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nairement ces minorités , défolent les peuples &
les provinces. C e font des temps orageux où toutes
les pallions s'enflamment, 8c où chacune produit
de funeftes effets.
z°. Il ne fuffit pas' que la forme d’ un gouvernement
foit régulière 8c le prince fage ; il faut
encore , pour conferver l'é ta t , des miniftres fidèles.
5°. Le relâchement dans les moeurs , dans le
maintien du bon ordre 8c de la fociete, 8c dans
l'obfervation des loix eff encore une caufe direèle
8c intrinsèque de la décadence d'un état. C ’eft le
peuple qui fait l’état) fi le peuple s’abandonne_
au v ic e , une ou deux génératiofis fuffiront pour
l'énerver : l’expérience de tous les fiècles attelle
ce fait.
4°. Dans les pays où la liberté naturelle des hommes
ell opprimée fous un joug defpotique, l'état
ne fauroit être bien formidable. Il n’y a pas un
mitant où le defpote ne foit en danger de périr
fur fon trône, & il en coûte mille fois plus de
fe faire obéir par le pouvoir abfolu que par le
pouvoir des loix.
y“ . Il ell affreux de le dire; mais l ’homme doit
s'accoutumer aux plus trilles vérités : une trop
grande liberté devient quelquefois la caufe de la
décadence d’ un état. Lotfque la liberté arrive à
l’excès de la licence, c’ eft le plus dangereux excès
où une nation puiffe tomber. L'extrême foi-
bleffe du royaume de Pologne 8c la léthargie de
la république de Hollande n’ont prefque d’ autre
fource.
6°. Si une nation négligeoit de perfectionner l’agriculture
, le commerce, les fciences 8c lés arts
Utiles , pour fe livrer avec trop de paflion aux
arts libéraux 8c à des objets frivoles, elle pourrait
arriver à un degré de foibleffe,. qui compromettrait
fon ii*dépendance.
7°. L ’orgueil 8c la pareffe font une autre caufe
bien direéle de. la foibleffe 8c de la décadent
d’un état.
8°. A quoi fert-il que l’état foit bien conftitué ,
le prince fage, les mniftres excellens, les moeurs
bonnes, fi les loix font ridicules ? Les loix doivent
être non - feulement pleines de fageffe en elles-
mêmes, mais auffi convenables au pays' pour lequel
on les a faites. Une feule loi infenfée,; fur-
tout lorfqu’ elle porte fur un objet: relatif â la
conftitution de l’éta t, peut faire des maux inexprimables.
M. de Montefquieu remarque ( i ) avec
beaucoup de jufteffe que Conftantin fit une faute
infigne, lorfqu’en transférant le fiége de l’Empire
à Conllantinople, 8c voulant que fa nouvelle ville
reffemblât en tout à l’ancienne, il voulut qu’on
y diftribuât auffi du bled au peuple, 8c ordonna
que celui d’Egypte y ferait déformais envoyé.
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Cette loi devint une descaufes de la décadence de
Tempire d’Orient.
9V* Les colonies trop fortes que l’état envoie
dans des provinces: éloignées, & fur - tout en
d’ autres parties du monde , l’ affoibliffent & deviennent
une caufe intrinsèque de fa décadence. Je
dis trop fortes} car il ne s’agit pas ici des coi
lonies que la Hollande, l’Angleterre & la France
, par exemple, entretiennent dans leurs pof-
feffions d’Afîe & d’Amérique : car, outre que ces
nations font' nombreufes par elles-mêmes, & qu’elles
y portent beaucoup dé fujets étrangers-, ii faut
obferver que ces colonies procurent à la métropole
cinq efpèces d’avantages qüi compenfent la
perte plus apparente que réelle qu’elle fait de quelques
uns de fes citoyens. Ces avantages font, i°.a
une plus grande confommation des productions de
fes terres que la métropole y envoie } 20. l’augmentation
d’un plus grand nombre de manufacturiers
, artifans, & c . qui s’occupent des befoins
des colonies 5 z°. l’accroiflement de la navigation
& de tous les ouvriers qui y concourent} ^ . l’exportation
d’une plus grande quantité de denrées,
& un plus grand fuperflu de denrées & mar-
chandifes que ces colonies rendent, & que la métropole
fournit de fon commerce. Nous entendons
ici par colonies trop fortes ces efpèces d’émigrations,
telles que l’Efpagné les ordonna ou les
permit après la découverte du nouveau-Monde.
