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au nombre de neuf, feroient héréditaires dans les
familles qui les pofféd oient : le monarque perfan
calcula très-bien fes intérêts , en ordonnant cet
article j il voulut divifer l’empire mogol, dont il
avoit appris à conaoître la force ; l’armée de
ia 200,000 hommes , qu’on venoit de raffembler
contre lu i, auroit p u , fous un autre empereur
que Méhémet-Scha, venger les infultes faites au
fouverain qui régnoit dans l’Inde : il paroît que
Nader Scha fut bien aife d’ailleurs de fervir l’ambition
deNizam-el-Moulouc, grand-vifir & foubahdu
Decan 3 q ui, pour fe venger d’une in fuite qu’il
avoit reçue de Méhémet-Scha , avoit attiré le roi
de Perfedans l’ Empire, & l’avoit fauvé dans une
entreprile auffi téméraire.
La foubabie du Decan, telle que Nizam-el-
Moulouc la poffédoit, faifoit au moins le tiers
de l’empire mogol, puifque tout le pays qui s’ étend
du golfe de Cambaye au Bengale, apparte-
noit à cette foubabie , dont Aurengabad 8c-Ay-
derabad étoient les villes capitales j il paroît auffi
qu’elle s’étendoit fur toutes les côtes de la pref-
qu’ifle, depuis Cambaye jufqu’au golfe de Bengale.
C e vafte gouvernement étoit divifé en plufieurs
diftriéts, parmi lefquels ou comptait des royaumes
ou des états prefqu’indépendans régis par
leurs chefs , qu’ on appelloit des rois, & par leurs
loix particulières : ces rois n’étoient, pour ainfi
dire , que tributaires de l’Empire ; ils dévoient
fournir un certain nombre de troupes à l’armée
du foubah , & ils fe faifoient très-fouvent un honneur
de les conduire en perfonne : les principaux
de ces royaumes étoient ceux des marattes , de
Canara 8c de Mayffour.
Quelques-uns de ces royaumes & de ces états
étoient peu fournis ; le Canara, par exemple, défendu
par fes forêts & fes montagnes qui rendent ce pays
de difficile accès , montroit peu de refpeét pour
le foubah; les marattes ne paroifioient fournis que
lorfqu’ils étoient d’accord avec le foubah fur le
paiement du chotaie , ou cinquième du revenu du
Decan que l’empereur Aurengzeb leur avoit accordé
; 8c leur population confidérable leur four-
nilfoit de nombreufes & fortes armées , 8c fur-
tout une cavalerie dont il étoit difficile d’ arrêter
les incurfions : enfin d’autres états , quoique
compris dans la foubabie du Decan , n’avoient
point encore été fubjugués. Tels étoient le petit
empire de Calicut ou du Samorin, & les domaines
des princes noirs fur la côte Malabare ,
©ù les montagnes, les gorges & les forêts avoient
empêché les armées des mogols de pénétrer.
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Outre les royaumes & autres pays tributaires,
la foubabie du Decan comprenoit différens gou-
vernemens, plus ou moins grands, qui étoient
amovibles, 8c que le foubah avoit le pouvoir de
donner ; mais dont la nomination devoit être confirmée
par les empereurs.
Lorfque la foubabie devint héréditaire, les fou-
bahs prétendirent avoir le droit de nommer irrévocablement
les gouverneurs, que les européens
appellent nababs, fans qu’il fût néceffiiire d’ au-
cuné confirmation ou ratification de la cour de
Dehli. 1
Un écrivain qui a parcouru les diverfes contrées
de l’ Inde, a trouvé dans le Decan de
belles pièces d’artillerie de fabrique européenne
; il y vit au moins trente canons fondus en
France fous le règne de Louis X IV ; c ’étoit le refte
de l’artillerie perdue dans le naufrage de l’efcadre
de M. de la Hayé , dans la rade de Mafulipatnam ;
cette place appartenoit alors aux rois de Golcon-
de , qui étoient foubahs du Decan , & qui
firent retirer du fond de la mer les canons des
vaifleaux françois.
Le principal commerce du Decan eft le poivre,
que l ’on tranfporte en Perfe, à Surate & en Europe.
Il fournit des vivres aux provinces voifînes ,
& il fait un commerce par terre avec l’Indoftan ,
le royaume de Golconde & la côte de Coromandel
, où fes fujets portent des toiles de coton & des
étoffes de foie.
