
font fépares de ceux du nord, par le territoire
efpagnol. L'impoffibilité où ils font de fe fecou-
rir , les expofe féparément à Tinvalion d'une puif-
fance également ennemie des deux nations. Un
intérêt commun déterminera la cour de Madrid à
fixer les bornes, de manière que fon alli.é*y trouve
les commodités dont il a befoin pour fa défenfe.
O r , cela ne fera jamais, à moins qu'une ligne de
démarcation, tirée des deux points arrêtés fur les
rives de l'océan , ne détermine les propriétés des
deux p'e.uples. Inutilement y l'Efpagne accçrderoit
pour toujours à fon voifîn la liberté de traverfer
fes états , comme elle le lui perm t paffagerement
en 1748. Cette complaifance ne ferviroit-de rien.
C e t efpace, de quinze & de vingt lieues, eft
coupé par des montagnes fi efcarpées, par des
forêts fi épaiffes, par.desravins.fi profonds, par
des rivières fi capricieufes, qu'il eft militairement
impraticable dans fa fîtuatïon aétuelle. Pour le
rendre utile, il faudroit. de grands travaux, & ces
travaux ne feront jamais ordonnés que par une
couronne qui opérera für fon domaine.
La cour de Madrid fe déterminera d’autant plus
aifément à céder cette communication, fi necef-
faire à une nation qui fait caufe commune avec
elle, que ce terrain intermédiaire n'a que peu de
râleur. II eft inégal, peu fertile & fort éloigné de
la mer. On n'y voit que quelques troupeaux épars.
Cependant les propriétaires de ce fol inculte feront
dédommagés par . la France avec une géné-
rofité qui étouffera tous les regrets.
D O M IN IQ U E , ( l'ifle. de la ) l'une dès Antilles
entre la Guadeloupe & la Martinique. Elle
a été prife par les frànçois durant la guerre qui
rient dé fe terminer j mais le traité de paix de
1782 T a rendue à l'Angleterre. En 1732, on y
trouva neuf cents trente-huit caraïbes, répandus
dans trente-deux carbets. Trois cents quarante
neuf frànçois y occupoient une partie de la côte
que les fauvages leur avoient abandonnée. Ces européens
n'avoiènt pour inftrumens , ou plutôt pour
compagnons de leur culture, que vingt-trois mulâtres
libres , & trois cents trente - huit efçlaves.
Tous étoient occupés à élever des volailles, à
produire des denrées comeftibles pour la confom-
mation de la Martinique, & à foigner foixante-
douze mille deux cents pieds de coton. Le café
vint augmenter la maffe de ces foibles productions.
Enfin l'ifle comptait fi;x cents blancs & deux mille
hoirs à la paix de 17(33 , qui en fit une poffeflion
angloife.
Dès la fin du dernier fiècle, la Grande - Bretagne
qui marchoit à l'empire des mers, en accufant
la France d’afpirer à la monarchie du continent,
avoit montré pour la Dominique la même ardeur
qu'elle témoigna dans les dernières négociations,
où la victoire lui donnoit le droit de tout ehoifir.
Sur cette ifle fe font fucceflivement établies neuf
paroiffes où, au i et janvier 17 78 , 00 comptait
quinzç cents Coûtante - quatorze blancs, de tout
âge & de taût fexe ; ‘cinq7 cents foixattte-quatorze
mulâtres où*noirs libres p 14 mille 308 èfclâvés.
Ses troupeaux ne s'élèvoient pas au - deffus de
deux cents quatre-vingt-huitchevaux, de fept
cents fept mulets, de trente-quatre ânes, de dix-
huit cents trente bêtes a cornes, de neuf cents
quatre-vingt-dix-neuf cochons, & de deux; mille
deux cents vingt-neuf moutons ou chèvres.
Pour fes cultures , elle avoit foixante-cinq fu-
creries, qui occupoient cinq mille deux cerits cin-
quante-fept acres de terres ; trois mille trois cents
foixante-neuf acres plantés en café, à raifon de
mille pieds par acre 5 deux cents foixante-dix-fept
acres plantes en cacao, à raifon de cinq cents
pieds - par acre j . quatre-vingt-neuf acres plantés
en coton, à raifon de dix mille pieds par acre 5
foixante-neuf acres d'indigo & foixante arbres de
canéfice.
