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romaines, la terre preno it plaifir à fe voir labourer
par un 'foc couronné de lauriers , & par un vainqueur
qui avoit été décoré des honneurs du triomphe.
Soit que ces grands hommes apportaient à
la culture des femences les mêmes foins qu'ils
prenoient pour gagner des batailles, foit qu'ils
difpofaftent les terres avec autant de précaution
qu'ils fortifioient un camp , foit que les femences
profitent davantage, lorfqu'elles font foignées par
des mains libres, parce qu’alors elles font traitées
avec plus d'intérêt, d'application & d’exaCtitude :
Qusnam ergo tant a uberfatis caufa erat? Ipforum
tune manibus imperatorum colebantur agri (ut fas eft
crcdere) gaudente terra vomere laureato & trium-
phali aratore y five illi eâdem cura femina tratta-
bant , quâ bella , eadcmque diligentiâ arva difpone
bant 3 quâ caftra 3 five honeftis manibus omnia letius
proveniunt, quoniam & curiofius fiunt. (Plin. lib.
x v in , cap. 3. Curius & Fabrieius , dont l'un avoit
dompté les Sabins , & l’autre avoit chaffé Pirrhus
de i'Italie , ayant reçu chacun les fept jugères qui
fe diftribuoient par tête fur les terres conquifçs , ne
montrèrent pas moins d'habileté à lesbien cultiver,
qu'ils avoient montré de courage à les acquérir
par les armes : Itemque C. Fabrieius & Curius
Dentatus 3 alter Pirrko finibus Italie pulfo , domitis
alter Sabinis , accepta quA viritim dividebantur
çaptivi agri , fèptem jugera , non minus indufirie
coluerit, quam fortiter armis, qu&fierat, ( Colum.
(Le Re rufi. lib. i y in prefat.) Fabrieius futçonful
l'an de Rome 474.
» Maintenant, dit Pline , ce font des mains
privées de leur liberté, des efclaves ayant des fers
aux pieds & des marques flétriffantes fur le front 3
qui exercent toutes ces fondions 5 mais la terre ,
fenfible aux honneurs qu'on lui rend comme à la
mère nourrice de tout ce qui refpire , ne produit
plus qu’à regret & avec une forte d'indignation
& nous fommes tous étonnés de voir que les travaux
des efclaVes ne font point fructueux comme
ceux des généraux d’armées î At nunc eadem ilia
•vintti pedes , damnatA manus , inferiptique vultus
exercent y non tamen furdâ tellure , que parens ap-
pellatur 3 colique dicitur & ipfa , honore hinc
ajfumpto 3 ut nunc invita eâ 3 & indigne fer ente çre?
datur id fieri. Sed nos miramur ergaftulorum non
eadem emolumenta ejfe quA fuerunt imperatorum
(PLin. loc. cit.) La culture des terres par des efclaves
eft très-mauvaife , comme tout ce qui eft fait par
des gens fans efpoir & fans intérêt : Coli rura
ergaftulis pejfimum efi3 ut quidquid agitur a dejpçr
rantibus , (Plin. lib. x vm , cap. 6 ) .
» Dans les premiers tems, les terres étoient cultivées
avec un foin extrême cher les Romains. S’il
fe rencoutroit quelque laboureur négligent, il
étoit noté & diffamé par un jugement des cenfeurs :
Agrum male colere , cenforium probrum judicabatur3
( ibid. lib. x vm 3 cap. 2 ) .
y» C’étoit de leur application à Y agriculture, que
Jç$ citoyens romains tiroient leur gloire Sc ieur
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illuftration.'Les tribus de la campagne étoient en
grande confidération, celles de la ville étoient mé-
prilees ; & il étoit honteux & déshonorant d’être
relégué des tribus de la campagne dans celles de la
ville : Sam difiincLio honofque civitatis ipfius aliunde
non erat : rufiicA tribus laudadJfimA eorum qui rura
haberent, urbana vero , in quas transferri ignominU
effet y defidiA probroque , (P lin .lib . x v m , cap. 3 J.
» On rendoit la juftice aux laboureurs de les
croire vertueux & gens de bien j & le plus grand
éloge qu’on pût faire d’un citoyen, c’ étoit de dire
qu’il étoit un bon laboureur : Et virum bonum cum
laudabant , ita laudabant y bonum agricolam,
bonumque colonum. Amplijfimé laudari exiftimabatur)
qui ita laudabatur, ( Cato , de Re rufi. cap. I ) ».
