
colonie avoir acquis une aflez grande célébrité.
Quelques aventuriers * autant par haine ou jaîou-
fie nationale que par inquiétude d’ efprit & befoin
de fortune , attaquèrent les vaifleaux efpagnols.
Ces corfaires furent fécondés par les foldats de
C rom w e l, q u i, ne recueillant après fa mort que
l ’averfion publique attachée à fes cruels fuccès,
cherchèrent au loin un avancement qu’ils n’efpé-
roient plus en Europe. C e nombre fut groflï d’une
foule d’anglois des deux partis , accoutumés au
fang par les guerres civiles qui les avoient ruinés.
Ces hommes, avides de rapine & de carnage,
ecumoient les mers , dévaftoient les côtes du nouveau
- Monde. C ’étoit à la Jamaïque qu’étoient
toujours portées par les nationaux , & fouvent
pat les étrangers , les dépouilles du Mexique &
du Pérou. Ils trouvoient dans cette ille plus de
fa c ilité , d’accueil , de protection & de liberté
qu’ailleurs , foit pour débarquer 3 foit pour dé-
penfèr à leur gré le butin de leurs courfes. C ’eft-
là que les prodigalités de la débauche les rejet-
toient bientôt dans la mifère. Cet unique aiguillon
de leur fanguinaire indultrie les faifoit revoler à
de nouvelles proies. Ainfi la colonie profitait de
leurs continuelles viciffitudes de fortune , & s’en-
richifloit des vices qui étoient la fource & la ruine
de leurs tréfors.
Quand cette race exterminante fut éteinte par
fa meurtrière activité 3 les fonds qu’elle avoit laif-
fés devinrent la bafe d’une nouvelle opulence 3
par la facilité qu’ils donnèrent d’ouvrir un commerce
interlope avec les pofleflions efpagnoles.
Cette veine de richefles qü’on avoit ouverte vers
16-713 s’accrut fucceflîvement & très-rapidement
vers la fin du fiècle. Des portugais * avec un capital
de trois millions 3 dont leur fouverain avoit
avancé les deux tiers , s’engagèrent en 1696 à
fournir aux fujets de la cour de Madrid, cinq mille
noirs 3 chacune des cinq années que devoit durer
leur traité. Cette compagnie tira de la Jamaïque
tin grand nombre de ces efclaves. Dès lors 3 le
colon de cette ille eût des liaifons fuivies avec
le Mexique & le Pérou , foit par l’entremife des
agens portugais 3 foit par les capitaines de fes
propres vaifleaux employés à la navigation de
ce commerce. Mais ces liaifons furent un peu
ralenties par la guerre de la fuccelfion au trône
d’Efpagne. ,
A la paix, le traité de l’ Afliento donna des
alarmes à la Jamaïque. Elle craignoit que , la compagnie
du fo d , chargée de pourvoir de nègres
les colonies efpagnoles , ne lui fermât entièrement
le canal & la route des mines d’or. Tous les e fforts
qu’elle fit pour rompre cet arrangement, ne
changèrent point les mefures du miniftère anglois^
Il avoit fagement prévu que l’aétivité des aflien-
tiftes donneroit une nouvelle émulation à l’ancien
commerce interlope , & fes vues fe trouvèrent
juftes.
Le commerce prohibé que faifoit la Jamaïque>
étoit fimple dans fa fraude. Un batimènt ànglois
feignoit qu’ il manquoit d’eau, de bois, de vivres
j que fon mât étoit rompu , ou qu’ il avoit
une voie d’eau qu’il ne pouvoit ni découvrir, ni
étancher , fans fe décharger. Le gouverneur per-
mettoit que le navire entrât dans le port & s y
réparât. Mais, pour fe garantir ou fedifculper de
toute accufation auprès de la cour, il falloir mettre
le fceau fur la porte du magafin où l’on avoit
enfermé les marchandifes du vaifleau j tandis qu’ il
reftoit une autre porte non fcellée 3 par où 1 on
entroit & l’on fortoit les effets qui étoient échangés
dans ce commerce fecret. Quand il étoit terminé
3 l’étranger qui manquoit toujours d’ argent ,
demand'oit qu’il lui fût permis de vendre de quoi
payer la dépenfe qu’il avoit faite: permiffionqu’il
eût été trop barbare de refufer. Cette facilité
étoit néceflaire, pour que le commandant ou fes
agens puffent débiter impunément en public ce
qu’ils-avoient acheté d’avance en fecret, parce
qu’on fuppoferoit toujours que ce ne pouvoit etre
autre chofe que les effets qu’il avoit été permis
d’acquérir. Ainfi fe vuidoient & fe répandoient
les plus groffes cargaifons. " |
La cour de Madrid fe flatta de mettre fin à
ce défordre, en défendant l’admiflion des bâti-
mens étrangers dans fes ports, fous quelque prétexte
que ce pût être. Mais les jamaïcains, appelant
la force au fecours de l’artifice , fe firent
protéger , dans la continuation de ce commerce ,
par les vaiffeaux de guerre anglois, qui recevoient
cinq pour cent fur tous les objets dont ils favo-
rifoient l’introduélion frauduleufe.
