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J a m a ï q u e , ifle d’Amérique appartenant à
l’ Angleterre.
Cette ifle qui eft fous le vent des autres ifles
angloifes , & que la géographie a placée au nombre
des grandes Antilles, peut avoir quarante-
trois ou quarante-quatre lieues de long , ’ & feize
ou dix-fept dans fa plus grande largeur. ElLe eft
coupée de plufieurs chaînes de montagnes irré-*.
gulières, où des rochers affreux font confufément
èntaffés. Leur ftérilité n’empêche pas qu’elles ne
foient couvertes d’une prodigieufe quantité d’arbres
de différentes efpèces, dont les racines ,
pénétrant dans les fentes des rochers, vont chercher
l’humidité que laiffent -des orages & des
brouillards fréquens. Cette verdure perpétuelle,
alimentée , embellie par une foule d abondantes
eafcades ,' forme un printemps de toute l’année ,
& préfente aux yeux enchantés le plus beau fpec-
tacle de la nature. Mais, ces eaux q u i, tombant
des fommets arides, verfent la fécondité dans
les plaines, ont un goût de cuivre défagrëable
& mal fain. Le climat eft plus dangereux encore.
De toutes les ifles de l'Amérique, c’ eft la Jamaïque
qui eft la plus meurtrière. On y périt très-
lapidementj & après deux fiècles de défriche-
mens , il fe trouve des diftri&s très-fertiles , même
près de la capitale, où un homme libre ne parferait
pas la nuit fans un extrême befoin.
Précis de l'Jiifioire politique de la Jamaïque. C o lomb
découvrit la Jamaïque en 1494; mais il n’y
forma point d’établiffement. Huit ans après, il y
fut jetté par la tempête. La perte de fes vaiffeaux
le mettant hors d’état d’en fortir , il implora l’humanité
des fauvages, & il en reçut tous les fe-
cours de la commifération naturelle. Cependant
ce peuple , qui ne cultivoit que pour fes befoins ,
fe lafla de nourrir des étrangers qui l’expofoient
à mourir lui-même de difette , & il s’éloigna peu
à peu des côtes. Les efpagnols ne gardèrent plus
alors de ménagement avec ces -timides indiens
qu’ils avoient déjà effarouchés par. vdes - a.êtes de
violence , & ils s’emportèrent jufqu’ à prendre les
armes contre un chef humain & jufte , qui n’àp-
prouvoit pas leur férocité. Pour fortir de cette
fïtuation défefperée., Colomb profita d’ un de ces
phénomènes de la nature, où l’homme de génie
trouve quelquefois des reflburces pardonnables à
la néceflité.
Ses connoiffances aftronomïques I’inftruifoient
qu’il y auro'it bientôt une éclipfè de lune. Il fit
avertir les caciques voifins de s’affembler pour entendre
des chofes utiles a leur confervation. « Pour
» vous punir aJeur dit-il d’un air infpiré, de la
v dureté avec laquelle vous nous laiffez périr j
» mes compagnqns & moi, le Dieu que j’adore
v va vous frapper de fes plus, terribles coups.
y» Dès ce foir, vous verrez la lune rougir., puis
» s’obfcurcîr & vous refufer fa lumière. C e ne
» fera que le prélude de vos malheurs, fi vous
I l vous obftinez à me refufer des vivres ».
A peine l’amiral a parlé, que fes prophétie?
s’accompliflent. La défoiation eft extrême parmi
les fauvages. Ils fe croient perdus, demandent
grâce, & promettent tout. Alors on leur annonce
que le ciel , touche de leur repentir, appaife fa
colère , & que la nature va reprendre fon cours.
Dès ce moment, les Yubfiftanc.es arrivent de tous
côtés, & Colomb n’ en manqua plus jufqu’ à fon
départ.
C e fut don Diegue, fils de cet homme extraordinaire
, Vqui fixa les efpagnols à la Jamaïque. En
, il y fit pafier de Saint-Domingue foixante-
dix brigands fous la conduite de Jean d’Efquimel.
