
plus ou moins d'économie » & font pafler dans
leur patrie ce qu'ils ont pu épargner de leurs
revenus. Auffi-tôt qu'ils ont atteint le degré de
fortune où ils afpiroient , ils cherchent à fe dé'
barrafler de leurs plantations. Dans une région où
le numéraire manque, il faut les vendre à crédit
ou les garder j & la plupart des propriétaires aiment
encore mieux livrer leur héritage à des acquéreurs
, qui manquent quelquefois à leurs en-
gagemens 3 que de les confier à des régiffeurs rarement
fidèles.
Enfin les avances faites aux colons * ont été
l’occafion de beaucoup de créances. Les terres
des ifles françoifes , comme des autres ifles de
rAmérique , n’offrôient originairement aucune
.production qu'on pût exporter. Pour leur donner
de la valeur 3 il faîloit des fonds ; & les premiers
européens qui les occupèrent 3 ne poflé-
doient rien. Le commerce vint à leur fecours.il
leur fournit les uftenfiles 3 les vivres 3 les efcla-
ves néceffaires pour créer des denrées. Cette af-
fodation des capitaux avec l'induftrie donna naif-
fance à une grande quantité de . dettes » qui fe
font multipliées 3 à mefure que les défrichemens
fe font étendus.-'
Les débiteurs n'ont que trop fouvent manqué
aux obligations qu'ils avoient contractées. Un luxe
effréné 3 que rien ne peut excufer dans des hommes
nés dans la mifère 3 en a réduit pîufieurs à
ce manquement de foi. D'autres y ont été entraînés
par une indolence inconcevable dans des
efprits ardens , qui avoient été chercher au-delà
des mers un terme à leur indigence. Lés moyens
les plus abondans ont péri dans les mains de quelques
uns qui manquoient de l'intelligence nécef-
faire. pour les faire fructifier. Il s'elt auffi trouvé
des colons fans pudeur & fans principes , qui ,
en état de fe libérer avec leurs créanciers 3 fe
font audacieufement permis de retenir un bien
étranger. D'autres caufes ont encore concouru à
diminuer la force des engagemens.
Des ouragans, dont on retraceroit difficilement
la violence , ont bouleverfé les campagnes &
détruit les récoltes. Les bâtimens les plus dif-
pendieux, les plus néceffaires ont été engloutis
par des tremblemens de terre. Des infeCtes in-
deftruCtibles ont dévoré, pendant une longue
fuite d’années, tout ce que l'on pouvoit fe.promettre
d'un fol fertile & bien cultivé. Quelques
denrées , dont la reproduction a. furpaffê la con-
fommation, ont perdu leur valeur & font tombées
dans le dernier avjliffement. Des guerres
longues & cruelles, en oppofant des obftacles
infurmontables à la fortie des productions , ont
rendu inutiles les travaux les mieux fuivis, les
plus opiniâtres.
Ces calamités, qu'on a vu quelquefois réunies
, & qui fe font au moins trop rapidement
fuccédées, ont donné naiffance à une jurisprudence
favorable aux débiteurs. Le légiflateur a
embarraffé de tant de formalités la faille des ter»
' res & des efdaves, qu'il paroît avoir eu le projet
de la rendre impraticable. L’opinion a' flétri
le petit nombre de créanciers qui entreprenoient
de^ vaincre ces difficultés, &c les tribunaux eux-
memes ne fe prêroient qu’avec une extrême répugnance
aux rigueurs qu’on vouloit exercer.
Ce fyftême. qui a paru long-temps le meilleur
qu’on put fuivre , trouve encore quelques
partifans. Qu’importe à l’état , difent ces calculateurs
politiques, que les richeffes foient entre
les mains du débiteur ou du créancier, pourvu
que la profpérité publique foit augmentée. Mais
« la profpérité publique augmente quelquefois
lorfqu'on foule aux pieds, la juftice, lorfque le
miniftère encourage la mauvaife fo i, en lui offrant
un afyle fous la proteétion de la loi, augmente-
t-elle dans ce cas ?
