
du gouvernement qu’ils auront quitté, ils y feront
familiarifés dès l’enfance , 8c s’ils viennent à y
renoncer j ce fera pour fe livrer à une licence
qui n’aura point de bornes 5 car l’homme , en pareille
circonftance , va toujours d’une extrémité à
l ’autre , & ce feroit un prodige , s’il s'arrêtait
précisément au point d’une liberté modérée. Us
tranfmettront à leurs enfans leurs maximes avec
leur langue , ils auront dans la légiflation de l’état
une part proportionnée à leur nombre 5 ils y répandront
ieur eSprit , ils en altéreront la droiture
3 8c ils la rendront un corps hétérogène 3
incohérent & divisé. On en a fait la malheureufe
expérience durant la guerre j & fi les républiques
du nouveau-Monde profitent de cette le çon, elles
deviendront plus homogènes, fi l ’on peut parler
ainfi ; elles feront plus paifibles & plus durables.
On leur confeilleroit donc d’offrir un afyle à tous
ceux qui Se présenteront s qu’ elles Servent de refuge
aux malheureux que la miSère chaffera de
l ’Europe, mais qu’elles n’ attirent pas un trop
grand nombre d’émigrans.
Une autre confidération doit les arrêter. Leur
conftitution aura peine à Se maintenir au milieu
des orages , des défordres & des crimes d’une
grande population : elles fe font ménagé la ref-
fource de la changer ; mais c’eft toujours un malheur
pour une république d’avoir à changer fa
conftitution , & il eft bien rare que les ambitieux
& les Scélérats ne profitent pas de ce moment
pour nuire à la liberté.
. Les remarques que nous venons de faire* rie ,
regardent point les ouvriers utiles 5 les Etats-
Unis en ont befoin , & il eft raisonnable
de leur offrir _ toutes fortes d’encouragemens ;
ils apporteront des préjugés abfurdes & des maximes
dangereufes, mais la force morale des citoyens
détruira ces funeftes effets.
A la fin de 1785, les Etats-Unis avoient reçu
à peu près cinquante mille émigrans : la plupart I
étaient irlandois, & le plus grand nombre des
autres, allemands ; ils débarquoient fur-tout à Philadelphie
, à Baltimore & à la, Nouvelle-York.
On affure que plufieurs Sont revenus en Europe ;
mais on ne peut croire que ces bruits vagues aient
un fondement bien Solide.
Le nombre des royaliftes qui ont quitté la Nouvelle
York, la Caroline Sud & la Géorgie , lorf-
que l’armée britannique a évacué ces deux provinces,
a été confîdérable ; mais il eft difficile
d’évaluer le nombre de ceux qui ont abandonné
les Etats- Unis depuis cette époque ; on en compte
à peu près deux mille.
On croit qu’il y a 6yô,000 nègres dans les cinq
états les plus méridionaux ,. & que les huit autres
n’en contiennent pas plus de cinquante mille. Ces
derniers ont pris des mefures efficaces pour l’é- ■
mancipation future des efclaves. Les premiers
n’ont rien fait Sur cet objet. On eft très-difpofé
à les affranchir en Virginie j ceux qui le défirent
forment cependant la minorité dans tout l’état (1)5
mais ce font les hommes les plus éclairés où ils
jouiftent de plus de crédit, & leur nombre s’accroît
continuellement de prefque tous les jeunes
gens qui arrivent aux emplois. Il paroit qu’une
fi heureufe révolution ne tardera pas à avoir lieu.
Le Maryland & la Caroline feptentrionale ont
peu de citoyens difpofçs à les affranchir, & per-
fonne n’y longe' dans la Caroline méridionale 8c
la Géorgie : ces deux provinces au contraire ont
continué l’importation des nègres que le refte
des Etats-Unis a défendue depuis,long-temps.
