
a i 8 É D U
qu’ils éprouvent le plaifir le plus doux dans les
careffes qu’ils leur rendent : la reconnoiffance &
le refpeél font déjà dans leurs coeurs, avant que
leur intelligence foit avertie que ce font des devoirs
: U faut j il ne faut pas. Tais-toi, froid pédagogue
, avec tes préceptes} amène tes élèves à
ce qu’il fa u t, par la fenfibilité , 8c détourne les
par cette même fenfibilité de ce qu’il ne faut pas.
L e coeur n’entend que la langup du coeur, le
fentïment n’ arrive pas. par l’intelligence, de là l’inutilité
du précepte quand il eft feul. O ma nière !
comme tes tendres careffes avoient ouvert mon
coeur à l’amour du bien ! avec quel plaifir je volois
dans tes bras recueillir le prix d’une journée bien
remplie! de quels regrets n’étois - je pas poigné,
quand je lifois dans tes regards ^ttriilés.l’accufa-
tion d’une faute quelqu’ elle fut ! Un de tes bai-
£ers plus ou moins tendre,. m’en difoit plus que
tous les livres de morale 5 je t’aimois, je te ref-
peélois long-temps avant que je fçuffe que c’ étoit
un devoir, 8c f i , dans ce moment, le fouvenir
de ta tendreffe fait encore couler mes larmes,
c ’ eft moins au précepte d’honorer la mémoire de
fes parens que je dois cette tendre émotion, qu’au
fentiment profond 8c à jamais ineffaçable de l’ attachement
».
Quel bonheur pour nous-mêmes, 8c ppur la fo-
crété dans laquelle nous avons à vivre , f i , dès
nos premières années, on nous préfentoit tous
nos autres devoirs fous la forme attrayante du
Cent«ment l fi l’on s’occupoit de nous y inviter
par l’exemple ! A force d’imitation, on nous en
rendroit la pratique habituelle 8c néceffaire. Mais
le contraire arrive | orf nous livre à des mercenaires
, auxquels il eft impofiible de prendre pour
une foule d’enfans étrangers 8c également indif-
férens, la forte d’intérêt qui produit par revanche
l’attachement : ainfi le coeur eft fans exercice
dès les années les plus tendres. Dans le moment i
où il ne s’ouvre que pour aimer tout cé qui l’entoure
, il fe flétrit, fe deffèche, va au bien fans
intérêt, & , parce qu’on le lui dit ; n’évite le mal
que par la crainte d’être puni 3 8>c finit par re-
jetter les préceptes dont l’amertume 8c la trifteffe
le dégoûtent.— Je n’ ai jamais pu entrer dans
un collège, fans éprouver ce refferrement, ce mal-
aife qui fe fait fentir à l’afpeét d’une ' maifon qui
ne renferme que de malheureux orphelins . . . .
Ave c quelle ardeur ne s’attroupent-ils pas autour
de vous ! Ils ont l’air de chercher leurs parens, de
vous favoir mauvais gré de ce que vous ne l’êtes
pas > comme ils font trilles 8c dévorés d’envie à la
vue de l’ un d’eux qui jouit des careffes de fa mère !
C e fpeétacle m’a navré toutes les fois que j’ en ai
été témoin.
L ’ inftruétion 8c l’inftitution diffèrent tellement ,
qu’ il eft dangereux de les réunir fous le même
point de vue, & d’en confondre les moyens ,
comme on Je fait tous les jours. L ’une, je le répète
, doit être publique & confiée à des étranÉ
D U
gers > publique, parce qu’ elle a fon reffort dans
l’émulation qui naît de la concurrence, 8c confiée
à des étrangers, parce qu’elle exige de la
fermeté. L ’autre doit être particulière, parce qu’ elle
n’agit que par l’intérêt, faffeétion 8c la tendreffe.
L’une n’ exige que des préceptes, des règles 8c
des . leçons } l’autre rejette tout ce qui a l’air de
préceptes, de règles 8c de leçons, 8c ne demande
que des fentimens. Il eft donc dangereux de réunir
, dans la perfonne d’un étranger, l’inftitution
à l’inftruélion, parce que l’inftruéteur qui n’eff
jamais aimé, infpire du dégoût pour le même
homme, en fa qualité d' ih ftitu teuT qu’il ne peut
jamais être avec fruit. Dans la forte d’ éducation
particulière, où, les parens donnent chez eux un
gouverneur à leurs enfans, il feroit néceffaire, en
fuivant les mêmes principes , que le gouverneur
fût digne , par fon affeétion 8c par fa tendreffe,,
d’être le repréfentant du père, & qu’il fût au plus
chargé de veiller fur l’ordre des études ; car, dès
que la leçon arrive, on ne s’ aime plus} il s’y mêle
de la contrariété, de l’ennui, par conféquent du
dégoût, de l’éloignement, & à la longue de l’humeur.