Remarques particulières fur le gouvernement de nos
colonies d'Amérique. Nous avons indiqué , au commencement
de fcet article , les reffources que tire
la France de fes établiffemens aux Antilles. Un
produit fi confidérable ne pourroit..lui échapper,
fans biffer un vuide immenfe dans fou numéraire
3 dans fa population 3 dans, fon indullrie ,
dans fon revenu public. On a fenti l’importance
de conferver ces riches établiffemens ; & pour y
parvenir, on a eu recours à des bataillons, à des
fortereffes. L’expérience a prouvé la foibleffe de
csnrte défenfe. Elle appartient à la marine, & ne
peut appartenir qu’à elle. Qu’on mette donc les.
ifles fous fes voiles » & qu’on verfe dans fes caif-
fes ce que coûtoit la proteétion infuffifante quon
lui accordoit : alors les fonds ordinaires de la
marine de France fe trouverontTuffifans pour donner
à fes opérations , de la dignité Se des avantages.
Les gouverneurs des! colonies françoifes, outre
la difpofition des troupes réglées , ont le droit
d’enrégimenter les habitans , de leur prefcrire les
manoeuvres qu’ils jugent à propos , de les occuper
comme il leur plaît pendant la guerre, de
s'en fervir même pour conquérir. .Dépofitaires
d’un pouvoir abfolu , libres & jaloux de s’en arroger
toutes les foftétions qui peuvent l'étendre
ou l’exercer, ils font dans Lutage de connoître
dés dettes civiles.. Le -débiteur eit mandé , condamné
à la prifon ou au cachot, & forcé de
payer.fans d’autres formalités : e’eft.ce qu’on appelle
le fervice ou le département militaire. Les
intendans décident feuls de l’emploi des finances
, & en règlent pour l’ordinaire le recouvrement.
Ils appellent trop fouvent devant eux les
affaires civiles ou criminelles, foit que la juftice
n’en ait pas encore pris connoiffance, foit qu’elles
aient été déjà portées: aux tribunaux même fu-
périeurs : c’eft ce qu’on appelle adminifiration. Les
gouverneurs & les intendans accordent en commun
les terres qui n’ont pas été données & ju»
geoient , il n’y a que peu d’années 3 de tous les
différends qui s’éle voient au fujet des anciennes
noflfeffiors. Cet arrangement mettoit dans leurs
.mains, dans celles de leurs commis ou de leurs
créatures, la fortune de tous les colons, & dès-
lors rendoit précaire le fort de toutes les propriétés.
Lorfqu’on fonda ces établiflfemens, un peu
avant le milieu du dernier fiècle, on n'avoit aucune
idée arrêtée fur les contrées du nouveau-
Monde. On choifit pour les conduire, la coutume
de Paris & les loix criminelles du royaume.
Les gens fages ont bien compris depuis ,
qu'une pareille jurifprudence ne pouvoit convenir
à un pays d'e'clavage & à un climat, a des
moeurs, à des cultures, à des poffeffions qui n ont
aucune reflemblance avec les nôtres : mais on
n'a pas profité de cés réflexions de quelques particuliers.
Loin de corriger ce que ces premières
inftitutions avoient de vicieux, il paroît qu il a
ajouté aux vices des principes i'embarras , la con-
fufion & la multiplicité des formes.
Un officier qui, fous le nom de Lieutenant
du roi, réfidoit dans un port ou dans une bourgade
, fut feul chargé pendant long-tems , dans
les ifles françoifes, de ce foin important. Il vexoit
les cultivateurs j il rançonnoit le commerce , &
il aimoit mieux vendre un pardon que prévenir
des fautes. Depuis quelques années , les com-
mandans des milices de chaque, quartier font
chargés, fous rinfpeétion du chef de la colonie,
du maintien de la tranquilité publique. Ce nouvel
arrangement eft plus fage que l'ancien : mais
n'eft-il pas encore trop arbitraire ? 11 eft doux
d'efpérer que le même code, qui mettra la for
tune des particuliers fous la proteétion des loix,
y mettra auffi leur liberté.
