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de 1771 3 avec le produit de foixante années de ;
taille 3 de franc-fief, peut - être ,' & de toutes les
impofitions qu'auroient payé ces familles ennoblies
, & ce qu'elles devraient payer par la fuite 3
& on veflfa ce que l'état a perdu.
Si l'on dit que, malgré ces ennoblijfemens & la
poftérité des ennoblis toujours croiffante, la taille
des villages a été portée au même taux, & qu ainfi
leur contribution a été acquittée par les taillables :
ces ennoblis ont donc acheté le droit de charger
leurs voifins d'un furcroît de taille J & c'eft le
gouvernement qui les y autorife. C e ne font donc
pas ces enpoblis qui ont payé leurs lettres de no-
bleffe 3 ce font leurs voifins, c'eft tout un village
qui s'eft cottifé & fe cottifera chaque année pour
les faire jouir de leurs privilèges. Eft-ce là uni aéle
de fageffe ? L'article 4 de l'édit çle Louis XIII de
1634 porte expreffément que les habitans despa-
roiffes où demeurent les ennoblis, feront indem-
nifés. Mais fi l’état les indemnife -3 Y ennoblif'ement
lui eft peu utile ; & s'il ne les indemnife pas, il
manque à fa parole, & , pour fubvenir à un moment
de détreffe, il fait une chofe injufte & préjudiciable
à la nation dans tous les temps.
Ces reffources ont prefque toujours été mifes
en ufage à des époques de difiipation & de gaf-
pillage, Sc c'eft un nouveau motif pour les prof-
fcrire.
Malgré toutes les raifons fpécieufes qu'on pourroit
donner du contraire, la nobleffe même qui
eft le prix du mérite & des fervices dans l'ordre
c iv il, ne devroiç point être héréditaire 5 car les
ennoblijfemens augmentent le nombre des gens oi-
fifs q u i, parleur inutilité, & fouvent par leur
dureté & leurs moeurs déréglées, pèfent fur la
fociété dont ils partagent les avantages , fans partager
les charges publiques. Les chinois font plus
fages que nous. Le fils du premier mlndarin rentre
dans la claffe du peuple, fi fon mérite ne le
rend pas digne du rang de fon père. Parce qu'un
de nos ancêtres fut affe'z, riche pour acheter une
charge, ou parce qu'il eut affez de talens & de
vertus pour la remplir honorablement , ou enfin
parce que quelque grande & importante corifidé-
ration le fit élever àu-deffus de fes égaux, eft-il
conforme au droit naturel que fes enfans qui ne
poffèdent pas la même dignité, qui n'ont ni fes
talens ni fes vertus, qui n'ont rendu & ne rendent
aucun fervice à l'é ta t, jouiffent des mêmes
diftinérions ?
Un homme d'état qui mérite toute fa célébrité,
& qui, dans ces fortes dé queftions, n'a pas
craint de parler le langage de la juftice & de la
droiture, indique allez les dangers Sr les abus de
la nobleffe; & nous croyons devoir inférer ici ce
morceau d'un ouvrage précieux à tous égards.
« Il ne m'avoit point paru indifférent de connoî-
fre. la quantité de charges, en France, qui pro-
duifent la nobleffe héréditaire, foit dès I'inftant
qu'on en eft revêtu, foit à.la fécondé ou à la troL
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fîème génération, foit au bout d'un certain nom**
bre d'années de poffefïion. Le nombre paffe quatrer
mille, & je crois à-peu-près jufte l'enumération
fuccinte que je vais en donner.
80 charges de maîtres des requêtes.
ico o charges environ dans les parlemens, en
retranchant celles qui font poffédées par les con-
feillers-clercs.
900 charges environ dans les chambres des comptes
& dans les cours des aides.
70 Dans le grand confeil.
30 Dans la cour des monnoies.
20 A u confeil provincial d'Artois.
80 Au châtelet de Paris.
740 Dans les bureaux des finances.
50 charges de grands-baillifs, fénéchaux, gouverneurs
& lieutenans-généraux d'épée.
900 charges de fecrètaires du foi.
Enfin on peut fixer à 200 environ, les offices
en commiffion au parlement de Nanci & au confeil
fouverain .d'Alface, plufieurs charges tenant
au fécond ordre, au Confeil & à la chancellerie,
celles aux tribunaux de la Table de marbre, &
quelques autres encore.