Ses vivres confiftoient en douze cents deux
acres de bananiers, feize cents quarante-fept acres
d'ignames ou de patates, & deux mille fept cent$
vingt-neuf foffes de manioc.
Dix-neuf,mille .quatre »cents foixante dix!-huit
acres étoient occupés par les bois; quatre mille
deux cents quatre-vingt-feize par des prairies ou
favanes ; trois mille fîx cents cinquante-cinq étaient
réfervés pour la couronne , &; trois mille quatre
cents trente-quatre entièrement ftériles.
C'étoit tout ce que quinze ans de travaux
avoient pu opérer fur un fol extrêmement mon-
tüeüx & tres-peu fertile.'
C et ëtabliftement efluya, dès fes premiers pas *
une infidélité des plus criminelles. Pîüfîeu« de fes
cultivateurs avoient obtenu du commerce des avances
très - confidérables. Pour fie pas payer leurs
dettes, ils fe réfugièrent avec leurs efçlaves dans
les ifles françoifes, où une protection marquée
leur fut accordée. Inutilement on les réclama ,
inutilement on demâiiqa qu’ils füfTent tenus de fa-
tisfaire à leurs créances : les Pollicitations furent
inutiles. Alors le corps légiflatif fit une loi qui
àccordoït a tous les émigrans' françois Tavantage
de jouir avec fécurïte de foutes les richélfes qu'ils
porterôient à la Dominique.
Si on examine fans partialité la conduite des
deux nations , on la trouvera maüvaife de part &
d'autre.
Un autre objet que des établifîemens de culture
entroit de loin dans les vues étendues de l'Angleterre*.
Elle vouloit attirer à la Dominique les productions
des colonies françoifes, pour en faire
elle-même le commerce. C'eft pour l'exécution de
ce grand projet , qu'en 1766 furent rendues libres
toutes lès rades de cette iflet Auffi-tôt accoururent
, dé l’Europe & de l'Amérique fepten-
trionale, une foule d'hommes aCtifs & entreprerians.
Des dépôts immenfes de farines, depoifionfalé,
d'efclaves furent formés au Roféau. Cette bourgade
fournit au^ bèfoins de la Martinique , de
la Guadeloupe, de Sainte-Lucie > & en reçut ea
paiement «
•paiement, des denrées plus ou •moins précieulès.
Les échanges auroient été même plus confidérables.,
f i , par une avidité fifcale mal-entendue, la
-Grande-Bretagne n'avait elle-même refîerréles-bor-
nes de ces liaifons frauduleufes.
La Dominique eft dans une pofîtion très-avan-
.tageufe. Située entre la Guadeloupe & la Martinique
, à fept lieues feulement de l'une & de
l'autre, elle les menace également. A fes deux
extrémités, nord & fud, font deux excellentes
rades , d'où les corfaires & les efcadres ennemies
peuvent intercepter la navigation de la France
avec fes colonies, & la communication même des
deux établiflements de la ‘Guadeloupe & de la
Martinique : on dit que le confeil d.e George III
s'occupe d’un autrè projet dont- l ’exécution ferait
facile ; qu'il veut convertir en port la rade du
nord, connue fous le nom de prince Rupert, &
l'entourer de fortifications. On ne fait iî la nation
ne s'y oppoferoit .pas ; car elle met trop de confiance
en fes forces navales, & il eft vraifemblabie
qu'elle fe refuferoit à cette dépenfe.
La Dominique a fixé, dans les derniers temps,
l ’attention de l'Amérique entière, par un événement
dont les càufes remontent, ou peu s'en faut,
â la découverte du nouveau-Monde.
Les européens avoient à peine imprimé leurs
pas fanglans fur un autre hémisphère, qu'il fallut
demander à l'Afrique des efçlaves pour le défricher.
Dans cette efpèce dégradée, fe trouvoient
des femmes que le befoin rendit agréables aux
premiers colons. De cette alliance que la nature
fembloit réprouver , fortit une génération mixte,
dont la tendrefle paternelle rompit très-louvent les
fers. Une. bonté innée dans l'homme fit tomber ,
en quelques occafîons, d'autres chaînes , & l'argent^
rendit encore un plus grand nombre de captifs
à la liberté. En vain une politique foupçon-
neufe & prévoyante voulut s'élever, avec force
contre cet ufage applaudi par l'humanité : les af-
franchiffemens ne difeontinuèrent pas. On en vit
même augmenter le nombre.
