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vernement , toutes les loix pofrtives , nuifibks à
la fociété & au fouverain, ne tarderont pas à y
dilparoître.
Il eft donc évident que le droit naturel de chaque
homme s'étend à raifon de ce que l'on s'attache
à l'obfervation des meilleures loix poflibles ,
qui conflituent l'ordre le plus avantageux aux
hommes réunis en fociété ( i
Du droit des nations.
De même que chaque particulier eft le maître
de fes propriétés juftement acquifes , chaque nation
a la jufte poffeflion du territoire qu'elle o.c-
cupe ; foit que la fociété l'ait mis en valeur , foit
qu'elle le tienne par droit de fucceffion 3 foit enfin
que les nations voifines (. qui ont droit d'établir j
entr'elles & avec elles les limites de leurs territoires
, par les loix pofîtives qu'elles ont admifes 3
ou par les tçaités de paix qu'elles ont conclus )
aient reconnu par des conventions la juftice de
fon domaine. Tels font les titres naturels & légitimes
qui établiffent le droit de propriété des nations.
Mais comme les nations forment féparément
des puiffances particulières & diftinétes qui fe
contrebalancent , elles ne peuvent, être affujetties
à l'ordre général que parla force contre la force.
Chaque nation doit donc avoir une force fuffi-
fante , formée par confédération avec d’autres
nations , qui pourvoient réciproquement à leur
fûreté.
La force propre de chaque nation doit être feule
& réunie fous une même autorité ; car une divi-
fion de forces appartenante à différens chefs 3 ne
peut convenir à un même état, à une même nation
} elle divife néçeffairement la nation en dif-
férens états 3 ou principautés étrangères les unes
aux autres, & fouvent.ennemies. C e n'eft plus-
qu'une force confédérative , toujours fufceptible
de divifîon entre elle - même 3 comme les nations
féodales qui ne forment pas de véritables empires
par elles-mêmes , mais feulement par l'unité d'un
chef fuzérain d’ autres chefs 3 qui comme lui jouif-
fent des droits régaliens (2).
Ces puiffances confédérées & ralliées fous un
chef de fouverains 3 qui lui font égaux en domination
y chacun dans leurs principautés, font eux-
mêmes en confédération avec leurs vaffaux feu-
dataires ; ce qui femble former plus réellement
des conjurations qu'une véritable fociété réunie
fous un même gouvernement. Çette conftitution
d'empire confédératif3 formée par les ufurpations
des grands propriétaires ou par le partage de ter- '
d r o
1 ritoires envahis par des nations brigandes , h*eft
donc pas la eonllitution naturelle d'un gouvernement
parfait 3 dont la force & la puiffarice appartiennent
indivifiblement à l’autorité tutélaire d'ùii
même royaume* C'eft au contraire une conftitution
violente & contre nature, qui livre les hommes
à un joug barbare, & le-gouvernement à des dif-
fenfiôns & des guerres intérieures '3 défaftreufes
& atroces'. »
La force d'une nation doit confifter dans un
revenu public 3 qui fuffife aux befoins de l'état
én temps de paix & d e : guerre. Ellé ne doit pas
être fournie en nature par les fujets & commandée
féodaletnent, car elle favoriferoit des attrou-
pemens & . des guerres entré les grands de la
nation 3 qui romproient l'unité de la fociété , dé-
funiroient le royaume & jetteroient la natioiî dans
le défordre & dans l'oppreflion féodale. D'ailleurs
, ce genre de force eft infuffifant pour la
défenfe déda nation contre les puiflances étrangères
; elle ne peut foutenir la guerre que pendant
un temps fort limité &. à des diftances fort
peu éloignées 5 car elle ne peut fe munir pour
long-temps des provifions néceffaires & difficiles
à tranfporter ; cela feroit encore plus impratiquable
aujourd'hui, que la groffe artillerie domine dans
les opérations de la guerre. C e n'eft donc que
par un revenu public, qu'une nation peut s'affu-
rer une défenfe confiante contre les autres .puiffances
, non-feulement en temps de guerre,. mais
auffi en temps de pa;x : pour éviter la guerre, qui
en effet doit être très-tare dans un bon gouvernement
, puifqu'un bon gouvernement exclut tout
prétexte abfurde de guerre pour le commerce..,
& toutes autres prétentions mal entendues ou
captieufes , dont on fe couvre pour violer lé droit
des gens eji fè ruinant & en ruinant les autres. :
car pour foutenir ces entreprifes ihjïiftes, on fait
des efforts extraordinaires; par des armées fi nom-
breufes & fi difpendieufes , qu'elles ne doivent
avoir d'autres fuccès qu'un épuifement ignominieux
, qui flétrit l'héroïfme des nations belligé-
rentes , & déconcerte les projets ambitieux de
conquête (3).
Ceux qui n'ont jamais bien réfléchi fur l’importance
des objets que nous venons de parcourir
dans cet article du droit naturel3 ne fauroient conr-
ceyoir combien leur connoiffance peut étendre lps
vues d'un homme qui veut entrer dans la carrière
de la , vraie politique y donner de folidité à fon jugement
& rendre fes aérions conformes à la justice.
Connoître fes droits 3 c'eft eonnoître ceux
des autres, c'eft connoître fes devoirs. Un coeur
(1) Phyfiocratie, 'pag- 34 r 3 s-
(2) .Les droits régaliens font les droits d’impôts , de la guerre, de la paix * de monnoie , dé juftice & d’au.»
torité immédiate fur les fujets , d’où réfultent ces droits qui aflurent également à tous ceux qui en jouiflenc,
l’exercice & la propriété de Fautorité fouveraine.