io°. Le relâchement dans la difeipline militaire
conduit aufïi un état à £a perte. Prefque toutes les
monarchies anciennes ou modernes fe font brifées
contre cet écueil.-
i i °. Un état peut avoir deux efpèces de dettes}
les unes occafionnées par des fecours donnés aux
manufactures, au commerce , à des établilfemens
utiles, & au foulagement des peuples, & c . les
autres viennent des dépenfes mal calculées du fou-
verain. L ’excès de cette dernière efpèce de dettes
ne peut qu’énerver l’é ta t, & le mener à une ruine
certaine. Si le pays même n’a aucun équivalent
pour la dette contractée fur fon crédit} s’il n’ a
pas affez de moyen p ouf regagner , par la balance
de fon commerce, les interets des capitaux empruntés,
que l’état paye annuellement, il ne tardera
pas à manquer à fes engagemens, &perfonne ne
peut calculer les fuites funeftes que produit la
banqueroute d’un fouverain. Nous ofons prédire
ici que cette caufe de décadence fi moderne bou-
leverfera l’Europe dans quelques fiècles.
12°. Dajis les monarchies , les démêlés continuels
entre les miniftres, les généraux & lés autres
perfonnes en place} dans les républiques, les
diviuons entre le fénat & le peuple, entre les ma-
giftrats & les chefs du gouvernement, peuvent
mener facilement l’état à fa décadence, & de fa
décadence à fa chute.
(1) Grandeur 5c décadence des romains, chap. xvn.
Outre
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Outre les caufes générales de la décadence des
états, il y en a plufîeurs de particulières } mais
elles font fi indirectes & en fi grand nombre, que
les bornes de cet article ne nous permettent pas
de les développer. Nous dirons, avant de le terminer
, à quels indices on peut reconnoître fi un état
s’élève ou s’affoiblit. Ces indices, femblables aux
lymptômes de la fauté ou des maladies du corps
humain , font intérieurs , ou fe manifeftent au
dehors. L ’ accroiflement ou la diminution des revenus
publics forme le thermomètre le plus fur de
la profpérité d’un pays 5 mais, pour en bien jug
e r , il faut qu’ils foient perçus en tems.de paix
par les voies ordinaires de recouvrement, fans
exactions, fans nouveaux impôts, fans des tailles
arbitraires , fans capitations, ou fans aucune opération
forcée. L ’accroiflement de la population ,
qu’il ne faut pas cependant admettre ici comme
une règle générale, ainfi que l’ont fait quelques
écrivains, puifqu’en Afrique & en Afie on voit
les hommes fe multiplier outre mefure, fous la verge
de la tyrannie} les progrès de l’indultrie qui fe
font fans efforts, l’accroififement du commerce
que l’on peut connoître par un fimple dépouillement
des regiftres de la douane, laprofpérité des
manufactures anciennes ou nouvelles, quelquefois
l’agrandiffement de la capitale, la conftruCtion
des nouveaux édifices ou fa réparation des vieux,
le fuccès des arts , l’humeur contente du peuple,
le bon état de l’armée & de la marine, la cherté
proportionnelle des vivres , le cours du change,
l’ arrivée des étrangers qui viennent s’établir dans
le pays, la liberté & le bon ordre qui y régnent,
ces diverfes chofes annoncent la profpérité de l’’é-
ta t , & le contraire prouve fa décadence. L’influence
que le fouverain acquiert dans les affaires
générales de l’Europe, la recherche empreffée que
d’autres princes font de fon alliance, la gloire
qu’ il obtient par fes armes, les traités avantageux
qu’il obtient dans les affaires politiques ou pour
le commerce de fes fujets, fon pavillon que l’on
voit flotter dans toutes les mers & dans tous les :
ports étrangers, les égards & les diftinCtions que
l’on montre dans d’autres cours à fes miniftres }
c’ eft par là que les nations étrangères reconnoif-
fent le de.gré de profpérité, de grandeur où de
foibleffe où fe trouve chaque peuple, & l’homme d’état
doit avoir fans ceflfeles yeux ouverts fur ces objets.
