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depuis les dernières croifades , & à-peu près fem-
blable à celui d'Alger. Les mamelus q u i, à l'époque
de ces guerres, s'étoient emparés d'un
trône dont ils avaient été jufqu'alots l'appui,
étoient des efclaves tirés la plupart de la Circaf-
lie , dès leur enfance , 8c formés de bonne heure
aux combats. Un chef & iin confeil eompofé de
vingt-quatre des principaux d'entr'eux, exerçoient
l'autorité. C e corps militaire , que la mollefle afP
Toit néceflatrement énervé , étoit renouvellé tons
les ans, par une foule de braves aventuriers que
l’efpéranee de la fortune attiroit de toutes parts.
Ces hommes avides confentirent, pour l'argent
qu'on leur donna, pour lespromefies qu'on leur
h t , que leur pays devînt l'entrepôt des marchan-
difes de l'Inde. Ils fouffrirent, par corruption , ce
que l'intérêt politique de leur état àuroit toujours
exigé. Les pifans , les*florentins, les catalans, les
génois tirèrent quelque utilité de tette révolution,
mais elle tourna finguliérement à l'avantage - des
vénitiens qui l'avoient conduite. Telle étoit la fi- j
tuation des cfiofes, lorfque les portugais parurent
aux Indes. On fait que la découverte du Cap de
Bontie-Efpérance a changé la route .de la navigation
, 8c affoibli VEgypte déjà affoiblie par la nature
de fon gouvernement.
S e c t i o n I î\
Détails fur le gouvernement acïuel de /'Egypte.
La Porte eft, félon les traités, fouveraine de Y Egypte
; mais la . foibleffe de fon adminiftrâtion 8c de fa
marine réduifent fes droits à un vain titre : elle
n'en retire prefque rien, & même il y a lieu de
croire que cette contrée lui coûte aujourd'hui de
l'argent. Elle n'eft plus pour le grand - feigneur
qu'une fource d'humiliations 8c d'outrages ; mais
les chofes peuvent changer 5 l'atroce gouvernement
qui defole actuellement Y Egypte ., peut dif-
paroître ; ces abfurdes 8c cruels beys qui oppriment
le commerce, les voyageurs 8c 'les fujets ;
qui fe maffacrent & fe perfécutent avec tant
de barbarie, fe détruiront peut-être eux-mêmes 5
les égyptiens retrouveront peut-être un refte de
vigueur pour amener une révolution , 8c les def-
potes gouvernant les provinces éloignées ou con-
quifes avec plus de modération que tous les.
autres adminiftrateurs ; il eft poflible que la puif-
fance ottomane recouvre en Egypte l'autorité dont
elle devroit y jouir.
En attendant, nous allons dire ce que les voya- :
geurs les plus récens nous apprennent du»gouver- i
nement adluel de Y Egypte, & nous parlerons en-
fuite du régime qu'y avoit établi la Porte.
M. Capper, colonel au fervice de la compagnie
angloife des Indes , qui a confeillé derniere-
ment, pour fe rendre en A fîe ,. une nouvelle routé
qu'il a faite plufieurs fois, 8c'qui a féjourné en E-
gypte àdi ver fes reprifes, dit que ce pays eft divifé au-
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jourd'htii en vingt-quatre provinces, dont chacune
eft gouvernée-par un bey ou fangiack 5 la
plupart de ces beys demeurent au Caire, où , une
fois par femaine, & quelquefois plus fouvent, ils
* s aftemblem pour tenir confeil 5 8c ces afîemblées
s appellent divan. Le fcheich belled eft le préfi-
dent de ce confeil & le membre exécutif du gou-
. vemement. Son emploi eft en quelque forte fem-
blable à celui du doge de Vcnife mais avec plus
^ eft vrai que fon pouvoir dépend de
plusieurs circonftances, 8c entr'autres de fes ta-
lens 8c^ de fa fermeté, du parti qu’il a parmi
les collègue?, 8c de fa bonne ou mauvaife intelligence
avec le pacha. Quand je fus au Caire ,
ajoute M. Capper, le fcheich belied étoit un homme
foible, & il ne devoit fa fûreté qu'à la jaloufie
de deux beys rivaux, prefque égaux en pouvoir,
qui afpiroient à. fa place. Le pacha eft envoyé par
la I orte : c eft une efpèce de vice-roi du grand-
feigneur. S il peut réuflîr à femerla divifion entre
les beys , 8c à s'attacher fecrettement lui-même au
parti le plus fort , lorfqti'il fait femblant d'obfer-
ver la plus parfaite neutralité , il acquiert quelquefois
plus d'influence que le fcheich belled..
