qu'ils fe flattaient de recouvrer bientôt chez les
etrangers la préférence qu'on y avoic perdue.
Cette nouvelle révolution’etoit plus que vraifem-
blable , fi chaque quintal de fucre raffiné qu'ils
envoyoient, n'eut été afïujetti à un droit de 8 1.
à fon entrée dans le royaume. Tout ce qu'ils purent
faire , malgré le poids de cette impofitiôn
exceflïve, ce fut de foutenir la concurrence des
raffineurs françois dans- l'intérieur de la- monarchie.
Le produit des atteliers des uns & des autres
y fut con femme tout entier , & l'on renonça
a une branche, importante de commerce, plutôt
que de reconnoître qu*on s'étoit trompé en dé-
Kndant l'exportation des fucres bruts.
Dès-lors, les colonies qui recueilloient vingt-
fept millions pefant de fucre, ne purent le vendre
en totalité à la métropole , qui n'en confom-
moit que vingt millions. Le défaut de débouchés
en réduifît la culture au pur néceffaire. C e niveau
ne pouvoit s'établir qu'avec le temps; & ,
avant qu'on y fût parvenu , la denrée tomba dans
un aviliffement extrême. C et aviliffemerit , qui
proVenoit aufïi de la négligence qu'on apportoit
dans la fabrication, devint fî confidérable, que
le fucre brut q u i, en 1682 , fe vëndoit 14 ou
1 y francs le cent, n'en valoit plus que y ou 6 en
M P
Il n'étoit pas poffible que, dans cet état de
chofes , les colons puffent multiplier leurs efcla-
v e s , quand même le gouvernement n'y auroit
pas mis des obftacles infurmontables par de fauf-
fes vues. La traite des nègres fut toujours confiée
à des compagnies exclufives qui en achetèrent
conftamment fort p eu, pour être afïurées
de les mieux vendre. On eft fondé à avancer qu'en
1698 , il n'y avoit pas vingt mille nègres dans
ces nombreux établifïemens, & il ne feroit pas
téméraire d'afîurer que la plupart y avoient été
introduits par des interlopes. Cinquante - quatre
navires de grandeur médiocre , fuffifoient pour
l ’extraftion du produit de ces colonies. Les ifles
françoifes dévoient fuccomber naturellement fous
le poids de tant d'entraves* Si leurs habitans ne
les abandonnèrent pas pour porter ailleurs leur
a& ivité , il faut attribuer leur perfévérance à des
refïources indépendaates de l'adminiftration. Lorf-
qu'on opprimoit quelque production , le colon
fe tournoit rapidement vers un autre que le fifc
n'avoit pas encore apperçue , ou qu'il craignoit
d'étouffer au berceau. Les côtes ne furent jamais
affez bien gardées, pour rompre toutes les liai-
fons formées avec les navigateurs étrangers. Les
brigandages des flibuftiers fe convertiffoient quelquefois
en avances de culture. Enfin la paffion,
tous les* jours plus vive de l'ancien-Monde pour
les denrées du nouveau, étoit un grand encouragement
à leur multiplication. Cependant ces
moyens n’auroiënt jamais été fuffifans pour tirer
les colonies françoifes de leur état de langueur.
Une grande révolution étoit néceflairè : elle arriva
en 1717.
A cette époque, un réglement clair & fimpla
fut fubftitué à cette foule d'arrêts équivoques ,
que des fermiers avides & peu éclairés avoient
arraches fuccefïivement aux befoins, à la foi-
bleffe du gouvernement. Les marchandifes, def-
tmees pour les colonies 3 furent déchargées de
toute imjjofïtion. On modéra beaucoup les droits
des denrées d'Amérique , qui fe confommoient
dans le royaume. Celles qui pourroient paffer aux
autres nations, dévoient jouir d'une liberté entière
, à l'entrée & à la fortie, en payant trois
pour cent. Les taxes mifes fur les fucres étrangers
, dévoient être^ perçues indifféremment partout
^ans aucun égard aux franchifes particu-
lièrs , hors le cas de réexportation dans les ports
de Bayonne & de Marfeille*
En accordant tant de faveurs à fes poffeffions
éloignées , la métropole n'oublia pas fes intérêts.