Les venefeurs font une peuplade du pays i ils
achètent le bled & le riz qu’on apporte dans les
villes une fois par femaine , & iis le revendent
dans les pays voifins, où ils'vont en caravanes de
cinq oü fix , & quelquefois de neuf ou dix mille
bêtes de fomme. Ils emmènent alors leurs famille
s, & particuliérement leurs femmes qui manient
l’arc & la flèche avec autant d’ âdreffe que les hommes
; enforte qu’ils ne craignent ni les rasboute.s
bu foldats, ni les couliers, qui font des voleurs
qu’on trouve ordinairement fur cette route.
Voyei les articles A rc a te , C a l ic u t , C a n
a r a , C oromandel , M a i s s o u r , Ma l a b
a r , M a d r a s s , Se ir r a & T a n ja o u r .
DE C EM V IR , magiftrat romain qu’ on chargea
de faire des lo ix , 8c qu’on revêtit d’ une autorité
fouyeraine fur cet objet.
Les décemvirs furent ainfi nommés , parce qu’ils
étoient au nombre de dix : leur autorité devoit
finir après une année d’exercice ; mais le pouvoir
eut pour eux tant de charmes/qu’ ils s’engagèrent
par ferment à faire tous leur efforts pour le. garder
toute leur vie. Nous allons rappelier ici les
par celui de vicaire-général de l’Empire ; cette charge donnait à celui qui en étoit révêtu , de l’autorité fur
les rois & vaflaux de l’Empire ; le foubah leur commandoit, ainfi qu’.à l’empereur lui-même , à-peu-près
comme le vicaire général de l’Empire commanderoit en Italie , fi cette dignité fnbfiftoit encore. Le foubah
a l’air de reconnoître le mogol pour fon maître ; au refte il réclameroiten vain les titres de fa charge, & il
ne s’en avife plus. }
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principaux faits de cette époque de 1 hiftoire romaine.
. . 0
Au milieu des difputes entre les praticiens 8c
les plébéiens, ceux-ci demandèrent qu’on établît
des loix fixes écrites, afin quelles jugemens ne
fuffent plus l’effet d’une volonté capricieufe, ou
d’un pouvoir arbitraire. Après bien des réfiftan-
ces., le fénat y confentit, & on nomma les décemvirs
; ce fut l’an 301 de Rome. On crut qu il
falloît leur accorder un grand pouvoir , parce
qu’ils dévoient donner des loix à des partis qu il
étoit très-difficile de réunir. On fufpendit les fonctions
de tous les magiftrats, & les décemvirs furent
chargés feuls de l’adminiftration de la republique.
Ils fe trouvèrent revêtus de la puiflance confulaire
& de la puiffance tributienne ; l’une leur donnoit
le droit d’affemblerle fénat, l’autre celui d’aflfem-
bler le peuple. Mais ils ne convoquèrent ni le
fénat, ni le peuple; & , fans confulter perfonne,
ils prononcèrent fur toutes les affaires : Rome fe
vit ainfi foumife à leur pouvoir. Quand Tarquin
fe livra à la tyrannie, Rome fut indignée de fes
ufurpations ; quand les décemvirs exerçoient leurs
vexations, Rome fut étonnée du pouvoir qu’ elle
avoit donné, .dit l’auteur des caufes de la Grandeur
des romains..
Ces nouveaux magiftrats entrèrent en exercice
aux ides de mai ; & , pour infpirer d’abord de la
crainte & du refpeét au peuple, ils parurent en
public avec douze liéteurs, qui portoient les haches
& les faifceaux, comme on en portoit devant
les anciens r<5is de Rome- La place publique fut
remplie de cent vingt liéteurs, qui écartoient la
multitude avec un fafte & un orgueil infupporta-
bîes, dans une ville où régnoit auparavant la mo-
deftie 8c l’égalité. Les décemvirs étoient d’ ailleurs
environnés d’une troupe de gens fans nom 8c fans
aveu, la plupart chargés de crimes & accablés
de dettes, qui ne pouvoient trouver de fureté !
que dans les troubles de l’état ; & , ce qu’il y
eut de plus fâcheux, on vit bientôt à la fuite de
ces noùveaux magiftrats une foule de jeunes praticiens
qui, préférant la licence à la libertéf, s’attachèrent
fervilement aux difpenfateurs des grâces,
& q u i, pour fatisfaire leurs paffions & fournir à
leurs plaifirs, n’eurent point de honte d’être les mi-
niftres& les complices des débauches des décemvirs.