(3) Extrait du defpotifme de la Chine, de M. Quefhay 3 chap. 8;.
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droit, utt éfprit fans préjugés, imbu de la nécef- |
fité d'être jufte, même pour fon interet, & con- J
vaincu , qu'attaquer la propriété d'autrui, c eft 1
permettre tacitement d'attaquer la fienne , fe fait
pour l'avenir des principes d^une probité invariable
j il porte au-dedans de lui une règle fûre qui
lui donnera les moyens de tout appiécier à fa jufte
valeur. 11 voit le vrai des chofes, fans que l'opinion
des faux fyftêmes puiffe lui en impofer ; &
foit en économie, foit en politique, ou en morale
, il a dès-lors un guide affuré pour fe. conduire.
Tout ce qui eft conforme au droit naturel de
Vhomme, eft jufte & convenable ; tout ce qui s en
écarte, eft injufte & faux calcul. D e là , s’il veut
paffer à l'étude particulière des loix de fon pays;
s'il va difeuter chez l'étranger les affaires de fa
patrie, les principes généraux de droit qu'il pof-
sède, lui donneront le moyen d'en pénétrer l'ef-
p rit, de fe les rendre familières & de s'en occuper
à l'avantage de chaque citoyen & de la chofe
publique (1 ).
( Cet article eft de M. G r i v e l .)
D r o it des gens : felç>n plufieursécrivains, le
droit des gens eft une jurifprudence que la raifon naturelle
a établie fur certaines matières entre tous les
hommes, & qui eft obfervée chez toutes les nations
j mais cette définition fuppofe que la raifon
naturelle a toujours diété les articles du droit des
gens qu'on a vu établis chez les peuples ; & il vau-
droit mieux dire que le droit des gens eft une forte
de jurifprudence que les peuples ont établi dans leur
rapports entr eux.
Le Diérionnaire de Jurifprudence , ( article
D r o it s ) , développe les principes fcholaftiques du
droit des gens 3 & il donne un précis des ouvrages
de Puffendorf, de Grotius & de Burlamaqui fur
cette matière ; mais nous croyons devoir ajouter
ici d'autres détails à cette queftion politique.
Le droit des gens comprend les principes & les
règles que l'ufage, ou un confentement tacite ont
établi parmi les nations libres, pour régler leur
conduite les unes à l'égard des autres. La coutume
& le confentement tacite "des nations obligent
feuls ici les peuples à fe conduire d'une manière
plutôt que d'une autre ; car les principes &
les règles du droit des gens font quelquefois’contraires
à la faine raifon.
La bonté du droit des gens indique l'intelligence
& la police des nations qui l'ont adopté. Celui
«les peuples fages & civilifés eft conforme | dans
D R O ’i s s
prefque tous les points, à la raifon Sc au droit
naturel»
Les nations jouiffent, les unes a 1 egard des autres
, de toute la liberté naturelle ; & comme chaque
état forme un corps moral, chaque nation
e ft, par rapport aux autres, c e^ u e , dans l'etat
de nature, un homme feroit à 1 egard des autres
hommes. Elles font donc obligées de refpeéter le
droit naturel, & de le prendre bour bafe de leur
droit des gens.
Toutes les nations ne font point liées entr elles
comme les membres d'un état 3 Cf elles font bien
éloignées de former , par leur union » un Jeul corps
politique.
Les nations ont entr'elles certains rapports : le
commerce & le voifînage les obligent a traiter en-
femble ; leurs intérêts, leurs vues, leurs forces &
leur foibleffe produisent fans ceffe de nouveaux ar-
rangemens entr'elles ; mais ces liaifons ne les mettent
pas dans une dépendance mutuelle ; les devoirs
qu'elles impofent ne peuvent être affimiles a
ceux qu'impofent aux citovensles conftitutions d un
état.Des écrivains auxquels nous ferons un fingulier
reproche, celui d'avoir porté trop loin les fentimens
de l'humanité, fe reprefentent les peuples comme
i les membres d'un grand état, comme les citoyens
de l'univers, comme les parties de l'affociation générale
des hommes, ces vaines déclamations ne
donnent que des 'idées fauffes, & elles introdu:-
fent, fur le droit des gens, des principes exageres
& contraires à la profpérité des nations.
Les rapports généraux des hommes de diverfes
contrées ne doivent pas être confondus avec ceux
qui réfultent de la corftitütion civile j ils font très-
*différens.
La fociété fuppofe certaines obligations mutuelles
, contrariées dans la vue de remplir un objet >
& les nations ne peuvent en aucune manière contrarier
de ces fortes d'obligations mutuelles.
Une nation a donc le droit de vivre fepa-
rée de toutes' les autres, & de rompre tout commerce
& toute fréquentation avec elles', comme
il eft permis à un homme de vivre dans une
parfaite folitude. Elle ne bleffe par-là aucun devoir.
Aihfi, les nations ont le choix de deux moyens
pour fe procurer la félicité ; le premier eft la communication
ou le commerce avec les autres peuples,
le fécond eft une réparation totale. Toute idee de
dépendance, de devoir & de fociete entre les
( 1 ) Le droit romain érigé en oracle par quelques-uns n’ell fouvent quun cahos , °ù la lumière & les
ténèbres, la . juftice & l’iniquité, le bien & le mal font confondus pêle-mêle & tans ordre ; ce ieroit un
excellent ouvrage à faire , que le débrouillement de ces loix fi long-temps reverees. En les comparant avec
celles de la nature , avec lejs-vraïes règles de l’ordre, on diftingueroit ce qu’elles ont de vraiment conrorme
an droit primitif de ce qu’elles renferment d’arbitraire & de vicieux.