Nous aimons à répéter ici avec M. Cavanilles
tout ce qu’ on a fait fous le règne aCtuel en faveur
du commerce.
« Le long efpace de deux fiècles n* avoit fervi
» qu’ à augmenter les entraves & les reftri Crions
33 de celui de l’Amérique, à multiplier les impôts
33 fur les bâtimens & les denrées des deux conti-
33 nens > il étoit réfervé à Charles III d affranchir
33 la navigation des iües du vent , 8c celle du con-
.33 tinent prefqu’ entier , en étendant le privilège
« d’une feule ville à tous les principaux ports
3j d‘Efpagne. C ’elt à ce prince qu’on doit la fup-
>3 preflion des droits de tonelada , de palmeo,
« de S. Elmo, extrangeria, de vifite 3 d’infpec-
» tion , de carène , & autres vexations qui em-
33 prifonnoient l’induftrie > & rendoient 1 activité
33 oifive. C ’eft encore à lui que nous devons le
»3 nouveau tarif qui allure l’exportation libre de
»3 tous droits, de plulieurs denrées 3 & qui ne fait
33 payer aux autres que ce qui eft diCté à-la-fois
33 par la politique & par l’équité. G ’eft enfin a
33 lui que l’on doit l’extinCrion du commerce ex-
33 clufif de la compagnie de Caracas 3 dont il a
33 permis l’exercice à tous fes fujets.^” . On a pris
d'aflez bonnes précautions pour arrêter le com-
m erce interlope j on a fenti qu’il falloit , par une
diminution d’impôts 3 mettre les nationaux en
çjat de donner leurs denrées à meilleur prix.
La bonne foi des efpagnoîs a été fameufe dans
tous les temps. Juûin ( i ) nous parle de leur fidélité
à garder les dépôts > ils ont fouvent fouf-
fert la mor,t pour les tenir fecrets. Cette fidélité
qu’ ils avoient autrefois, ils l’ont encore aujourd
’hui. Toutes les nations qui commercent à Cadix
3 confient leur fortune aux efpagnoîs> elles ne
s’ en font jamais repenties. Mais cette qualité ad‘
mirable , jointe à leur pareffe , forme un mélange
dont il réfulte des effets qui leur ont été perni
çieux.
Il eft doux de pouvoir penfer, de pouvoir écrire
que la condition de Y Efpagne devient tous les jours
meilleure. La noblefle n’ affeCte plus ces airs d’indépendance
qui embarraffoient quelquefois le gouvernement.
On a vu arriver des hommes nouveaux,
mais habiles au maniement des affaires publiques,
qui furent trop long-temps l’appanage de la naif-
fance feule. Les campagnes , mieux peuplées &
mieux cultivées, offrent moins de ronces & plus
de récoltes. II fort des atteliers de Grenade, de
Malaga, de Séville, de Priago, de T o lèd e , de
T alavera , & fur-tout de Valence, des foieries
qui ont de la réputation & qui la méritent. Ceux
de Saint-Ildefonfe donnent de très-belles glaces $
ceux de Guadalaxara & d’Efcaray, des draps fins
& des écarlates} ceux de Madrid, des chapeaux,
des rubans, des tapifferies, de la porcelaine. J-a
Catalogne entière eft couverte de manufactures
d’armes & de quincaillerie, de bas & de mouchoirs
de foie , de toiles peintes de coton, de
lainages communs, de galons & de dentelles. Des
communications de la capitale avec les provinces
commencent à s’ouvrir, & ces magnifiques voies
font plantées d’ arbres utiles ou agréables. On
creufe des canaux d’ arrofement ou dé navigation,
dont le projet conçu par des étrangers, avoit ft
long-temps révolté l’orgueil du miniftère & celui
des peuples. D ’ excellentes fabriques de papier >
des imprimeries de très - bon goût > des focietes
confacrées aux beaux arts, aux arts utiles & aux
fciences , étoufferont, tôt ou tard , les préjugés
& l’ignorance. Ces fages établiffemens feront fécondés
par les jeunes gens que le miniftère fait
inftruire dans les contrées dont les connoiflances
ont étendu la glotre-ou les profpéritçs. Le vice
des tributs, fi difficile à corriger, a déjà fubi des
réformes très - avantageufes. Le revenu national,
anciennement fi borné,s’élève aujourd’hui (en 1786)
à 200,000,0001. (2) Si le cadaftre, dont la confection