Mais il doit agir avec beaucoup de prudence
& de circonfpeétion $ car fi fes intrigués
font decouvertes , & fi le parti oppofé triomphe ,
on 1 oblige à quitter lé pays. La manière dont on
le renvoie , -cara&èrife les procédés arbitraires &
tenebreux de cette' république de tyrans. Quand
les beys ont réfolu de le renvoyer , ils détachent
du divan un carracdurouck qui fe rend à fa
maifon. Cet officier s'approche de l'endroit où le
pacha eft aflis , lève en filence un coin du tapis ,
y place deflbus le papier qui contient fon ordre 5
il en laifle fortir l'extrémité, afin qu'il foit ap-
përçu, 8c il fe retire fur le champ fans avoir proféré
un feul mot. Le nom de carracdurouck fignifie
un mejfager noirs parce qu'il eft vêtu de cette couleur.
Le pacha ne fonge jamais à s'oppofer à cet
Ordre ; il fait que la réfiftancé' lui coûteroit probablement
la vie. Il fe retiré donc, le plutôt qu'il
lui eft poflible , à Baclako qui eft à deux milles
du Caire 5 8c s'il fuppofe un violent degré de re£
fentiment contre lu i, il va à Rofetto, 8c il profite
enfuite du premier vaifleau pour gagner l'ifle
de Chypre, où il^refte jufqu'à ce qu'il ait reçu
des nouvelles de Conftantinople. ‘Le divan ou le
confeil des. beys , pour garder les apparences avec
la Porte, envoie un député à Conftantinople î
avec des plaintes fur. la conduite du pacha, Le
grand-feigneur, qui fait qu'il ne.peut foutenir fon
repréfentant, ne compromet point fa dignité, 8C
il fe contente d'envoyer en Egypte un autre pacha
; 8c fouvent il condamne à mre amende celui
qui a été difgracié. — Les enfan,s des bevs 'n'héritent
ni du rang, ni des biens de leurs pères ; ils
•ne peuvent même être élevés à aucun dés emplois
propres aux beys. Le divan, après la mort d'un
h e y , difpofe d'une portion de fes biens pour l'u-
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fage 8c ^entretien de fa famille $ mais le refte pafle
avec fon titre à fon c^shif ou lieutenant, qui fuc-
cède ordinairement à fon rang & à fa fortune. Ces
cashifs font des efclaves géorgiens ou circafliens,
que les bevs ont achetés 8c adoptés dans leur enfance
j ils les élèvent avec autant de foin que de
tendrefle, afin qu'ils fervent de protecteurs à leurs
enfans. Cette loi fingulière femble avoir été didtée
par l'horreur de la monarchie 8c une prédilection
pour l’anarchie républicaine ; mais elle n'a pu être
faite -que durant l'adminiftratîon de quelque chef
qui n'avoit point de^oftérité.
Les beys font toujours en guerre depuis fept ou
huit ans ; 8c la lifte de ceux qui ont péri dans
les batailles, ou qui font morts aftaflinés , eft fort
nombreufe ; mais ces aflaflinats & ce? victoires ne
changent rien à l'anarchie générale : un dey mort
eft remplacé par un ambitieux qui adopte le même
parti, ou qui forme un parti nouveau, & la guerre
& le carnage continuent d'mubout de Y Egypte à
l'autre. Plufieurs voyageurs anglois, & entr'autres
M. Irw in , ont tracé le tableau de quelques-unes
d.e ces fanglantés révolutions il n'y a plus de sûreté
pour le peuple ni pour les étrangers, & les
derniers y font expofés à toutes les.violences & à
toutes les exactions de la tyrannie. On frémit des
dangers qu'ont couru plufieurs anglois qui ont fait, I
dans ces derniers temps, le voyage de l'Inde par
Y Egypte.
Comme la haute - Egypte a des sheiks . arabes
, fort puiflans , la Porte, avant les derniers
troubles , étoit obligée d'y envoyer un fan-
giak pour gouverner le pays & lever les tributs
quelle exigeoit d'eux , & des cashifs qui lui
étoient fubordonnés. Mais cette partie de Y Egypte
offrant un afyle aux beys détrônés, ou malheureux
dans les batailles, c ’eft-là qu'ils fe réfugient, &
1 on fent que les envoyés des grandsTeigneurs y
feroient fort mal reçus. Ils s'approprient les imp
ô ts , ils pillent les caravanes , & dans leur dé-
trefle, ils exigent toutes les contributions dont
le pays [eft fufceptible. C e gouverneur 8c fes
officiers habitoient Girge : il y avoit fon divan, &
il étoit environné d'un appareil, prefque aufli im-
pofant que celui du pacha. C'eft-là que réfidoient les
divers détachemens des corps militaires. Le fangiack
étoit nommé tous les ans par le divan du Caire,
mais il reftoit .pour l'ordinaire trois ans en charge.