L’enfant, s’il eft bien n é , convient bien
qu’ il doit reconaoître les foins de fon gouverneur
& l’aimer, parce que le tout eft pour fon bien.
O u i , il en conviendra, il le dira } mais il ne le
fentira pas, & tout eft manqué. En un mot, il
ne devroit être quellion, dans l'éducation publique ,
que d’inftruélion , 8c dans Yéducation particulière
que d’inllitution} 8c nous n’aurons d’éducation
vraie & profitable,'qu’ alors que ces deux objets
fi effentiellement diftinéts cefferont d’être confondus.
[ Les réflexions qu’on vient de lire , font de
M. Perreau, avocat , homme de lettres, connu
par plufieurs bons ouvrages, 8c par l’heureux fuc-
cès de Yéducation des jeunes meff eurs de Caraman,
dont il a été chargé ].
Examinons maintenant Yéducation fous un autre
point de vue.
On a de tout temps beaucoup raifonné, écrit,
difputé fur Yéducation , lur le fond 8c fur la forme
, fur la néceffté 8c fur les moyens } on fait
paroître chaque jour de nouveau fyftêmes éducation
3 comme fi les hommes étoient les maîtres
de la donner 8c de la refufer. On pourroit cepem
dant nier l’ un 8c l’autre. Pdur bien s’entendre
foi-même, il faut fouvent décompofer les expref-
fions , 8c fur-tout celles qui renferment une idée
importante, que tous peuvent faifir, 8c que chacun
néanmoins entend d’une manière différente.
L > éducation 3 qui eft l’initiation à l’état de l’homme
, eft compofée de trois parties différentes t
i®1. l’imitation, 2°. l’inftruétion„ j° . l’apprentif-
fage.
De ces trois parties , la première entre fort peu
dans les idées qu’on fe fait de Yéducation, 8c cependant
c’eft; 1a principale 8c la plus infaillible >
comme celle dont le pouvoir 8c rinfluéftee nous
•échappent malgré nous.
La fécondé, ou l’inftruéHon, fuit la mode du jour j
8c les préjugés du fiècle. Elle nous échappe en- 1
core quant à l’effet. Par exemple , il y a des
temps où il falloit qu’ un eccléfiaftique fut favant
dans les lettres facrées 8c profanes, pour être utile
8c diftingué dans fon état, où il étoit néceffaire
qu’un magiftrat fût jurifconfulte profond 8c érudit
, 8c qu’il eût acquis la facilité de s’exprimer
de vive voix 8c par écrit, dans les langues anciennes
, pour briller au barreau, 8c pour être de
poids au tribunal. On a vu d'autres temps où ces
connoiffances ont été regardées comme pédantef-
ques , où l’efprit des affaires a été le fummum,
même dans l’état du clergé, où lefens réputé droit,
le talent de l’expofition fuccinte, 8c l’efprit prompt
à la décifion font devenus les plus grands taletts
des magiftrats. O r , comme ces révolutions font
promptes 8c rapides , il eft facile de concevoir
que fouvent l’inftruétion de la veille eft temps
perdu pour le lendemain.
La troifième partie,ou l ’apprentiffage,fembïe être
uniquement propre à des objets particuliers, 8c
dans^ ce cas il n’embràffe que le fécond période
de l’éducation } mais î’apprentiffâge general, je
veux dire celui de la vie, commence, au premier
développement de nos organes, à l’aurore de notre
intelligence, 8cnous fuit par-tout, opère partout
, fe réforme fur fes propres erreurs, 8c ne
finit qu’avec nous.
Sous ce point de vue très-vrai, I’apprentiffage
fe réunit à l’imitation } car nous imitons auffi toute
notre vie. Tranfplantez un adulte, même un homme
fait, dans une province éloignée, à la fin il
en prendra l’accent 8c les moeurs } dans un pays
étranger, il en apprendra la langue : l’imitation
nous accompagne, nous guide 8c nous fert longtemps
du moins , fi ce n’ eft jufqu’aujbout} 8c par
ces deux points , voilà Y éducation bien prolongée.