occupe la cour de Madrid depuis 1749 , , eft fait
fur de bons principes, & qu’ il foit execute, le
fife verra encore croître fes reffources, & les contribuables
feront foulagés. *
A la mort .de Charles-Quint1 le tréfor public
étoit fi obéré , qu’on mit en délibération s il ne
convenoit pas d’ annuller tant d’engagemens fu-
neftes. Ils furent portés à un milliard, ou peut-
être plus, fous le règne inquiet 8c orageux de fon
fils Philippe. L ’intérêt des avances faites au gouvernement
abforboit, en 1688 , tout le produit
des impofitions 5 & ce fut alors une néceffité de
faire une banqueroute entières Les événemens qui
fuivirent cette grande crife, furent tous fi malheureux
, que les finances retombèrent fubitement
dans le cahos, d’où une réfolution extrême, mais
néceffaire, les avoit tirées. Une adminiftration plus
éclairée mit, au commencement du fiècle, un ordre
dans les recouvremens, une règle dans les de-
penfes qui auroient libéré l’é ta t, fans les révolutions
qui s’y fucçédçrent avec une rapidité qu on
a peine à fuivre. Cependant la couronne ne devoit,
en 17C9, que 160,000,000 de livres, que Ferdi-
nand laiffoit dans fes coffres. Son fucceffeur em-
ploya la moitié de cette fomme a la liquidation de
quelques dettes. Le refte fut confomme par la
guerre de Portugal, par l’augmentation de 1*
(r) Xtlïl.
( i) C’eft au moins ce qu’écrivent d’Efpagne des hommes employés dans ladmini nation * T^fnrabondance
favoir fi on n’a pas fait cette évaluation fur les revenus qu a tires le fife en 1784 &^7*5 • La furabondançe
de métaux qui font arrivés à Cadix ces deux années , a paye beaucoup plus de droits q P y
' : commune le produit dss mines du Mexique & du Pérou» marine
marine, par mille dépenfes néceffaires pour tirer la
monarchie de la langueur où deux fiècles d’ignorance
8c d’inertie l’avoient plongée.
La vigilance du nouveau gouvernement ne s’eft
pas bornée à réprimer une partie des défordres
qui ruinoient fes pofleffions d’Europe. Il a porté
un oeil attentif fur quelques-uns des abus qui
arrêtoient la profpérité de fes colonies. Leurs
chefs ont été choifîs avec plus de foin 8c mieux
furyeillés. On a-réformé quelques-uns^des vices
qui s’étoient glifles dans les tribunaux. Toutes les
branches d’adminiftration ont été améliorées. Le
fort même des indiens eft devenu moins malheureux.
Ces premiers pas vers le bien doivent faire ef-
pérer au miniftère efpagnol qu’il arrivera à une très-
bonne adminiftration, lorfqu’ il aura faifî les vrais
principes,.& qu’il emploiera les moyens convenables.
Le caractère de la nation n’oppofe .pas des
obftacles infurmontàbles à ce changement., comme
on le croit trop communément. Son indolence ne
lui eft pas aufîi naturelle qu’on le penfe. Pour peu
qu’on veuille remonter au temps où ce préjugé
défavorable s’établiiToit, on verra que cet engour-
diffement ne s’étendoit pas à tout 5 8c que Y\ YEfpagne
étoit dans l’inaCrion au dedans, elle portoit
fon^ inquiétude chez fes voifîns, dont elle trou-
bloit fans cefife la tranquillité. •
Le gouvernement s’occupe du défaut de population
& il trouvera fûrement des moyens de 1 accroître. Le propre des colonies bien admi-
niftrées eft d’augmenter la population de la métropole,
qui , par les débouchés avantageux qu’elle
fournit a leurs productions , augmente réciproquement
la leur. C ’eft fous ce point de v u e , ïn-
terefîant à la fois pour l’humanité 8c pour la politique\
3 que les nations éclairées de l’ancien hé-
mifphere ont envifagé leurs établiflements du
nouveau. Le fucces a par- tout couronné un fi
noble 8c fi fage defifein. II n’y a que Y Efpagne 3
qui avoit formé fon fyftême avant que la lumière
fut répandue, qui ait- vu fa population diminuer
en Europe , a mefure que fes pofleffions augmen-
toient en Amérique.