Cependant, à cette violation éclatante & ma-
nifefte du droit public, en fuccéda une plus fourde
& moins menaçante. Les navires expédiés de la
Jamaïque fe rendoient aux rades de la côte efpa-
gnole les moins fréquentées $ mais fur-tout à deux
ports également déferts ‘. celui de Brew à cinq
milles de Carthagène , & celui de Grout à quatre
milles de Porto-Belo. Un homme qui fçavoit la langue
du pays, étoit promptement mis à terre pour
avertir les contrées voifines de l’arrivée des vaiffeaux.
La nouvelle fe répandoit de proche en proche
avec la plus grande célérité , jufqu’aux lieux
les plus éloignés. Les marchands venoient avec la
même diligence $ & la traite commençoit, mais
avec des précautions dont l’expérience avoit en-
feigné la neceflïté. L ’équipage du bâtiment étoit
divifé en trois parties. Pendant que l’une accueil-
loit les acheteurs avec politeffe & veilloit d’un oeil
attentif fur le penchant & l’ adreffe qu’ ils avoient
pour le v o l , l’autre étoit occupée a recevoir la
vanille , l’ indigo , la cochenille , l’or & l’argent
des efpagnols , en échange des efclaves , du vif-
argent, des foieries, & d’autres marchandifes^qui
leur étoient livrées. En même temps la troifième
divifion , retranchée en armes fur le tillac, veiL
loit à la fureté du navire & de l’équipage, ayant
foin de ne pas laifler entrer plus de monde à
k fois qu’ elle n’ en pouvoit contenir dans l’ordre.
Lorfque les opérations étoient terminées, 1 anglois
regagnoit fon ifle avec les fonds qu’il avoit
communément doublés, & l’cfpagnol fa demeure
sxvec fes emplettes, dont il efpéroit tirer un fem-
blable & même un plus grand bénéfice. De peur
d’être découvert, il évitoit les grandes routes &
marchoit dans des chemins détournés, avec des
nègres qu’il venoit d’acheter, & qu’il avoit chargés
de marchandifes diftribuées en paquets d une
forme & d’un poids faciles à porter. .
Cette manière de négocier profpéroit depuis
long-temps au grand avantage des colonies des
deux nations, lorfque la fubftitution des vaifleaux
de regiftre aux galions ralentit, comme l’Efpagne
fe l’étoit propofé, la marche de ce commerce.
Il diminua par degrés 5 & dans les derniers tems,
il étoit réduit à peu de chofe. Le miniftère de
Londres, voulant le ranimer, penfa en 1 y66 que
le meilleur expédient pour rendre à la Jamaïque
.ce qu’elle avoit perdu, étoit d’en faire un port
franc.
Aufli-tôt les bâtimens efpagnols du nouveau-
Monde arrivèrent de tous les cotés, ppur y échanger
leurs métaux & leurs denrées contre les manufactures
angloifes. Cet empreflement avoit cela
de commode, que le gain dont il étoit la fource,
étoit fans danger & ne pouvoit être l’occafion
d’aucune brouillerie : mais il falloir s’attendre que
la cour de Madrid ne tarderoit pas à rompre une
communication fi nuifible à fes intérêts. La Grande-
Bretagne le penfa ainfi j & pour continuer à faire
couler dans fon fein les richefles du continent
voifin, elle jetta fur la côte des mofquites les fon-
demens d’une colonie.