Elle voulut que toutes les marchandifes, dont
la- confommation n'étoit pas permife dans fon
fein , leur fuffent défendues. Pour affluer la préférence
à fes manufactures , elle ordonna aufïi
que les marchandifes même , dont i'ufage n'étoit
pas prohibé, payeroient les droits à leur
entrée dans le royaume, quoique deftinées pour
les colonies. Il n'y eut que le boeuf falé, qu'elle
ne pouvoit fournir en concurrence, qui fut déchargé
de cette obligation.
C et arrangement eût été aiiffi bon que les lumières
du temps le comportoient, fi l'édit eût
rendu général le commerce de l'Amérique, concentré
jufqu'alors dans quelques ports, & s'il eût
déchargé les vaiffeaux de l'obligation de faire
leur retour au lieu d’où ils étoient partis. De
pareilles gêneslimitoient le nombre des matelots,
augmentaient le prix de la navigation, empê^-
choient la fortie des productions territoriales. Ceux
qui gouvernoient alors l'éta t, dévoient voir ces-
inconvéniens, & fe propofoient fans doute de
rendre un jour au commerce , la liberté &r l'activité
qui lui font néceffaires. Vraifemblablement
ils furent obligés de facrifier leurs maximes à
l'aigreur des gens d'affaires, qui défappprou-
voient. avec éclat toutes lés opérations contraires
à leurè intérêts.
Malgré cette foibleffe, le colon qui n'avoit ré-
fiftê qu'avec peine aux Pollicitations d'un fol excellent
, y porta tous fes foins dès qu'on le lui
permit. Sa profpérité étonna toutes les nations.
Si le gouvernement, à l'arrivée des françois dans
le nouveau-Monde, avoit eu , par prévoyance ,
les lumières qu'il acquit^par l'expérience un fiècle
après, l'état auroit joui de bonne heure d’une
culture & d'une richeffe, qui valoient mieux
pour fa profpérité que des conquêtes. On ne I'au-
roit pas vu également affoibli par fes victoires &
par fes ^ défaites. Les fages adminiftrateurs qui
remédioient aux njaux de la guerre par une heu-
»eufe révolution dans le commerce, n* auroient
pas eu la douleur de voir qu'on avoit évacue
Sainte-Croix en 16 9 6 , & facrifié Samt-Chnfto-
phe à la paix d'Utrecht. Leur affliction auroit
été bien plus profonde , s’ils avoient prevu qu en
1763 on feroit réduit à abandonner la Grenade aux
anglois.
Remarques fur tadministration des colonies , les
corvées, les impôts. Dans le premier âge de fes
colonies, la France zccoràoit gratuitement des
poffeffions à ceux qui en demandoient. Un vagabond
s'enfonçoit dans les forêts , y marquoitl ef-
pace plus ou moins étendu qu'il lui plaifoit d occuper,
& en fixoit- les limites en ahattant tout
autour des arbres > C e défordre ne pouvoit durer.
Cependant l'autorité ne fe permit pas de dépouiller
ceux qui s'étoient fait à eux-mêmes un
droit : elle régla feulement que , dans la fuite, -il
n'y auroit de propriété légitime que celle qui feroit
accordée par les adminiftrateurs. Sans aucun
égard aux talens & aux facultés, la-protection
devint alors la mefure unique des diftributions. On
ftipuioit, à la vérité , que les colons commence-
roient leur , établiffement dans l'année même de >
la conceffion, & qu'ils n'en difeontinueroient pas 1
le défrichement, fous peine de confifcation. Mais,
outre l’inconvénient d'obliger ^ aux dépenfes de
l'exploitation, des hommes qui n avoient pas eu
les moyens d'acquérir un fpnds, la peine n'étoit
infligée qu'à ceux qui , fans fortune & fans naif-
fanee, n'intéreffoient perfonne à leur avancement,
ou à des mineurs foibles & abandonnes, que la
eommifération publique auroit dû fecouriij dans
la mifère >où la mort de leurs parens les laiffoit.
Tout propriétaire qui trouvoit de la recommandation
ou de l'appui, pouvoit impunément garder
fon domaine en friche.
