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tière avec fa fupériorité ordinaire] dans les caufes
de la grandeur & de la décadence des romains 3 &
nous ne pouvons rien faire de mieux que d'y renvoyer
les -lecteurs.
y0. La dépendance iabfolue où fe met une puiffance
à l'égard d'une autre , eft encore une caufe de fon
affoibliffement. Cette dépendance ,peut*venir , ou
de la pareffe .nationale, ou du défaut de police,
qui réduit un peuple .à chercher des denrées ,
des ouvrages d'art, & à mendier des fecours chez
un peuple riche & formidable. Le Portugal pa-
roiffoit ê tre , il y a quelques années, dans cette
fituation à l'égard de 'l'Angleterre .} ,&.fi le cabinet
de Saint-James avpit eu des projets de conquêtes
en -Europe., ou f i ,-l'indépendance du Portugal
n'avoit pas été ‘maintenue par îles intérêts
des autres puiffances , il eût -été difficile de calculer
les .fuites ,de l'afcendant qu'avoit pris la nation
britannique fur la nation portugaife. Cette
dépendance commence d'abord par le mauvais
fyitême politique d'un ggouvernement qui époufe
toutes les querelles d'un.allié .puiftant, qui entre
trop dans fes vues, qui attache fa fortune à celle
du même allié par des liens .prefque indiffolubles,
ou qui lui vend, pour.airrfi dire, toutes fes forces
en recevant des fubfides trop confidérables.
A lo rs , s'il eft permis d'employer ic i un langage
métaphorique, .on navigue fur une mer orageufe,
on attache fa barque à ,un vaiffeau dû premier
rang avec des chaînes qu'on ne fauroit couper ,
lorfque ,ce vaiffeau eft .en péril, & l'on eft entraîné
avec lui dans l'abîme..
6°. Un état qui affeéte une grande indépendance
& une autorité -capable.de donner de l’ombrage
aux autres fouverains, peut fe ruiner par
fa forfanterie ; car la nation qui voudroit fe concentrer
. en elle-même, rompre toutes fes liaifons
de commerce ou d'amitié avec le refte de l'Europe
, révolterait les autres puiffances. Il faut cependant
obferver que nous ne parlons ici que des
peuples en .général, & que cette réfolution conviendrait
peut-être à la France. La rieheffe.de fon
fo l , l'induftrie & la multiplicité de fes habi-
tans, lui donneraient affez .de moyens de braver
le refte de l'Europe.
7°. Si un état peut s'affoiblir & fe perdre par l'indolence
de ceux qui le .gouvernent J8c qui ne favent
pas fe fervir de tous fes avantages, faire valoir
fes droits, les faire refpeéter par fes voifins, il
laiffe auffi miner fes fondemens lorfqu'un fouve-
rain forme des entreprifes vaines., chimériques,
dangereufes , & qui furpaffent abfolument fes forces.
S'il entreprend un commerce qu'il ne fauroit
protéger j s’il veut fe faire rendre juftice, les armes
à la main , par une puiffance qui a des moyens
de l'écrafer > s'il exige des prérogatives &
des honneurs extraordinaires ; s'il forme des projets
de conquêtes trop vaftes ; s'il entreprend des
travaux femblàbles à ceux des romains , des hâ-
{ime&s dignes de l'ancienne Grèce & de l'Egypte $
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s'il veut avoir une armée , une marine, une cour,'
des places fortes, des canaux, des chemins magnifiques
, & d’autres chofes femblàbles qui ne
font pas proportionnées à Ces reflources ; loin de
fe fortifier, il tombe dans la langueur, & il fe
prépare le fort des hommes qui ruinent leur fortune.'
8°. :Le partage que fait un monarque de fon
empire, perd quelquefois un état. La monarchie
que Lhilippe , roi de Macédoine, avoit fondée,
& que fon fils rendit prefqu’univerfelle, s'anéantit
peu de temps apres que les fucceifeurs d’A lexandre
l'eurent divifé. Le partage que Théodofe
fit de l'Empire romain , entre fes fils Arcadius &
Honorius , fut la première caufe de fa décadence.
L'Empire formidable d'occident, que Charlemagne
avoit établi avec, tant de peine, fut démembré
ou plutôt anéanti, par le partage que
cet empereur en fit entre fes enfans.
