
$8 D É M
obligés de chercher, & les riches obligés de fouf-
fxir un pareil remède.
Si lorfque le légiflateur fait un pareil partage ,
il ne donne pas des loix pour le maintenir, il ne
fait qu'une conftitution paflagère > l'inégalité en- ;
trera par le côté que les loix n'auront pas défend
u , & la république fera perdue.
Il faut donc que l'on règle * dans cet objet, les
dots des femmesj les donations, les fucceffions,
les teftamens 5 enfin toutes les manières de con-
traéler. C a r , s'il étoit permis de donner fon bien
à qui on voudroit & comme on voudroit, chaque
volonté particulière troubleroit la difpofition
de la Lèi fondamentale.
Salon , qui permettoit à Athènes de Lifter fon
bien à qui on vouloir par teftament, pourvu qu'on
n'eût point d'enfans ( i ) , contredifoit les loix anciennes
qui ordonnoient que les biens reftàffent
dans la famille du teftateur (2). Il contredifoit les
fiennes propres 3 ca r , en fupprimant les dettes, il
avoit cherché l'égalité.
C ’étoit une bonne loi pour la démocratie, que
celle qui défendoit d'avoir deux hérédités (3).
Elle prenoit fon origine du partage égal des terres
& des portions données à chaque citoyen. La loi
«'avoir pas voulu qu'un feul homme eût plufieurs
portions.
La loi qui ordonnoit que le plus proche parent
époufat l'héritière, naiffoit d'une fource pareille.
Elle eft donnée chez les juifs après un pareil partage.
Platon (4) , qui fonde fes loix fur ce par-
page , la donne de mêmes & c'étoit une loi athénienne.
Il y avoir à Athènes une lo i , dont je ne fâche
pas que perfonne ait connu l'efprit. Il etoit permis
d'époufer fa foeur confanguine, & non pas fa
foeur utérine (y). C et ufage tiroit fon origine des
républiques , dont l'efprit étoit de ne pas mettre
fur la même tête deux portions de fonds de terre,
& par conféquent deux hérédités. Quand un homme
époufoit fa foeur du côté du père, il ne pou-
voit avoir qu'une hérédité, qui étoit celle de fon
père : mais quand ilr époufoit fa foeur utérine, il
pouvoit arriver que le père de cette foeur n'ayant
pas d’enfans mâles , lui laiffât fa fucceflion 5 &
D É M
que par confisquent fon frère, qui l'avoit époufée,
en eut deux.
Qu'on ne m'objeéte pas ce que dit Philon (6) ,
que, quoiqu'à Athènes, on époufât fa foeur confanguine,
& non pas fa foeur utérine, on pouvoit
à Lacédémone époufer fa foeur utérine , 8c
non pas fa foeur confanguine. Car je trouve, dans
Strabon (7) , que quand à Lacédémone une foeur
époufoit fon frère, elle avoit pour fa dot la moitié
de la portion du frère. Il eft clair que cette
fécondé loi étoit faite pour prévenir les mauvaises
fuites de la première. Pour empêcher que le bien
de la famille de la foeur ne paflat dans celle du
frère, on donnoit en dot à la foeur la moitié du.
bien du frère. .
Seneque (8 ) , «parlant de Silanus qui avoit époufé
fa foeur , dit qu'à Athènes la permiflion étoit ref-
treinte, & qu'elle étoit générale à Alexandrie.
Dans le gouvernement d'un feul, il n'étoit guère
queftion de maintenir le partage des biens.
Pour maintenir ce partage des terres dans la
démocratie 3 c’étoit une bonne loi que celle qui
vouloit qu'un père qui avoit plufieurs enfans, en
choisît un pour fuccéder à fa portion (9) , 8c
donnât les autres eh adoption à quelqu'un qui n'èût
point d'enfans, afin que le nombre des Citoyens
pût toujours, fe maintenir égal à celui des partages.