D’autres ne tardèrent pas à les fuivre. -Tous fem-
bloient n’ aller dans cette ifle paifible que pour
s’y baigner dans le fang humain. Le glaive de ces
barbares ne s’ arrêta que lorfqu’ il n’y refta pas un
feul habitant pour conferver la mémoire d’un
peuple nombreux, doux, fimple & bienfaifant.
Pour le bonheur de la terre , fes exterminateurs
ne dévoient pas remplacer cette population. A u-
roient-ils voulu même fe multiplier dans une ifle
qui ne fourniffoit pas de l’or ? Leur cruauté fut
fans fruit pour leur avarice ; & la terre qu’ils avoient
fouillée de. carnage , fembia fe refufer aux efforts
d’inhumanité qu’ils firent pour s’y fixer. Tous les
établiffemens élevés fur la cendre des naturels du
pays , tombèrent à mefure que le travail & lé
défefpoir achevèrent d’épuifer le refte des fauvages
échappés aux fureurs des premiers eonqué-
rans. Celui de Sant-Iago de la Vega fut !e feut
qui fe foutînt. Les habitans de cette ville , plongés
dans l’oifiveté qui fuit la tyrannie après la
dévaftation , fe contentoient de vivre de quelques
plantations > dont ils vendoient le fuperflu
aux vaiffeaux qui pafloient fur leurs côtes. Toute
la population de la colonie, concentrée au petit
territoire qui nourriffoit cette race de defîruéteurs,
étoit bornée à quinze cents efclàves commandes
par autant de tyrans', lorfaue les angiois vinrent
enfin attaquer cette v ille, s’en rendirent maîtres ,
& s’y établirent en 1655.
Avec eux y entra la dïfcorde.Iîs en âpportoient
les plus funeftes germes. D’abord la nouvelle colonie
n’eut pour fiabitans que trois mille hommes
de cette milite fanatique,, q u i avoit combattu &
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tfïomphé' fous les drapeaux du parti républicain.
Bientôt ils furent joints par une multitude de roya*
liftes, qui efpéroienc trouver en Amérique la con-
félation de leur défaite, ou le calme de la paix.
L ’efprit de divifion qui avoit fi long-temps & fi
cruellement déchiré les deux partis en Europe ,
lés fuivit au-delà des mers. C ’en étoit aflez |x>ur
renouveller, dans le nouveau-Monde, les feenes
d'horreur & de fang tant de fois répétées dans
l’ancien. Mais Penn & Venables , conquérans de
la Jamaïque, en avoient remis le commandement
à' l’homme le plus fage, qui fe trouvoit le plus
ancien officier. C ’étoit Dodley, qui avoit plié
fous l’autorité d’un citoyen vainqueur, mais fans
rien perdre de fon attachement pour les Stuarts.
Deux fois Cromwel, qui avoit démêlé fes fen-
ttmens fecrets-, lui fubftitua de fes partifaris, &
deux fois leur mort replaça Dodley à la tête des
affaires. .
Les confpirations qu’on tramoit contre lu i, furent
découvertes “& diffipées. Jamais il ne laifta
impunies les moindres brèches faites à la difci-
pline. La balance fut dans fes mains toujours égale
entre. la faétion . que fon coeur déteftoit & celle
qu’il aimoit. L ’induftrie étoit excitée, encouragée
par fes foins, fes corifeils & fes exemples.
Son défintéreflTement appuyoit fon autorité. Content
de vivre dû produit de fes plantations , jamais
on ne réuflit à lui faire accepter des appoin-
ternens. Simple & familier dans la vie privée, il
&oit dans fa place, intrépide guerrier, commandant
ferme & fevère, fage politique. Sa manière
de gouverner fut toute militaire : c’eft qu’ il avoit
à contenir ou policer une colonie naiffante, uni*
quement compofée de gens de guerre , à prévenir
ou repoufter une Invafion des efpagnols, qui pou-
ÿoient tenter de. recouvrer ce qu’ils venoient de
perdre.
Mais , lorfque Charles II eut été appellé au
trône par la nation qui en avoit précipité fon
père, il s’établit à la Jamaïque un gouvernement
c iv il, modelé, comme dans les autres ifles, fur
celui de la métropole. Cependant ç t ne fut qu’ en
1682 que fe forma ce corps de lo ix , qui tient
aujourd’hui la colonie en vigueur. .Trois de ces
fages ftatots méritent l’attention des lecteurs politiques.