Il faut obferver cependant qu'entre ces différentes
charges, il en eft un grand nombre qui, par
le fait, ne deviennent pas une fource de nouveafx
nobles : car depuis que le royaume en eft rempli,
1 plufieurs cours fouveraines n'admettent que difficilement*,
dans leurs compagnies, les familles bour-
1 geoifes qui n'ont pas encpre acquis cette petite
ülufiration.
En général, ce font aujourd'hui les charges les
moins honorifiques & les moins utiles qui multiplient
davantage les ennoblijfemens , parce qu'àuffi-
tôt qu'on les a poffédées le temps néceffaire pour
tranfmettre à fes enfans les droits qui y fofit attachés
, on cherche communément à s'en défaire.
Parmi les offices de ce genre, on remarque fur-
tout ceux des fecrètaires du roi & quelques autres,
dépendans également de la chancellerie ; 8§
quoique leurs fondrions réunies n'exigent qu'un
travail médiocre, le nombre des charges néanmoins
s'élève maintenant à près de mille. C e foflt
les befoins d'argent q u i, dans des temps de détreffe
, ont donné lieu à la création de beaucoup
d'offices inutiles ; les promeffes- n'étoient plus ef-
timées, les hauts intérêts ne féduifoient plus , on
chercha des reffources par la vente des privilèges y
& pour colorer cette conceffion, on imagina des
fondrions qu'on feignit d'envifager comme nécef-
faires, & l'on y attacha la plus précieufe des prérogatives
dans un état monarchique.
La politique & la famé raifon s'élèvent également
contre de pareilles inftitutions ; une fource
perpétuelle de nouveaux nobles dénature l'idée
qu'on doit fe faire de des diftindrions ; & l'accroif-
fement du nombre des perfonnes qui jouiffent
d'exemptions dans le paiement des impôts , devient
un véritable préjudice pour le refte de la nation.
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Ces confidérations font trop fenfîble*, pôur qu'il
foit néceffaire de s'y arrêter long-temps ; mais il
en eft une moins apperçue, & qui me paroît digne
d'une grande attention.
Cette multitude de charges qui donnent la no-
bleffé, & qu'on peut acquérir à prix d'argent,
entretiennent un èfprit de vanité, qui engage à
renoncer aux établiffemens de commerce ou de
manufaétures, au moment o ù , par l'accroiffement
de fa fortune, on pourroit y donner la plus grande
étendue; époque précieufe où l'on eft plus que
jamais en fîtuation cfe lier fes travaux & fon in-,
duftrie à l'avancement de la profpérité de l'état :
c'eft alors , en effet, que les négocians peuvent
fe contenter d’un moindre intérêt de leurs capitaux
; c'eft alors qu’ils peuvent faciliter le commerce
d'exportation par des avances ; c'eft alors
qu'ils peuvent hafarder davantage & ouvrir, par
des entreprifes nouvelles. , des routes encore inconnues.
Je croîs donc que toutes les. difpofitions
publiques qui augmentent oufavorifent les vanités
étrangères à l'état., dans lequel les divers citoyens
fe trouvent placés, font contraires à une
faine politique. Je n'héfite point à dire que ces
difpofitions arrêtent, en France, le développement
entier des forces & du génie du commerce ;
& ,que c'eft-là une des caufes principales de la
fupériorité que confervent, dans plufieurs branches
d'affaires, les nations où les diftinérions d'état
font moins fenfibles , & où toutes les prétentions
qui en réfultent, ne font pas un objet continuel
d'occupation.