Phaleas de Calcédoine ( io j avoit imaginé une
façon de rendre égales les fortunes dans une république
où elles ne l’étoient pas. Il vouloit que
les riches donnaient des dots, aux pauvres , 8c
n'en reçuffent pas 3 & que les pauvres reçurent
de l'argent pour leurs filles, & n’en donnaflent
« pas. Mais je ne fâche point qu'aucune république
fe foit accommodée d'un réglement pareil. Il met
les citoyens fous des conditions dont les différences
font fi frappantes, qu'ils haïroient cetfte égalité
même que l’on chercheroit à introduire. Il eft
bon quelquefois que les loix ne paroiffent pas aller
fi dire&ement au but qu’ elles le propofent.
Quoique , dans la démocratie > l’égalité réelle
foit l’ame de l’éta t, cependant elle eft fi difficile
à établir, qu’une exactitude extrême à cet égard
ne conviendrait pas toujours. 11 fuffit que l’on
I établiffe un cens ( n ) , qui réduife ou fixe les dif-
(1) Plutarque , vie de Solon.
(2) Ibid. . . - .. .. : ■ , ,
(3) Philolaîis, de Corinthe ,' établit à Athènes que le nombre des portions de terre & celui des hérédités
feroit toujours le même. Arifiote , polit, liv. II, chap. xii.
République, Liv. VIII. . . r
(■ ;) Cornélius Nepos in preefat. Cet ufage étoit des premiers temps. Aufïï 'Abraham dit-il de Sara : elle ejt
ma fceur fille de mon père , & non de ma mère. Les mêmes raifons avoient fait établir une. même loi. che®.
différens peuples-
(6) De Jpecialibus legibus quoe pertinent ad prtecepta. decalogt.
' • (7) Liv. X.
(8) Athenis dimidium licet, Alexandriee totum. Seneque, de morte CTaudiK
(9) Platon fait une pareille loi, liv. III. des loix.
. (10). Ariftote, Politique, liv. IIchap.. v u .
(n) Solon fit quatre clafles ; la première de ceux qui avoient cinq cens mines de revenus, tant en grains
qu’en fruits liquides ; la fécondé , de ceux qui en avoient trois cents , & pouvoient entretenir un. cheval ; la
troifième r de ceux qui n’en avoien- que deux cens 5 la qqatrième de tous ceux qui vivoient de leurs, bras*
Tlutarque * vie de Solon..
D É M
ferenees à un certain point ; après quoi, c eft à
des loix particulières à égalifer, pour amu dire,
les inégalités, par les charges que les impotent
aux richesj. & le foulagement qu elles accordent
aux pauvrf. Il n y a que les richeffes médiocres
qui puiffent donner ou fouffnr ces fortes de com-
penfationsj car pour les fortunes immodérées . tout
ce qu'on ne leur accorde pas de puinance & d honneur
, elles le regardent comme une injure. |
Toute inégalité , dans la démocratie , doit etre
tirée de la nature de la démocratie & du principe
jnême de l'égalité. Par exemple-, on y peu»cram-
dre que des gens qui auroient befoin d un travail
continuel pour vivre, ne fuffent trop, appauvris
par une -magiftratüre , ou qu'ils n en négligeaient
Fes fondions i que des artifans ne s enorgueilliflent ;
que des affranchis trop nombreux ne devmflent
plus püiffans que les anciens citoyens. Dans ces
cas , l'égalité entre les citoyens ,( i) peut etre otee
dans la démocratie pour l'utilité de la démocratie.
Mais ce n'eft qu'une égalité apparente que 1 on
6te : car un homme ruiné par une magiftratüre,
feroit dans une pire condition que les autres citoyens
; & ce même homme, qui feroit oblige
d'en négliger les fonctions, mettroit les autres ci-
[ toyens1 dans une condition pire que la fienne ; &
îinfî du refte.
Il ne fuffit pas, dans une bonne démocratie,
; que lès portions de terres foient égalés ; il faut
| quelles foient petites, comme chez les romains,
f ce A dieu ne plaife, difoit Carias a fes foldats ( 2 ) ,
[ » qu'un citoyen eftime peu de terre , Ce qui elt
i c fuffifant pour nourrir un homme ».
Comme l'égalité des fortunes entretient la frugalité,
la frugalité maintient l’égalité des fortunes.