: Le but du premier eft d’exciter les citoyens à
la défenfe de la patrie , fans que la crainte de
Commettre leur fortune particulière puiflfe les1 détourner
dufervice public. Il ordonne que tout dommage
fait par l’ennemi, foit payé für-le-champ
par l’état ; & aux dépens de tous les fujets, fi le
me n’y fuffit pas.
Une autre loi veille aux moyens d’augmenter la
population. Elle veut que tout maître de vaifTeau ,
æuî aura porté dans la colonie un homme hors
d’ état de payer fon paflage, reçoive une gratification
générale de 22 liv. 10 f. La gratification
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pàrtictatîère- eft de 168 ltv. i f f. pour chaque perfonne
portée d’Angleterre ou d’Ècofle ; de i u 1.
pourenaque perfonne portée d’Irlande i de 70 1.
1 y f. pour chaque perfonne portée du continent
dê l’ Amérique ; de 43 liv. pour chaque perfonne
portée des. autres ifles.
La troifième loi tend à favorifer la culture. Lorf-
qu’ un propriétaire de terrés n’a pas la faculté de
payer l’intérêt, ou le capital de fes emprunts , fa
plantation eft vendue au prix eftimé par douze
propriétaires. Sa valeur, quelle qu’elle foit, libère
entièrement le débiteur. Mais fi elle excédoit fes
dettes, on feroit tenu de lui rembourfer le fur-
plus. Cettejürifprudence, qu’on pourroir trouver
partiale , a le mérite de diminuer la rigueur des
pourfuites du rentier & du marchand contre le
cultivateur. ElleUt à l’avantage du fol & des hommes
eu général.'Le créancier en fouffre rarement,
parce qu’il eft fur fes gardes ; & le débiteur en
eft plus tenu.à la vigilance, à la bonne-foi, pour
trouver des avances'. C ’eft alors la confiance qui
fait les engagemens ; & cette confiance ne fe mérite
& ne s’entretient que par des vertus.
Le temps a amëtté d’autres réglemens. On s’ap-
perçut'que. les juifs , établis en grand nombre i
là Jàrnaique, fe faifdièlit un jeu de tromper les
tribunaux de -juftice. Un magiftrat imagina que
ce défordre poüvoit venir de ce que la Bible
qui leur étoit préfèntée, étoit en angiois. Il fut
arrêté que ce feroit fur le texte hébreu qu’ils
jureroient dans la fuite; & , après cette précaution
, les faux fermens devinrent infiniment plus
’ rares.
; Én 17 6 1 , il fut décidé que tout homme qui
j ne feroit pas. blanc , ne pourroit hériter que de
i; ,é i9 ,liv . 3 f - 4 d ,.C e ftatut déplut à plufieurs
membres' dê l’ affemblée , qui s'indignèrent qu’on
voulût ravir à des pères tendres la fatisfaélion de
laiffer une fortune.achetée par de long travaux à
une poftérité chérie , parce qu’elle 11e feroit pas
de leur couleur. On fe divifa, & le parlement
d’Angleterre fe faifit de la conteftation. Un des
plus célèbres orateurs de la chambre des communes
fe déclara hautement contre les nègres-
Son opinion fut que c'étoient des êtres v ils , d’une
e.fpèce différente de la nôtre. Le témoignage de
Montefquieu fut le plus fort de fes argumens ,
& il lut avec confiance le chapitre ironique de
l’EfpriiyLcs loix fur l’elclavage. Aucun des auditeurs
ne .foupçonna les véritables vues d’un écrivain fi
judicieux , & fon nom fubjugua tout le fénat britannique.
Le bill alloit s’étendre aux indiens, lorfqu’ un
homme , moins aveuglé que les autres, obferva
que ce feroit une injuftice horrible de confondre
les anciens propriétaires de l’ifle avec les africains
, & qu’il n’en reftoit d’ailleurs que cinq ou
fix familles. , . , , , ■
Avant qu’aucune de ces loix eût été portée, la
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