Mais n’en feroit-il pas de même de l’inftruc-
tion ? C e mot plein de fens , f i jeunejfe favoit &
vieillejfe pouvoit : proverbe avoué de tout le monde,
que chacun fe rappelle bien des fois en fa v ie , 8c
fur-tout quand elle penche vers fon déclin} ce
mot nous affure 8c nous prouve que l’âge 8c le
temps nous apprennent tous les jours quelque
chofe, 8c que de la fomme des leçons de toutes
ces expériences fê forme celle de nos connoiffances
, puifqu’il nous fait regretter l’emploi pafté
de notre jeuneffe 8c de nos forces. Le défabufe-
ment lui-même, la langueur de la vieilleffe imprudente
, le repos de l’âge réfléchi, n*eft-il pas une
inftruâion ? Voilà donc Yéducation 3 confidérée
dans fes trois parties intégrantes, qui embraffe 8c
régit notre vie entière, tandis que nous cherchons
à éduquer nos enfans.
Mais cependant encore tout tels que nous fom-
mes, arbitres prétendus des deftinées futures ,
quel eft notre deffein? où prétendons-nous conduire
ces enfans ? Voulons-nous les rendre meilleurs
que nous , ou femblables, ou pires ?
Si c’eft meilleurs que nous, il faut donc leur
donner de meilleurs exemples que ceux que nous
avons e u , d’autres moeurs que celles de nos contemporains
, des préceptes qui nous acculent, des
leçons mortes qui reprennent en eux la vie : tout
cela ne fe peut. Ils font petits} leur ambition naturelle
eft de paroître grands, de faire comme
les grands, d’apprendre 8c de pratiquer ce que
favent 8c pratiquent les grands.
Eh bien donc ! il faudra fuivre leur penchant
8c les’ rendre nos femblables. Mais cela ne fe peut
encore} car vous n’êtes pas ce que vous étiez il
y a trente ans , 8c je ne dis pas vous , ni vos
contemporains , mais le monde. Les gens d«
trente ans d’aujourd’hui, n’ont ni les mêmes moeurs,
ni les mêmes ufages, ni les mêmes prétentions ,
ni les mêmes idées que les hommes de trente ans
avoient alors. Je ne fais fi c’eft pis ou mieux ,
mais ce n’eft point du tout la même chofe} pourriez
vous efperer de fixer à votre gré la marche
rapide des chofes 8c de l’opinion, pour marquer
le point qui femble le plus important, 8c pour
vous y arrêter ?
Il ne refte donc qu’ à les rendre pires} 8c quant
à ce point, je ne penfe pas que jamais perfonne
fe foit donné la peine de (péculer pour cela II pourroit
bièn réfulter de ceci que nous ne fommes pas
les maîtres de donner Yéducation à la jeuneffe, ni
de la lui refufer ( 1 ).
Mais, dira-t-on , fans exiger qu’on foit exactement
8c philofophiquement d’accord avec foi-même
fur tout ce qu’on voudroit faire de fes enfans ,
tout peut fe réfumer en un point où chacun fe
retrouvera félon, fa fphère. Le pauvre homme ,
c’ eft le plus grand nombre, 8c d’ ailleurs tout riche
8c tout grand,, en remontant à fes premiers
aïeux, fe trouveroit finalement le fils d’un pauvre
homme } le pauvre homme, difons-rious, ne croit
avoir élevé fa famille que quand il l’a mife en
état de gagner fon pain. S’il le peut, il donne à
fon fils un métier. Une fois garçon charpentier ,
tailleur, chapelier, 8cc. le voilà placé 8c ainfi
des autres. Le père voudroit qu’ il eût du talent ,
que le fort lui fût favorable, qu’il fit fa fortune ;
car il faut que quelqu’un la faffe. Eh bien ! chacun
, félon fa portée, a le même defir. Le pain
de la cupidité ce font les richeffes ; le pain de
l’ambition ce font les honneurs 8c les dignités ; le
pain de la vanité c’eft la fervitude 8c le crédit ;
le pain de l’induftrie brillante des villes ce font les
| talens, les arts, les grâces} il faut préparer fes
enfans à tour cela , leur donner des maîtres en’
(1) Au refte, les principes pofés par M. Perreau dans la prefnière partie de cet article , font plus confb-
lans , 8c peut-être plus furs. :