fes habitans n eft pas extrême, l’aCrivité, l’économie
, une grande faveur accordée aux mariages,
l l l i t e ü f l t e peuvent , avec le temps, rétablir 1 équilibré., L Efpagne qui, par le récenfement très-
exact de 1768, n’avoit à cette époque que neuf
millions trois cents fept mille huit cents quatre
habitans de tout âge & de tout fë5?e , & qui ne
compte-pas dans fes colonies la dixième partie des
bras qu’exigeroit leur exploitation , ne peut ni fe
peupler, ni les peupler fans des efforts extraordinaires
8c nouveaux. Nous ne craindrons pas de
le dire j pour augmenter les clafîes laborieufes du
peuple , il faut qu’elle diminue fon clergé ; il faut
peut-etre qu’elle renvoie aux arts les deux tiers
de les foldats, que l ’amitié de la France & la foi-
iacon. polit Y ô* diplomatique. Torn. I l,
bleffe du Portugal lui rendent inutiles. Il faut
qu’elle s’occupe du foulagement des peuples, aufli-
tôt que les pofleffions de l’ ancien & du nouveau-
Monde auront été tirées du cahos qu’avoîent
produit deux fiècles d’erreurs.
Puifqu’il eft impoffîble à Y Efpagne de retenir le
produit entier des mines du nouveau-Monde, &
qu’ elle le doit partager nécefTairement avec le refte
de l’Europe, toute fa politique doit tendre à en
conferver la meilleure p a r t, à faire pencher la balance
de fon c ô té , & à ne pas rendre fes avantages
exceflifs, afin de les rendre permanens. La
pratique des arts de première néceffité , l’abondance
8c l’excellente qualité de fes produ étions
naturelles devroient lui aflurer cette fupériorité.
Le miniftère efpagnol qui a entrevu cette vérité
, ne s’eft - il pas mépris en regardant les manufactures
comme le feul mobile de l’agriculturç. ?
C ’elt une vérité inconteftable que les manufactures
favorifent la culture des terres. Elles font même
néceflaires par-tout où les frais de tranfport arrêtant
la circulation 8c la confommation des denrées,
le cultivateur fe trouve découragé par le
défaut de vente. M a is , dans tout autre cas , il
peut fe paffer d.e l’encouragement que donnent
des manufactures. S’il a le débouché de fes productions,
peu lui importe que ce foit par une
confommation locale, ou par l’exportation qu’en
fait le commerce 5 il fe livrera au travail.
Quoique les métaux de l’Amérique ne forment
pas la véritable richefle, dans l’état aCtüel des
chofes, ils peuvent ajouter beaucoup aux avantages
des naturels de Y Efpagne.
On n’a que des notions vagues fur la quantité
de métaux , fur la quantité de denrées que l’ancien
monde récevoit du nouveau , dans les premiers
temps qui fuivirent la conquête. Les lumières
augmentent, à mefure qu’on approche de notre
âge. Il paroît , dit l’auteur de YHifioire philofo-
phique & politique des établiffemens européens dans
les deux Indes, et qu’aCluellement Y Efpagne tire tous
33 les ans du continent de l’Amérique environ 89
3» millions en or ou en argent , & 34 ou 55 millions
33 en productions : en tout, environ 123 millions.
»3 En prenant ce calcul pour règle, il fe trouveroic
33 que la métropole a reçu de fes colonies, dans
33 l’efpace de deux cents quatre-vingt-fept années,
» plus de 35 milliards.
; « On ne peut diflimuler qu'autrefois il arrivoït
== moins de productions qu'il n'en vient aujourd'hui;
» mais alorsles minesétoientplusabondantes. Vou-
* lez - vous vous en tenir à la multiplication des
” métaux feplement ? L ‘Efpagne n'aura reçu que
” vingt-cinq milliards. Nous compterons pour rien
3? Içs dix milliards en productions >».
VEfpagne H publie en 1785 l'érat de fes exportations
pour l'Amérique , & des importations
que lui- a procuré le nouveau-Monde, en 1784,
& elle vient de publier le même état pour l'annçç
178^. Voiçi ces deux états.
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