. Cette jeuneffe effrénée, affurée de la protection
»des magiftrats, enlevoit impunément les filles
du fein de leurs mères; quelques-uns, fous dé
foibles prétextes, s’emparoient du bien de leurs
voifins qui fe trouvoit à leur bienféânce : on les
dénonçoit en vain au tribunal des décemvirs ; les
plaintes étaient rejettées avec mépris , & la-faveur
feule ou des vues d’intérêt tenoient lieu dé droit
.& de juftiee. •
Qn; ne fautait imaginer à quel point tomba. la
république fous l' adminjftratiori des décemvirs \ il
fembloit que le peuple romain eût perdu ce çou-
.qui auparavant le faifoit craindre & refpec-
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ter de fes voifins. La plupart des fénateurs fe retirèrent
; plufieurs autres citoyens fui virent leur
exemple, & quelques - uns cherchèrent un afyle
chez l’étranger. Les latins & les peuples fournis
à la république méprisèrent les ordres qu’ on leur
envoybit, comme s’ils n’euffent pu fouffrir la domination
d’ une ville où il n’y avoit plus de liberté
, & les éques & les fabins vinrnnt impunément
faire des courfes jufqu’aux portes de
Rome.
On fait l’infame décret qu’Appius porta contre
la vertueufe Virginie, l’an de Rome 304 : Denis
d’Halycarnafle, Tite-Live, Florus & Cicéron ont
immortalifé cet événement : le fpeftacle de la mort
de cette fille , immolée par fon père à la pudeur
& à la liberté, fit tomber d’un feul coup l’odieux
pouvoir d’Appius & des autres décemvirs.
L ’indignation s’empara de toutes les claffes de
citpyens ; hommes & femmes, à la ville & à
l’armée, tout le monde fe fouleva : toutes les
troupes marchèrent à Rome pour chaflfer les tyrans
; elles campèrent fur le Mont-Aventin , 8c
elles ne s’éloignèrent qu’après avoir obtenu la
deftitution & le châtiment des décemvirs.
Tite-Live raconte qu’Appius , pour éviter l’ infamie
du fupplice, fe donna la mort en prifom
Sp. Oppius fon collègue eut le même fort ; les
huit autres décemvirs cherchèrent leur falut dans
la fuite , ou fe bannirent eux-mêmes. On confif-
qua leurs biens qui furent vendus publiquement,
& les quefteurs en déposèrent le. prix dans le tré-
for public. Le lâche Marcus Claudius , dont Ap-
pius is’étoit fervi pour fe rendre maître de la perfonne
de Virginie, fut condamné à mort, & on
l’auroit exécuté fans fes amis, qui obtinrent de
Virginius qu’il fe contentât de fon exil. C ’eft ainfi
que fut vengé le fang de l’infortunée Virginie,
dont lapiort, comme celle de Lucrèce, tira pour
la fécondé fois les romains de l’efclavage. Alors
chacun fe trouva libre, parce que chacun avoit
été offenfé ; & le fénat & le peuple rentrèrent
dans tous leurs droits.
L ’adminiftration des décemvirs ne procura d’autre
avantage à la république que le corps de droit
romain, connu fous le nom de toix décemvirales
ou de Ipix des dou^e Tables. Les décemvirs travaillèrent
avec beaucoup de zèle, pendant la première
année de leur magiftrature, à cette compilation
qu’ ils tirèrent en partie des loix de la Grèce ,
& en partie des anciennes ordonnances des rois de.
Rome.
Les auteurs anciens vantent beaucoup la fageffe
de ces loix, dont il ne nous refte que des frag-
mens ; maïs les écrivains modernes les jugent avec
plus de févérité, & on n’en fait plus le même
cas. L’étude du droit naturel , du droit civil &
du droit politique s’ eft perfectionnée ; 8c fi la fi-
tuation des romains au quatrième fiècle de la république
ne comportoit pas de meilleures loix ,
p le légiflateur qui en donneroit de pareilles aux
E i