Les hiftoriens-rapportent, que le fultan Selim
ayant conquis Y Egypte , extermina entièrement les
mammelus. Peut-être laifla-t-il au peuple l'ancienne
forme d'adminiftration ; mais il y a lieu
de croire qu’il n’en conferva que les apparences ;
car il réduifit les provinces en fouvernemens, de
meme que dans fes autres domaines. Il établit fes
créatures pour beys , & envoya dans toutes les
contrées des cashifs qui lui étoient affidés , &
qui n avoient. aucun intérêt à ménager le pays.
Il paroit que dans, lia fuite ces beys furent remplaces
par leprs efclaves. Ainfi , ce gouvernement
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appmehoit beaucoup de celui des mammelus. II
pairoit aufli; que les- beys n'eurent pas d'abord un
grand pouvoir. Il réfidoit entièrement dans les
troupes, fur-tout les janiflaires & les arabes, 8c
ils devinrent fi puiflans , qu'ils entreprirent de
changer l'adminiftration. On voit dans une lifte
des .pachas que tout fe pafla aflez tranquillement
jufqu'en 1602 , qu'ils mafîacrèrent un des repré1-
fentans de la Porte. Vingt-huit ans après, ils en
déposèrent un autre, 8c c'eft le feul exemple de
cette efpece qu on ait vu depuis Selim , jufqu'en jgiff La Porte s étant apperçue que les troupes de-
venoient trop puiflantes, jugea à propos de vendre
le? villages aux officiers qui les commandoient
avant cette epoque , parce qu'ils ne vouloient
point etre fournis aux beys ; mais ils furent obliges
de .faire leur cour aux bfeys', qui en qualité ,
de gouverneurs des provinces, ont une autorité '
abfolue fur les villages. La Porte s'en trouva
mieux ; elle crut que l'autorité réfidant entre les
mains des beys , elle pourroit s'en débarraflfer,
fans que le peuple murmurât. Jufqu'alors , elle
n'avoit pu offenfer un officier , fans s'expofer au
reflentiment de toutes les troupes. Les beys étant
peu attaches a la Porte , le grand-feigneur atmoit
mieux que -leur charge fût fucceflive qu'hérédi^
taire ; car 1 hafnaciar, ou ■ tréforier d'un bey , ou
tel autre grand officier ou vcashif, qui étoit fon
efclave , venant à époufer fa veuve, étoit obligé
d'employer une grande partie de fes biens en pré-
fens, pour fe faire des amis i 8c s'afîiirer la fuer
ceflion, ce qui les empêchoit de devenir trop puif-
fans, La Porte s eft trompée dans les mefures
qu'elle a prifes pour s'aflurer Y Egypte., Elle auroit
beaucoup mieux fait de n'y.laifîer les troupes
qu'un an , afin de les empêcher de s'y marier.
Elle auroit dû nommer des turcs pour beys, 8c
défendre l'importation des efclaves en Egypte ÿ car
ils compofent la principale force du gouverne»
ment adhiel. Des que les efclaves d'un grand
font affranchis, ils deviennent caïmacans, enfuite
cashifs. Ils achètent d'autres efclaves , qu'ils af-
franchiffent a leur tou r, de manière que tous dépendent
du premier maître. La Porte a fi bien
fenti 1 avantage dont il feroit pour elle d'avoir un
plus grand afeendant fur les troupes, qu'avant les
derniers troubles, elle a fouvent tenté d'envoyer
un aga des janiflaires pour commander en Egypte )
mais les troupes 8c les beys s'y font toujours op-
pofés.
Au refte, ces fautes ne font pas les feules qu'on
doive reprocher a la Porte. Si elle n'a pu prévoir
la révolté 8c 1 indépendance que s'attribuent les
deys elle pouvoir faire tout ce qui dépendoit
delle pour rendre VEgypti heureufe ; & on ne
voit pas qu elle fe foit jamais occupée du bonheur
de .cette contrée. C e qui e!l arrivé, arrivera toujours
: un grand pays éloigné , qui obéit à un
defpote rgnorant & barbare , fecoue bientôt le
l i e