L’auteur des notes fur Yétat de Virginie a très-
bien développé la malheureufe influence qu’auroit
la .fervitude des nègres fur les moeurs des citoyens
des' Etats-Unis 3 & on ne fauroit répéter
allez que les nouvelles républiques fe déshonoreront
, fi elles retiennent les nègres dans l’efcla-
vage. La cupidité feule pourroit y déterminer
les provinces méridionales j car il eft prouvé que
les blancs fupportent les travaux de la culture
dans, la Caroline méricjionale & la Géorgie. La
fervitude établie dans les républiques les plus célèbres
de ^antiquité eft une tache qui fouillera
à jamais la mémoire de ces anciens gouvernemens,
& , comme nous l’avons dit tant de fois, les.
républiques du nouveau-Monde ne doivent pas
imiter les républiques de la Grèce ou de l’ancienne
Italie : qu’elles imitent plutôt l’Angleterre, un
nègre y devient libre dès qu’il a mis le pied fur
cette terre facrée. Sans doute l’émancipation des
efclaves ne peut fe faire tout d’un coup j des
enthoufiaftes- feuls la confeillent fans précaution ,
mais il faut s’en occuper dès-à-préfent, & travailler
tout de'fuite à ce bel ouvrage. Sans doute
avant la révolution, les nègres de l’Amérique
feptentrionale étoient moins maltraités & moins
accablés de travail qu’aux iftes. Les loix les pro-
1 tégeoient plus efficacement, &ilétoitrare qu’ils
fuffent la viétime de la férocité & des caprices:
de leurs maîtres. Cpendant ces exemples arri-
voient, & l’épouvantable hiftoire de ce malheureux
nègre fufpendu dans une cage de fer au milieu
des bois, 8c rongé vivant par les oifèaux'
de proie dont parle le Cultivateur américain 3 ne1
le prouve que trop.
On a obférvé x nous en conviendrons encore
que la fevérité & la dureté du- maître envers fon;
efclave diminuent , & que le fort des efclaves
s’adoucit, depuis que les colonies forment desétats
libres 5 mais enfin l’efclavage fubftfte, & il
eft douloureux de voir les provinces les plus méridionales
méprifèr tout ce qu’on a fait pour leur
affranchiflement*
fi) Voyt\ ce que nous avons dit dans la feétion huitième^-
U faut rendre juftice au congrès, il n*a rien
oublié de ce qui pouvoit hâter une aufli belle
operation : il a même profité avec adreffe des
pouvoirs que lui donne l'aCfce fédératif, & il avoit
imagine en 1784 un heureux expédient pour détruire
la fervitude. Le 19 avril de cette année , on
V propofaqu’aprèsl’année iSoode l’ère chétienne,
il n’y auroit ni efclavage, ni fervitude involon-.
taire dans le territoire de. l’Oueft, exceptées les
fervitudes infligées pour des crimes > flx des dix
états affemblés en congrès, votèrent pour la motion
, mais elle avoit befoin de fept voix ; l’un
des trois députés , qui pouvoit former cette fep-
tieme v oix , donna fon fuffrage en faveur de la
motion $ & elle fut rejettée, parce qu'il ne put
ramener-à fon opinion un de fes deux collègues (1 ).
La deftinée d’un million d’hommes qui naîtront
un jour, dépendit alors du o u i, ou du non d’un
feul individu. Il eft à defirer que les amis de
1 humanité montrent ici de la conftance, & qu’ ils
remettent cette affaire en délibération toutes les
années. Le 16 mars I78 y, l’un d’eux a demandé
que la même propofition fût renvoyée à un comité:
elle y a été renvoyée par les fuffrages de huit états
contre trois ; & quoique nous n’ayions pas de
nouvelles ultérieures / ce petit fuccès donne des.
efpérances.