Cependant les affranchis ne furent pas égalés en
jtaut à leurs anciens maîtres. Les loix imprimèrent
, généralement à cette clafle, un cara&ère
d'jnfériorité. Le préjugé l’abaiflfa encore davantage
dans les fréquentes concurrences de la vie civile.
Sa pofîtion ne fut jamais qu'un état intermédiaire
entre l'efclavage & la liberté.
Des diftin&ions fi humiliantes remplirent de rage
ces affranchis. L'efclave eft communément fi
abruti, qu'il n'ofe braver fon maître ; il ne peut
que le haïr : mais le coeur de l'homme, qui a vu
tomber fes fers, a plus d'énergie. Il hait & brave
les blancs.
Il falloir prévenir les dangereux effets de ces
difpofîtions nniftres. Dans les fdciétés de l'Europe,
(Econ. polit. & diplomatique. Tom. IL
où tous les membres font égaux, où l'intérêt de
chaque individu eft l’intérêt de tous, il n'eft pas
permis de fuppo&r a un citoyen l'intention de
nuire au bien général, fans de bonnes preuves.
Mais, dans les ifles d'Amérique où la population
eft compofée de trois claflès différentes, on fe
•croit en droit de facrifier les deux dernières à la
fureté de la première. L'efclave eft retenu dans une
•oppreffion perpétuelle , & l'affranchi eft empri-
fonné au moindre foupçon. Son averfion pour les
blancs eft regardée comme un délit fort grave ,
& juftifie aux yeux de l'autorité les précautions
qu'on prend contre lui. C'eft â cette févérité que
la plupart des nations ont voulu attribuer l'efpece
de tranquillité dont elles ont joui dans leurs éta-
bliifemens du nouveau-Monde.
Dans les feules colonies angloifes, le noir eft
affimîlé au blanc. La prefomption la plus forte ne
fuffit pas pour attenter plutôt à la liberté de l'un
que de l’ autre. Il arrive de-là que la lo i , qui craint
de fe méprendre fur le choix du criminel, refte
quelquefois dans l’inaCtion plus long-temps que
l'avantage public ne le voudroit. Les affranchis
ont quelquefois abufé de ces ménagemens dans lés
ifles britanniques. Leurs mouvements féditieux
avoient déterminé le parlement d'Angleterre à
.changer de fÿftême pour la Dominique.
Un bill du mois de décembre 1774 a défendu «.
un colon de donner la liberté à fon efclave , avant
d’avoir verfé cent piftoles dans le tréfor public.
Mais fi cet affranchi prouve dans la fuite que
fon travail ne fuffit pas à fa fubfiftance , il recevra
80 liv. tous les fix mois , jufqu’à ce -que
des circonftances plus heureufes lui permettent de
fe pafler de ce fecours.
Tout affranchi > convaincu devant deux juges
de paix, par la dépofîtion de deux témoins libres
ou efçlaves, de quelque délit qui ne fera pas capital,
fera puni par le fouet, par une amende
ou par la prifon , félon que les magiftrats l'eftime-
ront convenable. On lui inipofe les mêmes peines
pour avoir troublé l’ordre public, pour avoir
infulté , menacé ou battu un blanc.
Un affranchi qui favorifera la défertion d'un e fclave
, qui lui donnera afyle ou acceptera fes fer-
vices , fera condamné à une amende de 2coo liv.
applicable aux befoins publics. Si le coupable eft
hors d'état de payer cette fomme , on lui fera
fubir une prifon de trois mois, ou on lui infligera
le foue t, félon l'ordre des juges de paix.
Aucun nègre, mulâtre ou métis libre ne pourra
voter à l'éle&ion du repréfentant de fa paroifle
dansTaffemblée générale de la colonie. La faveur
ni la fortune ne pourront jamais effacer ce fceau
de réprobation.
D O OM 'S -D A Y -B O O K , c'eft-à-dire, livre du
jour du jugement.