Le paiement fe fait rarement aux échéances
convenues, & ce manquement de foi a toujours
divifé les colonies & la métropole. Le miniftère
cherche depuis long-temps un terme à ces difcor-
des éternelles. Ne pourroit-on pas établir dans
chaque jurifdiétion: un regiftre où toutes les dettes
feroient infcrites dans l’ordre où elles au-
jroient' été contraétées ? Lorfqu'au jugement des
experts , le fonds de l'habitation fe trouveroit grevé
de plus de la moitié de fa valeur., chaque
créancier auroit le droit de la faire vendre.
Remarques fur l*arrêt du confeil du 14 août I7S4,
qui a tempéré d quelques égards le régime prohibitif \
Puifque toutes les nations cherchent à s'enrichir
aux dépens les unes des autres, & que chacune
cherche à augmenter fon commerce 8c fon
înduftne par des prohibitions & des defenfes établies
à l'égard des peuples étrangers , on ne peut,
fans être aveuglés par dés fyftêmes, confeiller à
l*n ^gouvernement d'ouvrir fes ports & fes colonies
à tous les navires étrangers : & , dans l’état
aétuel des chofes^ c'eft un principe que tous
les bénéfices dès colonies doivent, s’il eft poffi-
b le , appartenir à la métropole j mais il des
circonftances impérieufes qui modifient ce principe
s & la néceffité qum’admet plus de principe
général , & la loi faerée de l’humanité qui ordonne
quelquefois de s’écarter d’une maxime politique
, & des révolutions, telle que celle de^ l’é-
tabliffement des treize Etats-Unis, obligent à de
nouvelles combinaifons. La cour de Verfailles s’eft
efforcée de conferver à la métropole les bénéfices
& le commerce exclufif de fes colonies; mais par
foibleffe ou par avidité fes négocians n'ont pas
approvifionné ces colonies comme ils le dévoient ;
ils les ont laiffé manquer de fubfiftances pendant
la paix & pendant la guerre : d’ affreufes di-
fettes.ontcoûté.la vie aune mu titude de nègres ƒ;&
une longue expérience a démontré que les négocians
de lai métropole mettroient toujours la même
négligence à l’approvifionnemerit de nos ifles
d’Amérique : les Etats-Unis pouvant contribuer
à ces approvifionnemens de manière à produire
pour les colons , pour la France en général, St
même pour les négocians en particulier, des avantages
qui compenferont les abus & la contrebande
qu'entraînera ce nouvel ordre de chofes, ons’ell
décidé à ouvrir aux navires étrangers quelques
ports de nos colonies : cette opération dange-
reufe, qu’exigeoient la néceffité & l’humanité ,
a été calculée avec foin; & , après avoir rapporté
l'arrêt du confeil du mois d’août 1784 ,
nous examinerons fi les réclamations font bien fondées.
A rtic le p r em ie r . L ’entrepôt ci-devant afli-
gné au carénage de Sainte-Lucie, fera maintenu
pour ladite ifle feulement, & il en fera établi
trois nouveaux aux ifles du vent; favoir, un à
Saint-Pierre pour la Martinique , un à la Pointe-
à-Pitre pour la Guadeloupe & dépendances , un
à Scarboroug pour Tabago. Il en fera pareillement
ouvert trois pour Saint DomingUe; favoir,
un au Cap-François, un au Port-au-Prince, un
aux Cayes-Saint-Louis : celui qui exifte au Môle
Saint-Nicolas dans la même colonie, fera & der
meurera fupprimé.
II. Permet fa majefté, par provifion & jufqu’à
ce qu’ il lui plaife d’en ordonner autrement, aux
navires étrangers, du port de foixante tonneaux
au moins , uniquement chargés de bois de toute
efpèce , même de bois de teinture , de charbon
de terre , d’animaux & beftiaux vivans de toute
nature, de falaifons de boeufs & non de porcs ,
de morue & poiffons falés , de riz , mai' , légumes
, de cuirs verds en poil ou tannés , de
pelleteries ; de réfines & goudron , d’aller dans
fes feuls ports d’entrepôt defignés pat l’article précédent,
& d’y décharger St commercer lefdites
marchandifes.
III. Il fera permis aux navires étrangers qui
font dans les ports d’entrepôt, foit peur y por»
P p p i