Rien n’eft donc plus iage ni plus jufte en politique
, que l’établiffement dü droit de primogé-
niture : la raifon & l’expérience démontrent que
•la fucceifion indivifible qui pafle au premier ne
des mâles, maintient l'état autant que le partage
du pays fert à le ruiner. Lorfqu’il s’agit de l'héritage
d'une couronne, on ne doit pas dire que
des fils nés d'un même père ont un droit égal à
fa fucceifion, & que les cadets ont à fe plaindre
fi I.ainé hérite de tout. Ces railbnnemens que les
écrivains de droit public ont trop employé, ne
méritent pas une réfutation férieufe. Au refte ,
dans prefque toutes les contrées où le droit de
primogéniture/eft établi, on a réglé i" . que les
cadets participeraient à la fucceifion des biens allodiaux,
meubles ou immeubles qui ne font point
incorporés à H couronne, mais qui relèvent d’elle )
1°. que l’ ainé qui hériteroit de la fouveraineté ,
feroit obligé de donner aux autres princes de fa
maifon un appanage affez confidérabie pour fournir
à un entretien digne de leur naiffance; 30. que
le fouverain pourrait faire à chacun de fes enfans
un établiffement convenable, en leur achetant
de fon épargne, des terres & feigneuries qui les
minent hors de là dépendance abfolue du chef de
fa famille j mais que ces terres ou feigneuries ne
jouiraient d'aucun droit de fouveraineté. S'il faut
montrer la fageffe de ces difpofitions, on peut
obferver que le droit de primogéniture eft introduit
dans tous les fiefs, & qu'on doit diftinguer
la fucceifion des fouverains & celle des particuliers.
On ne peut partager des hommes & des
peuples, comme on partage les autres biens de là
fortune ; & la fouveraineté n'eft pas un bien dont
le poffeffeur puiffe difpofer, mais une charge,
un office dont il eft revêtu. D'ailleurs le droit de
primogeniture & la création des appanages font
utiles même aux branches d’une maifon régnante.
Suppofons en effet un roi qui gouverne une
vafte monarchie , & qui la partage entre-' une
norabreofe famille ; fi -chaque branche conferve ce
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de partage ,. au bout* de quatre- oü cînqî générations
les portions fubdivifee,» fe trouveront fi
petites, que ces princes qui defcendent d une
fouche rel^eélable_> ne feront que de petits lou-
v.erains expofés àr toute l'avidite de leurs vojfins
plus puiffans, Quoique Touverajns. „ ils n’auront,
plus de grandeur réelle jj ils fe trouveront au-def-
fous des princes appanages des. grandes raaifons
royales. D'un autre côté ,, l'état perd- peu de- chpfè;
en contribuant, aux appanages. des princes, lorsqu'ils.
font obligés dé dépenfer,. dans, le pays-même,
l'argent qui leur eft fourni pour leur entretien
: leur luxe met une plus, grande valeur en; circulation,,
& cerf argent retombe dans la: maffe
totale des richeffes publiques. S'ils po.ffèdent des
terres, ils les poffèdenr à: titre de fujets , & de
fujets ailes qui peuvent améliorer §& embellir- çes.
terres , & en rendre- les-cultivateurs heureux.. Enfin,,
de quelque côté qu/on confidère l'établiffement
des appanages, & de la primogéniture, o a
doit approuver cette invention de la politique.
9°. Ç'eft un axiome, en politique que la fouveraineté
ne fouffre aucune divifion 3 parce que tout
pouvoir divifé s'affoiblit,. & il en refulte que, deux
princes ne faur.oient à la fois occuper le même
trône. Toutes. Ges. affoçiations à l'Empire, fi communes
dans l'hiftoire des empereurs., étoient. bien
mal calculées. Le prince Iwan 8c- Pierre 1 , placés
enfemble fur le trône de Kuffie, auraient fait des
maux inexprimables à cet Empire,, fi la co-régence
eût duré plus long-temps./Un pareil arrangement
devient donc une caufe d-ireétç de. la décadence
d’un état. L'hiftoire en fournit mille preuves, &
les fimples lumières dé la raifoa peuvent en. convaincre.