Quelque foit un jour le fort de ce nouvel éta-
bliflement, il ell certain que la Jamaïque s’occupa
long-temps beaucoup trop d’un commerce
frauduleux, & trop peu de fes cultures. La première
à laquelle les anglois le-livrèrent, fut celle
du cacao, qu’ils avoient trouvée bien établie par
les efpagnols. Elle profpéra tant que durèrent les
plantations de ce peuple , qui en faifoit fa principale
nourriture & fon négoce unique. Les arbres
vieillirent > il fallut les renouveller : maïs foit défaut
de foins ou d’intelligence, ils ne réuffirent
pas , & on leur fubftit'ua l’indigo.
Cette production prenoit des accroiflemens
confidérables, lorfque le parlement la chargea d’un
droit qu’elle ne pouvoit porter, & qui en fit tomber
la culture à la Jamaïque 3 comme dans les
autres ifles angloifes. Cecte imprudente taxe fut
depuis fupprimée : on lui fubftitua même des gratifications
j mais cette générofité tardive n’enfanta
que des abus. Pour jouir du bienfait, les jamaïcains
contractèrent l’habitude qu’ils ont confervée
de tirer cette précieufe teinture de Saint-Domingue
, & de l’introduire dans la Grande-Bretagne
comme une richefle de leur propre fol.
On ne fauroit regarder comme entièrement perdue
la dépenfe que fait à cette occafion le gou-
vernement, puifque la nation en profite : mais elle
entretient cette défiance & , s’il faut le dire ,
cette friponnerie que l’efprit de finance a fait
naître dans toutes nos légiflations modernes entre
l’état & les citoyens. Depuis que le fifc n’a
Cefle d’imaginer des moyens pour s’approprier
l’argent du peuple, le peuple n’ a cefle de cher-*
cher des rufes pour fe fouftraire à l’avidité du
fifc. f
U exiftoit encore quelques plantations d’indigo
à la Jamaïque , lorfqu’on commença à s’y occupée
du coton. Cette production eut un fuccès rapide
& toujours fuivi, parce qu’elle trouva, fans interruption
, un débouché avantageux en Angleterre,
où on la mettoit en oeuvre avec une adrefle
qui a été plutôt imitée qu’égalée par les nations
rivales.
Le gingembre a été moins utile à la colonie.
Les fauvages, que les européens trouvèrent dans
les ifles d’Amérique, en faifoient aflez généralement
ufage : mais leurconfommation en ce genre,
comme dans les autres , étoit fi bornée, que la
nature brute leur en fournifloit fuffifamment. Les
ufurpateurs prirent une efpèce de paflion pour
cette épicerie. Us en mangeoient le matin , pouc
aiguifer leur appétit. On leur en fervoit à table,
confit de plufieurs façons. Us en ufoient après
le repas, pour faciliter ladigeftion. C ’étoit, dans
la navigation , leur antidote contre le feorbut.
L ’ancien monde adopta le goût du nouveau , &
ce goût dura jufqu’ à ce que le poivre, qui avoit
eu long - temps une valeur extraordinaire , fut
baifle de prix. Alors le gingembre tomba dans
une efpèce de mépris, & la culture en fut à-
peu-pres abandonnée par-tout, excepté à la Jamaïque.
Cette ifle produit & vend une autre épicerie ,
connue fous le nom impropre de poivre de la Jamaïque.
L ’art de le cultiver ne fut connu à la Jamaïque
qu’ en 1668. Il y fût porté par quelques habitans
de la Barbade. L ’un d’entr’eux avoit tout ce
qu’ exige la forte de création qui dépend des hommes
: c ’étoit Thomas Moddifort. Son activité ,
fes capitaux, fon intelligence le mirent en état
de défricher un terrein immenfe, & l’élevèrent ,
avec le temps, au gouvernement de la colonie.
Cependant le fpe&acle de fa fortune & fes vives
follicitations ne pouvoient engager aux travaux de
la culture, des hommes nourris la plupart dans
l’oifiveté des armes. Douze cents malheureux ,
arrivés en 1670 de Surinam , qu’on venoit de ce*
der aux hollandois , fe montrèrent plus dociles à
fes leçons. Le befoin leur donna du courage, &
leur exemple infpira l’émulation. Elle fut nourrie
par l’abondance d’argent que les fuccès continuels
des flibuftiers faifoient entrer chaque jour
dans l*ifle. Une grande partie fut employée à la
conftruttion des édifices, à fâchât des efclayes,