
que celui qui met eonftamment fes fonds en valeur,
& place fes avances, dans le fein de la terre ,
qui lui en rend l’intérêt 8c double encore fa mife
félon le terme 8c l ’efpèce du contrat 5 mais il faut
que ce cultivateur pafTe de main en main fur le
champ tout ce qu’ il puife dans le fein de cette
mère conimune, fans quoi bientôt le cours dç fe$
P p i