11 s'agit ici de deux- fouverains régnans.
avec une autorité égale $ car lorfqu'un monarque
affoibli par l'age ou. par des infirmités, une prin-
ceffe qui fuccombe fous le fardeau des affaires, publiques
, affocie à la régence un fils-, un époux ,
un frère , & fe remet à lui des foins du gouvernement,
c'eft un autre cas,. & les,fuitesmen font
pas fi dangereufes. C e prince, affocié n'eft alors
qu'une efpèce de vifir , de premier-miniftre-, qu'on:
peut dépofer, & qui doit rendra compte au monarque
de fes aérions.
iQ,?. La puiffance d'un état eft réelle ou relative,
ou fondée fur fa fituation locale, ou d'opinion,
ou acceffoire; après avoit développé les
principales caufes qui concourent: à la décadence-
des deux premières ef^èces- de puiffançes,.. exar-
minons comment les trois dernières peuvent s'af-
foiblir par des caufes étrangères. Lorfque la nature
brife lés barrières, qui fervent de rempart i-
un pays ; que les mers. 6?:les rivières font impraticables
par des bancs: de fable j que les; campagnes
font fubmergées j.. que fes. montagnes s'écrou-
lent 5 en un mot, quand le fcd éprouve des ré--
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volutions, il eft confiant qu'un pays perd- les
'avantages d e . fa. fituation primitive 8c que de
pareils déftftres mettent en, danger la puiffance
de l'état. Il n'eft pas befoin de dire qu'un fouverain
fage doit prévenir,, autant que les forces humaines
peuvent le faire -, les; effets de pareils
fléaux , 8c ,emréparer les dommages-.
Là puiffance d'opinion s'affoiblit, & tombe,
félon que l'opinion fur laquelle elle eft établie,
s> affaiblit dans, l'efprit des hommes : voilà pourquoi,
ceux qui- font à la;. tête d'un pareil état ,
cherchent to.ujours>à perpétuer cette opinion, vraie
ou fauffe.
Enfin la puiffatfce acceffoire s'anéantit., lorfque
les provinces éloignées qui la. donnent font enlevées
par une force étrangère , & paffent en d'autres
mains, ou que leur poffeffion devient plus à
charge qu'utile à l'état. Si le Portugal venoit à
perdre le Brefil 8c fes pofteffions en Afie 5 fi
les ifl.es & les prav.inces de Terre-Ferme , qui appartiennent
encore à la république de Venife, lui
étoient enlevées,, le Portugal & Venife fe trouveraient
bien affoiblis 5 la métropole doit donc
faire, les. plus grands, efforts pour s'en affurer la
; confervation. Mais il eft des. provinces dont la
.conferv.ation même devient fi onéreufe, que cette
charge énerve.l'état & devient la fource d efa fo i-
ÿeffe^ L'ifle de C o r fe , dont les habitans inquiets ,
mécqntens, mettoient depuis fi long-temps la répu-
, hlique de G,ênes ; au défefpoftj en fournit un exemple
remarquable. Si la rébellion eût continué dans ce
royaume, & que les génois ne l’euffent pas cédé
à la France, il eft, vraifemblable. que l'état de
Gênes fe ferait ruiné.
Telles font en général les caufes étrangères de
la décadence des états. Examinons quelles en peuvent
être les caufes intrinsèques } i.°. la. confti-
tutiôn vicieüfe de* l'état : nous dirons ailleurs
quelle efpèce de conftitution vicièufe peut détruire
un gouvernement.
L'état le plus régulièrement conftitué peut courir
à fa ruine, lorfqu'il eft gouverné par un fou-
verain infenfé. Les fautes continuelles que fait un
prince extravagant,, perdent une nation, avant que
les miriiftres les plus fages puiffent les réparer.
Malkçur d toi, 3 terre , quand, ton roi eft jeune 3
dit: l'Eccléfiafte , . & c . (t).j mais il ne faut pas
prendre, cette maxime à la lettre, & l'expreffion
de jeune eft bien; vaguer Les loix naturelles & po-
fitives éloignent., il eft vrai, de la régence, les rois
& les princes mineurs, 8c leur donnent des tuteurs.
C e s cas ont été prévus par-tout, & il n'y"
a guères de pays où les loix ne déterminent l'âge
que le fouverain doit avoir pour régner ,. & les
perfonnes auxquelles fa. tutelle & la. régence de
l'état font confiées , jufqu'à ce qu'il foit parvenu
à . fa majorité : mais .les.; maux qu'entraînent ordi-
/j) Ecclefiafte, chap. x. verf. 16,