Ces diverfes réflexions femblent indiquer qu'une
des meilleures deftinations du crédit, en temps de
p aix , feroit d’emprunter les capitaux néceffaireS'
pour rembourfer fucceffivement toutes les charges
inutiles qui tranfmettent la nobleffe héréditaire ;
mais les longs abus dans l’ordre moral,.. comme
les longues, maladies dans l'osdre phyfique , permettent
rarement d’employer dés remèdes trop
aérifs, fans s'expofer à quelqu'inconvénient. Rien
ne femble moins raifonnable que de faire, des diftinérions
& des privilèges, un objet de trafic ;
mais lorfqu'il y a un fi grand nombre de citoyens
ennoblis par des charges, qu’eux ou leurs
pères ont achetées, ce n'eft pas une difpofition fi
fimple que de priver tout-à-coup le refte de la nation,
de l’efpoir d'obtenir les avantages qu'une
grande partie ;de leurs , égaux fe font procurés ,
par le mérite feul d'une fortune aifée ; & fi cette
obfervation ne doit pas arrêter la réforme d'un
abus qui. s'accroît-chaque jour , on eft du moins
conduit à penfer que, pour adoucir une pareille
difpofition , il feroit convenable d’honorer davantage
les états utiles qui h'auroiènt plus la facilité
d'arriver à la nobleffe par la fortune. Il faudroit
en même-temps chercher à tempêter- un peu les
nombreufes prérogatives d’un feuï ordre de la
fociété : avantages qui femblent hors de toute r
(Kconl polit. & diplomatique. Tom. II.
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proportion, lorfqu’on rapproche ces diftinétions
du titre originaire de ce nombre prodigieux de
familles ^ qui n’ont acquis la nobleflè qu'à prix
d’argent : on examineroit peut-être alors de nouveau
fi cette inftitutron de nos jours eft bonne ,
qui exige deux où trois degrés de nobleffe, pour
être admis au rang d'officier dans le fervice de
terre & de mer ; c'eft trop p eu, fans doute, à
-l'honneur des vrais chevaliers françois , dont les
titres fe perdent dans la nuit des temps ; & dès-
lors cette même condition ne fait plus qùe pefer
fur des citoyens honorables par leurs fentimens ,
à l'avantage de ceux qu'une fortune du fiècle a
favorifés.
Il faudroit encore , toujours dans le même esp
r it, tâcher d'adoucir ces exceptions, q ui, jufc
ques dans la diftribution des impôts , diftinguent
les états & les perfonnes. Comment n'en réful-
teroit-il pas une fource continuelle d’amertume &
dejaloufie , puifque l'homme le plus nouveau dans
l'ordre de la nobleffe , jouit de ces privilèges à
l'égal des gentilshommes de la plus ancienne racé
? Qu'on me permette même de le dire y fous
un rapport plus général,Ma fimple raifon n'indique
point qfte la plus grande part aux avantages de
i la foqiété , doive être accompagnée de la moindre
part aux charges publiques; le fervice militaire,
qui compofoit autrefois l'un des facrifices
d'un ordre particulier de l'é ta t, étant devenu un
objet d'utilité, de faveur & de préférence , les
premières caufes des privilèges font fenfiblement
altérées ; mais ces vieilles opinions font encore
dans toute leur forcé, & je ne confeillerois point
d’offenfer des prétentions que le temps a confa-
crées : on doit feulement avancer vers un but raifonnable,
par des moyens fages & à l'abri de
toute efpèce de réclamations. L'un des motifs qui
font tenir avec tant d'ardeur aux exemptions, c'eft
' la tâche imprimée fur certaines impofitions : tel-
■ les, par exemple, que la taille, la corvée,, le
logement des gens de guerre, & d’autres encore:
ce feroit une folle entreprife que de vouloir entreprendre
de déranger ces idées , & de vouloir aflï-
miler indiftinélément à de pareilles chargés tous
les ordres de citoyens ; mais à mefure qu'on s’oc-
cuperoit de modifier ces mêmes impôts , les difficultés
difparoîtroient. C'eft ainfi que la taille eft
une humiliation dans la partie du royaume où elle
indique une infériorité d ’état, tandis’que le même
impôt ne rabaiffe perfonne dans les provinces, où
ce tribut défigne uniquement une différence dans
là nature ‘des biens-fonds ; c’eft ainfi qu'on peut
enfuite affeoir, fur ce genre de revenu, la dépenfe
des chemins, fans que l’amour - propre d’aucun
contribuable en foit offenfé. D'aiQeurs , en fuppo-,
fant un moment où le fouverain feroit en état de'
remettre quelques impôts , pourroit - on faire aucune.
réclamation fondée^ fi ces foulagemensétoient
appliqués,.par préférence, à égalifer davantage
les charges des différens ordres des contribuables * p P