L ’aéte du congrès n’eût pas obligé les treize
provinces aCfcuelles à affranchir les nègres, après
l ’année i 8ooj car la décifion de ce point appartient
au corps légiflatif de chaque état 5 mais la
fervitude eût été abolie dans les nouveaux états
qui fe formeront fur le territoire de l’O ue ft, &
un fi bel exemple auroit produit les effets les plus
heureux. On demandera peut-être comment le
congrès çourroit abolir aujourd’hui la fervitude
dans les états qui fe forment , puifqu’il n’a pu
l’abolir dans les treize républiques qui exiftent
maintenant : la difpofition des terres de l’Oueft
fe trouve de fon reffort 5 lorfqu’ila fait pour la vente
8c la cultutre de ces terres les arrangemens dont
nous parlerons plus bas , il s’eft trouvé le maître
d’en fixer les conditions » & parmi ces conditions,
il vouloit inférer^ l’abolition de la fervitude, après
l’année 1800^ S’ il ne l’ajoute pas à celles qu’ il a
déjà établies , les diftri&s du territoire de l’O ueft,
qui feront admis un jour au congrès, auront alors,
comme les treize républiques actuelles, le droit
de ftatuer ce qu’elles voudront fur cet objet.
S e c t i o n X I e.
Du commerce , de la marine G* de Varmée des
Etats-Unis.
Pour ne rien dire de vague, nous avons
placé à l’article particulier des différens états 3
ce qui regarde le commerce de chacune des
provinces ; & nous donnerons peu d’ étendue a
cette fe&lon.
Le voyageur américain évaluoit, avant la révolution
, le commerce des provinces feptentrio-
nales de l’Amérique, avec les iftes des Indes
occidentales, au tiers de celui qu’elles faifoient
avec la Grande-Bretagne : les provinces de la
Nouvelle Angleterre,Conneélicut, Rhode-Uland
& le nouvel Hampshire, envoyoient d’ailleurs à
la côte d’Afrique quatrè-vingt-dix vaifleaux pouf
la traite des ‘negres. Leurs cargaifons pour les
Antilles & la partie méridionale de l’Amérique,
ainfi que pour Surinam, Démérari, & c . , & c . ,
confiftoient en rum, mélafle, chandelles de Sper-
maceti, tabac & autres provifions. Les quatre-
vingt-dix navires employés à la traite des rregres,
apportoient ordinairement 9900 efclaves, lef-
quels à trente - cinq livres par tête , formoient
une fomme de 346,500 livres fterlings.
Si les liaifons de commerce, établies avec les
| anglois, ont diminué depuis la paix, celles qu’ont
formées les citoyens des nouvelles républiques
avec la France, l’Efpagne & la Hollande, ont
augmenté & elles augmentent chaque jour. Les
négocians des Etats- Unis ont même pris un effor
bien rapide, car ils ont^déjà envoyé des navires
à la Chine > & ce qui eft peut-être plus extraordinaire
, on a vu des bâtimens américains mouillés
dans le port de Conftantinople. Maintenant
qu’ils ne font plus fous le joug de l’ambitieufa
Angleterre , qui gênoit leur commerce & leur
navigation avec tant de rigueur j on verra leurs
pavillons flotter fur toutes les mers, &dans tous
les ports du monde, & leur commerce ne prendra
que trop des accroiffemens nuifibles à leurs
conftitutions & à leur liberté.
Avant la guerre la conftruétion des navires
étoit confîdérable. Les Américains les envoyoient
aux Antilles, chargés des productions du continent
> ils les échangeoient contre les productions
de ces ifles, qu’ils portoient enfuite dans
la Grande - Bretagne , où ils vendoient les bâtimens
& les cargaifons > & les capitaines expé-
dioient des ports d'Angleterre, des toiles à voiries
& d’autres articles, pour achever l’équipement
des navires américains qui fe trouvoient
fur les chantiers.
L ’intérêt permis de l’argent é to it, avant la révolution,
de 5 p.^ dans la plupart des provinces,
& il eft aujourd’hui le même.
L ’union américaine n’a pas encore établi les
loix qui doivent régler fon commerce : nous
avons parlé des nouveaux pouvoirs qu’il faut
donner au congrès fur cet o b je t, & jufqu’à
l’époque où ce point important fera décidé ,
, 8c où la Grande-Bretagne & les autres puiffau.
C1 ) Voyei le journal du congrès de 1784,
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