» On regardoit les laboureurs comme le foutien
de l’état, également propres àfaire fortir des terres
qu’ils travailloient, la fubfiftance de la patrie , &
à défendre ces memes terres contre les ennemis
du dehors. Le profit qu’ils faifoient à la fueur de
leur.vifagç, étoit regardé comme le feul honnête,
le feul certain , & non précaire, le feul qui n’ex-
citàt point l’envie, parce qu’il étoit jufte&4nérité;
& l’on étoit perfuadé que ceux qui font appliqués
à ce genre de travail, font incapables de fe livrer
aux vices quengendre l’oifiveté : At ex agricolis,
& viri fortijfimi , & milites firenuifiimi gignuntur,
maximèque pius qusfius fiabilijfimusque confequitur
minimeque invidiofus : minimeque male cogitantes
funt y qui in eo fludio occupqti funt, ( ibid. ) »
« Telle fut le principe de la grandeur romaine,
qui lui valut l’empire du monde prefque entier.
agriculture fut pour les Romains une fource
inépuifable de richeffes beaucoup plus folides, que
lés métaux que les Carthaginois tiroient des mines
d’Efpagne & des produits de leur commerce.
Les terres affranchies de toute fervitude, & diftri-
buées également entre tous les habitans, en faifoient
comme autant de petits fouverains , & delà
cet amour pour la patrie, qui fe fignala en tant
d’occafîons j de-là cette noble fierté qui caraétéri-
foit le peuple romain , cette élévation de fenti-
mens , cette intrépidité dans les plus grands
dangers, cette fenfibilité fi marquée pour les injures
reçues de la part d’un peuple étranger , &
cette généreufe reconnoiffance pour des fervices
rendus. Tant que les Romains confervèrent cet
ahiour du travail & de la médiocrité,la république
fut floriffante î mais , dès qu’elle commença à fe
relâcher fur Tobfervance rigoureufe de fes premières
inftitucions , l’abftinence fit bientôt place à
l’avidité qui s’empara de tous les efprits î l’amour
de la patrie fut remplacé parTégoïlme : chacun ,
en particulier, ne penfa plus qu’à s’enrichir, & a
engloutir dans un feul domaine les terres qui
avoient fuffi pour procurer tous les befoins à un
grand nombre de citoyens.TiberiusGracchus avoit
fait un réglement, par lequel il étoit défendu a
ceux à qui on avoit diftribué des terres , de les
vendre. Les patriciens firent lever cette défenfe
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par un tribun , ce qui donna moyen aux riches de |
tfes acheter des pauvres, & meme quelquefois de
s'en emparer par violence. Enfin les grandes pof-
I feffions perdirent l’Italie & les provinces :
que confitentibus latifundia prodidere Italiam & pro-
I lincias y & leschofes furent portées au point, que
la moitié de l’Afrique fe trouva entre les mains de
[ fix particuliers, que Néron fit mourir, apres avoir
j confïfqué leurs biens : S ex domtni femijjern Afric a
\po(ftdebant ycum interficit eos Nero princeps un.)™
W M On eft étonné de la fortune énorme d un Marcus
Licinius Craffus, qui, au rapport de Plutarque,
avoit pour plus de cinquante millions de bien en
' fonds de terre 5 de celle d’un Sylla, plus riche encore
que Craffus ; de celle d’un Narciffe & d’un Pailas,
tous deux affranchis de l’empereur Claude. Le
I dernier , félon Tacite , jouiffoit de trois millions
de fes terres, fomme qui revient a 56,250,000
livres, en fuppofant le denier d alors de quatre-
vingt-feize à la livre. Cette fomme , au-denier
} vingt, auroit produit 2,812,500 liv. ; & fi 1 on fup-
; pofe toutes les richeffes de Pallas en fonds^de
terre , à raifon de dix livres pour le revenu d’ un
arpent, il poffédoit 281,2^0 arpens j de forte
qu’y ayant en France cent millions d’arpens, trois
cens cinquante-cinq Pallas ou quatre cens Craffus
I auroieat poffédé toutes les terres^ du royaume.
Selon le même Plutarque , dans la vie de Pompée,
! un affranchi de ce Romain , nommé Démétrius ,
jouiffoit d’un fonds de trois cens^ talens, qui reviennent
à dix-huit millions en principal j il avoit
donc neuf cens mille livres de revenu au denier
vingt, ce qui fait le produit de quatre-vingt-dix
mille arpens , à raifon de dix livres pour chacun î
ainfi onze cens onze Démétrius auroient occupé
toute la France. M. Caton, fi l’on en croit Sénèque,
jouiffoit de quatre millions de fefterces en principal
, qui lui étoient venus de différens héritages j
fi le denier romain étoit alors de foixante-douze
à la livre * Caton avoit pour un million de bien ,
ce qui fait cinquante mille livres de rente au denier
vingt j c’eft le revenu de cinq mille arpens, à
raifon de dix livres l’arpent ; & vingt mille Caton,
fur ce pied , auroient poffédé toute la France.