Ces çhôfes, quoique différentes, font telles qu'elles
ne peuvent fublifter l’une fans 1 autre ; chacune
d'elles eft la caufe & l'effet : fi l’une fe retire
I de la démocratie, l'autre la fuit toujours. 1
- I l eft vrai que , lorfque la démocratie eft fondée
fur le commerce, il peut fort bien arriver
I que des particuliers y aient de grandes richeffes,
i & que les moeurs n'y foient pas corrompues. C'eft
I que l'efprit de commerce entraîne avec foi Celui
I de frugalité , d’économie , de, modération , de
I .travail, de fageffe, de tranquillité ,: d’ordre & de
! règle. Ainfi, tandis que cet efprit fubfifte , les ri-
| cheffes qu’il produit n’ont aucun mauvais effet.
I L e mal arrive, lorfque l’excès des richeffes dé-
[ truit cet efprit de commerce ; on voit tout-à-coup
I naîtte les défordres de l'inégalîié, qui ne s’étoiènt
I pas encore fait fentir. ,
Il y avoit dans la Grèce deux fortes de repu-
| bliques. Les unes étoient militaires, comme La-
D Ë M 0
cêdèmone} d’autxes étoient commerçantes, comme
Athènes. Dans les unes, on vouloit que les
citoyens fuflent oififs j dans les autres, on cher-
choit à donner de l'amour pour le travail. Solon
fit un crime de l'oifiveté , & voulut que chaque
citoyen rendît compte de la manière dont il ga-'
gnoit fa vie. En effet, dans une bonne démocratie
où l'on ne doit dépenfer que pour le néceffaire,
chacun doit l’avoir 3 car de qui le recevroit-on ?
On ne peut pas établir un partage égal des
terres dans toutes les démocraties. Il y a des cir-
conftances où un tel arrangement feroit impraticable
, dangereux , & choqueroit même la conftitution.
On n’eft pas toujours obligé de prendre
les voies extrêmes. Si l'on v o it , dans une démocratie
, que ce partage , qui doit maintenir les
moeurs, n'y convienne pas, il faut avoir recours
à d'autres moyens.
Si' l'on établit un corps fixe qui foit par lui-
même la règle des moeurs, un fénat où l'âge ,
la vertu , la gravité, les fervices donnent entrée 3
les fénateurs, expofés à la vue du peuple comme
les fimulacres des dieux, infpireront des fen-
timens qui feront portés dans le fein de toutes les
familles.
. Il faut fur-tout que ce fénat s'attache aux inf-
titutions anciennes, & fafTe enforte que le peuple
& les magiftrats ne s'en départent jamais.
11 y a beaucoup à gagner, en fait de moeurs,
à garder les coutumes anciennes. Comme les peuples
corrompus font rarement de grandes chofes 3
qu'ils n’ont guère établi de focietés , fondé de
villes , donne de loix 3 & qu'au contraire ceux
qui avoient des moeurs fimples & auftères, ont
fait la plupart des établiffemens 3 rappeller les
hommes aux maximes anciennes , c'eft ordinaire-
I ment les ramener à la vertu.
De p lus, s’ il y a eu quelque révolution, &
que l'on ait donné à l’état une forme nouvelle 3
cela n'a guère pu fe faire qu’avec des peines 8c
des travaux infinis , 8c rarement avec l'oifiveté
des moeurs corrompues. Ceux - mêmes qui ont
fa it. la révolution ont voulu la faire goûter, &-•
ils n'ont guère pu y réuflir que par de bonnet
loix. Les inftitutions anciennes font donc ordinairement
des correétions, 8c les nouvelles des abus.
Dans le cours d'un long gouvernement, on va ait
mal par une pente infenfible, & on ne remonte
au bien que par un effbrt.
On a douté fi les membres du fénat dont nous
parlons , doivent; être à v ie , ou choifîs pout un
temps, dit Mohtefquieu. Sans^doute qu'ils doi-
vent être choifis pour la v ie , comme cela fe pra-
tiquoit à Rome (3) , à Lacédémone (4) & à
M ÜÜ exc,“t . des ü | tous cl UXnf rUfio^ d ? i rK r r tnc'onquife. Vlatatyte,? (a) Ils demandoient une plus grande portion de la terre cui h 1 ? oeuvres morales , vies des
anciens rois & Capitaines. • - ' * ' ,
; m Parmi^vieUUrds.,