A cette prédilection qui devoit retarder fenfî-
blement le progrès des colonies, s'eft jointe une
foule d'arrangemens économiques plus vicieux les
uns que les autres. On a d'abord afïujetti tous
ceux à qui l'on donnoit des terres , à y planter
cinq cens foffes de manioc pour chaque efelave
qu'ils auroient fur leur habitation. Cet ordre blef-
foit également & l'intérêt des particuliers, en les
forçant à cultiver une production vile fur un ter-
rein qui pouvoit en rapporter de plus riches ; &
l'intérêt public , en rendant inutiles les terreins
fecs qui n'étoient propres.qu'à ce genre de production.
C'étoit un double vice qui devoit diminuer
la culture de toutes les denrées. Auffi la loi
qui faifoit violence à la difpofition de la propriété,
n’a-t-elle jamais été rigoureufement exécutée
: mais, comme on ne l’ a jamais révoquée,
èîle eft toujours un fléau entre les mains de l'ad-
miniftrateur ignorant, bizarre ou paffionné , qui
voudra s'en fervir. contre les habitans. La contrainte
des loix agraires eft: encore agravée par le
poids des corvées.
La culture des terres, par la nature du climat
& la nature des productions, exigeant plus de_célérité
, ne peut que fouffrir extrêmement de l ’ab-
fence de fes agens, qu’on occupe loin de leurs
atteliers, à des ouvrages publics, fouvent inutile
s , & toujours faits pour des bras oififs. Si la
métropole, malgré la foula de moyens qu elle a
fous la main, a eft pas encore parvenue^ corriger
ou à tempérer la vexation des corvées, elle
doit juger combien il en téfulte d'inconvéniens
au-delà des mers, quand la direétion de ces travaux
eft confiée à deux adminiftrateurs qui ne peuvent
être ni dirigés, ni redreffés, ni arrêtés dans
l’exercice de leurs pouvoirs. Mais le fardeau des
corvées eft doux 8c léger, au prix de celai des
impôts.
L'impôt affis fur la tête des nègres eft - il
jufte dans fon étendue ? il eft inégal dans fa
répartition, & compliqué dans fa perception ;
l’impôt établi fur les denrées qui fortent des colonies
, eft également fufceptible de beaucoup de
difficultés. , :
Loin , d’ attaquer la culture des colonies :par
d’impôts, on devroit l’encourager par des libéralités
, puifque l’état de prohibition où l’on tient
le commerce des. colonies, rapporteroit ces libéralités
à'la métropole, avec'tous les fruits dont
elles auroient été la feménee.
Que fi la fituation d’un état, arriéré par fçs
pertes & par fes fautes, ne permet pas de donner
des leviers & d’ôter des fardeaux , ne pour-
roit-on pas fe rapprocher de la meilleure admi-
niftration, en fupprimant du _moins le paiement
' des taxes dans les colonies mêmes, pour en lever
le produit dans la métropole ? C e nouveau
fyftême feroit également agréable aux deux mondes.
Rien,ne peut flatter le colon de nos ifles d’A mérique
, comme d’ éloigner de fes yeux tout ce
qui lui annonce fa dépendance. Fatigué de l’importunité
des exaéfeurs, il hait une taxe habituelle
; il en craint l’ augmentation. 11 cherche én
vain la liberté qu’ il croyoit avoir trouvée à deux
mille lieues de l’Europe.
Les navigateurs trouveront un avantage à ne
payer des droits que fur une marchandife, qui
déformais fans rifaué, dans toute fa valeur, fera
parvenue à fa deftination, & fera rentrer dans
leurs mains le capital de leurs fonds avec le bénéfice.
Us n’auront pas la douleur d’avoir acheté
du prince le rifque même du naufrage, en perdant
,en route une cargaifon , dont ils avoient
payé la taxe à l'embarquement. Leurs navires ,
au -contraire, rapporteront en denrées le montant
du droit ; & la valeur des produirions ayant augmenté
par leur exportation, le droit en paroitra
moins fart.
Enfin le coniommateur y gagnera lui - même ,
parce qu’il n’eft pas poffible que le colon Sc le
négociant fe trouvent bien d’une difpofition, fans