"Selon Sénèque encore, Lentulus l’Augure avoit
quatre cens millions de fefterces de bien, qu’il
i tenoit des libéralités d’Augufte ; cette fomme
revient à 85,714,286 livres, qui font 4,285,714
livrés de revenu ». Métrologie de Paulîon.
» On ne peut douter que Y agriculture né fût
en honneur chez les Gaulois, long-tems avant
l’arrivée des Romains. Les Phocéens qui vinrent
fonder Marfeille, apportèrent avec eux des plants
de vignes & d’oliviers, qu’ils multiplièrent dans
le pays. Ils firent connoître, félon quelques-uns,
la culture de la vigne aux Gaulois, dans un tems
où il n’y avoit encore que de la vigne fauvage en
Italie. Mais il eft certain que l’art de faire le vin
avec le fruit dé la vigne, étoit en ufage dans les
Gaules long-tems avant l’arrivée des Phocéens.
Antiquités , Tome I*
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Au mariage d’Euxenus, chef des Phocéens, avec
Petta y fille de Nannus, roi des Saliens, peuple
celte qui habitoit les côtes de Provence, cette
princeffe préfenta , (Athen. lib. x m l ) félon l ufage
du pays 3 une coupe oil i l y avoit du vin & de l eau ,
à celui quelle vouloit fe choifir pour époux. »
» On voit par-là l’erreur de ceux qui ne mettent
que fous l’empereur Probus les commencemens
de la culture de la vigne dans les Gaules. Cicéron ,
dans l’oraifon pour Fonteius, parle du grand
commerce de vin qui fe faifoit dans 1 intérieur des
Gaules. Les Gaulois étoient même plus inftruits
dans cette partie de Y agriculture que les autres
nations. On leur doit l’invention des tonneaux^
Us mettoient fermenter dans les vins des bois de
fenteur, comme l’aloès, &c. pour les rendre plus
odoriférans, & en avoir un plus grand débit. Des
le tems de Caton l’ancien, on tranfportoit dan9
l’ Italie des plans de vigne des Gaules. L’efpece-
appelée biturica, parce quelle avoit été portée
du Berri en Italie, eft fort louée par les auàores•
rei rufiicA, parce que ce plant etoit robufte
multiplioit beaucoup. Dans les tombeaux des
anciens Gaulois trouvés en Bourgogne , on voit
qu’ils avoient à la main des vafes a boire. L e
P. Montfaucon croit qu’on a voulu nous apprendre
par ce fymbole que le pays étoit dès-lors abondant
en bon vin. » .
si Si la culture de la vigne étoit en vigueur dans
les Gaules avant l’arrivée des Romains, celle des
grains ne devoit pas y être négligée, puifque c eft
à cette dernière que les Gaules dévoient une
population incroyable. Les Gaulois étoient originairement
fans bourgs & fans villes î leurs habitations
étoient éparfes dans la campagne, fur le
fonds de terre qu’ils cultivoient. Ceux d’une.même
famille demeuroient au voifinage les uns des autres,
& s’étendoient à mefure que les lignées deve-
noient nombreufes ; ce qw forma par la fuite trois
j ou quatre cens peuples différens les uns des autres ,
quoique réunis par les moeurs, les ufages, la
même forme de gouvernement, &c. Les auteur?
font mention d’environ quatre cens peuples ref-
ferrés & comme entaffés les uns fur les autres
dans les Gaules.» A
» Une population aufli nombreufe ne peut etre
dûe qu’à Y agriculture y puifque les Gaulois n avoient
pas les reflources du commerce extérieur, ni les
manufactures. C’étoient principalement les terres
arrofées par la Saône qui étoient d’un plus grand
rapport. Ager fequanicus totius GalliA optimus *
dit Céfar. Auffi les Æduens qui habitoientle bord
occidental de la Saône, & les Sequanois qui occu-
poient le bord oriental, étoient les peuples les
plus puiffans des Gaulois, & fe difputoient la
fouveraiijeté des G iules, long-tems avant que les
Romains euffent penfé à- s’en rendre maîtres. Ces
derniers venoient même dans les Gaules pour y
faire le commerce de grains, & ils avoient dos
\ comptoirs à Çhalons- fur-Saone. ?»