D E C A N , contrée des Indes dans la prefqu’ifle
en-deçà du Gange , au midi du Mogol ; elle
formoit autrefois un royaume féparé j mais aujourd’hui
les indoux donnent ce nom aux provinces
les plus méridionales de l’empire mogol : le
foubah du Decan devroit exercer les fonctions de
viceroi dans ces provinces } mais , les rajahs , les
nababs & les princes qui fe font'formés des états
indépendans ne refpe&ent guères fon autorité. j|
L ’hiftoire- politique du Decan eft fi obfcure }
nous âvons fi peu de monumens de fes annales,
qu’il feroit difficile d’entrer ici dans des détails
bien fuivis & bien exaéts. Il paroît qu’il étoit
gouverné depuis plufieurs fiècles par des rois ;
mais ces rois n’étoient-ils que des vicerois du mogol
où des foubahs ? c ’eft ce qu’on ne peut débrouiller.
Quoi qu’il en fo it, celui qui donnoit
des loix au Decan étoit tributaire du mogol, fur-
tout depuis le règne d’Idal-Schah. Cette expref-
fion de tributaire fuppoferoit l’indépendance des
gouverneurs du Decan} mais il ne faut peut-être
pas la prendre à la lettre. Chavas, homme d’ef-
prit & de coeur , parvenu de l’efclavage à des
charges confidérables, étoit régent du royaume
pendant la minorité de ce prince. Il payoit exactement
aux commifîaires dujatfogol, les tréfite
millions de pagodes que le maître du Decan lui
devoit alors de tribut annuel} mais , lors de leur
retour, il les faifoit attaquer par des gens apof-
tés , qui lui rapportoient tout l’argent. Sa manoeuvre
fut découverte. Le mogol entra dans le
royaume avec deux cents mille hommes , & fut
arrêté deux ans au fiège du Château de Perinda j
que des hollandois qui s’y trouvoient prifonniers ,
aidèrent à défendre. On dit-que le Decan pouvoir
mettre aifément fur pied deux cents mille
hommes. On ne trouvoit autant d’artillerie dans
aucune contrée de l’ Inde} mais depuis que les
européens y ont porté ou excité la guerre, depuis
les bouleverfemens qu’y ont-caufé les princes
de l’Inde , il y a lieu de croire que ce dif*
tridt n’eft plus eh auffi bon état. Le mogol
eft cenfé pofféder aujourd’hui ce pays , qui
n’ a plus de roi particulier. Il y entretenoit autrefois
huit mille chevaux de garnifon, & il en
tiroit pour fes domaines un crore, foixante-deux
lacs , quatre mille fept cents cinquante roupies,.
c’eft-à-dire, 10,204,7 yo roupies. Un crore vaut
cent lacs ; un lac vaut cent mille roupies , & une
roupie environ trente fous de France. Ainfi le
mogol tiroit chaque année du Decan quinze millions
trois cents fept mille cent vingt-cinq livres.
On fait que le grand-mogol eft aujourd’hui
à la foide & à la merci des anglois & des princes
de l’Inde. Le foubah gouverne le Decan pour
lui-même & par lui-même.
Le Decan eft divifé en huit farcars ou provin«
ces , & chaque farcar en foixante-dix-neuf per-
ganas ou gouvernemens : ce feroit la contrée de
l’ Inde la plus formidable pour les européens , fi
elle fe trouvoit plus près des côtes.
Nader Scha, roi de Perfe, vulgairement ap-r
pelle Thamas Koulikan , avant de quitter Delny
pour retourner dans fes états, fit un traité avec
Méhémet-Scha, empereur des mogols, dans lequel
il fut-ftatué que la charge de grand-vifir &
toutes les foubabies ou vice-royautés (1) , alors
(x) On ne peut mieux définir le titre , le pouvoir & les prérogatives du foubah qu'en traduif nt ce mot
sacon. polit, et diplomatique. Tom. I l,