
porter une moiflbn de froment, ou de l’épeautre
robufte , ou de l’orge d'hiver. »
«‘ Les Origines dliidore 3c Varron dérivent
le mot far 3 â frangendo , quia ante molarum ufum
pria frangi folcat ; d’autres , du mot ferre ,
quod illud ferat terra. Mais ces étymologies incertaines
y 8c qui conviennent également aux autres
grains , ne nous apprennent rien fur la nature
particulière du fa r , dont les latins ont formé
leur mot farina 3 félon Pline 3 farinam a faire
di£ram nomine ipfo apparet; ( liv. x v u t . c. 9. )»
« Le far fut chez les Romains, comme l'orge
chez les Grecs 3 le bled le plus connu 8c le plus
ancien j c’eft pourquoi on le préféroit aux autres
bleds dans les facrifices de dans la cérémonie du
mariage que l’on appeloit de fon nom confarréa-
tion 3 & le divorce de cette dernière efpèce de
mariage, s ’appeloit diffarréation , parce qu’on
faifoit ufage dans ces cérémonies de gâteaux faits
de farine de far. O11 appeloit auflfi le far edor 3
félon Feltus y ab edendo 3 & quod vuIgatijïimum
effet cibi genus ; ou 3 félon d’autres , ador 3 ab
adurendo 3 parce qu’on le faifoit brûler en holo-
caufte dans les facrifices. Audi a-t-on fait à'ador
un adjectif 3 qu’on joint ordinairement au mot
fa r , far adoreum. Si nous en croyons Pline 3 ce
fut ÎNuma qui imagina de faire rôtir le far 3 non-
feulement parce que cela le rendoit plus fain ,
mais encore parce qu'il devenait plus facile à
être brifé fous le pilon des efclavesj avant l’invention
des meules. Le religieux Numa ne manqua
pas de confacrer cette utile invention pair
la religion , en fâifant brûler du far dans les fâ-
crifices. Le far étoit le principal aliment des anciens
Romains 3 qui le mangeoient en bouillie 3
car ils furent long-tems fans connoître l’ufage
du pain ; ce qui les fit appeler par les autres nations
y mangeurs de bouillie ÿ ils avoient même
encore ce fobriquet du tems de Pline 3 & pulmen-
tarii hodieque dicuntur. ,( liv. x vm . c. 8. ) ailleurs
il les appelle lui-même pultipkagos.»
« Quant au far , c’é toit, félon Pline , celui de
tous les bleds qui réfiftoit le mieux au froid des
hivers ; on le femoit en automne 3 il fe plaifoit
dans les fols crayeux 8c humides ; mats il réuf-
lîffoit également bien dans les lieux chauds, fecs
& arides 3 les terreins les plus froids 8c les plus
mal cultivés ne l'empêchoient pas de venir. Ex
omni frumentorum genere durijfimum fu r & contra
hiemes firmijjtmum femeà 3 ideo hibernum 3 au-
tumno feritur; cretofo folo & uliginofo gaudet , pa-
titur fimul frigidiffimos locos & minus fubatlos3 vel
efluofos fitientefque. ( P lin. loc. cit. ). Cojumelle
compte quatre efpèces de far : celui de clufium 3
qui étoit plus blanc & plus éclatant 5 le venucu-
lum album, le venuculum rubrum, & le far tré-
mois, qu’il appelé alicafrum 3 8c qui l'empor-
toit en bonté & en poids fur les trois premières
efpèces. »
« La fécondé forte de bled connue des Romains,
étoit le froment, qu’ils appeloient iriti*
cumy à triturando , parce qu'on le dépouilloit de
fa balle en le broyant. Columeile diftingue trois
efpèces de froment : la première, qu'il appelle
robus3 foit à caufe de fa couleur rouge, foit parce
qu'il étoit meilleur 8c plus lourd que les autres 3
la fécondé efpèce, qu'il nomme filigo, parce
qu'elle étoit blanche, & d’un grain plus net 8c
plus choifi, étoit celle qu’on employoit principalement
à faire le pain, qui en prenoit le nom
de partis füigineus. On pourroit rapporter la première
efpèce de ces froments à celui que les mar-
chauds appellent mâle, qui eft plus, rouge, plus
gros 8c plus lourd j l'autre à la femelle 3 qui eft
plus petite, mais plus blanche 8c plus nette, à
moins que ce ne foit l’efpèce particulière de bled
blanc, qu'on nomme blanchie en quelques endroits,
3c ailleurs tourelle ou bled toupet, parce
que fon épi eft ras 8c fans barbe. Au refie, Pline
& Columeile remarquent o.ue Yefpèce.fligo n'eft
qu'un bled dégénéré de robus , & qu’au-delà des
Alpes, le robus dégénère en fligo à.la fécondé
ou troifième récolte. C'eft comme fi nous comparions
le bled de Barbarie à celui de Pologne :
le premier eft plus gros, plus long, d'une couleur
plus foncée, & bien plus lourd, ayant la
farine plus ccmpa&e 3 ce qu'il faut attribuer à la
chaleur du climat, & non pas à la diverfité de
I'efpèce. Cette dégénération des bleds en a fait
multiplier les efpèces par les anciens & par les
modernes* »
« La dernière efpèce de froment citée par Co-
lurnelle , eft le trémas tri tic um trimeftre, bled de
mars, dont l'ufage n'eft point a fiez répandu , parce
qu'il pourroit remplacer les froments qui ont été
la viétime des hivers : ce fût cette efpèce de froment
qui fut le falut de la France en 1709. »
c* On peut juger par ce que je viens de dire
d’après Pline & Columeile, que le bled far adoreum
étoit un genre bien différent du bled froment
triticum. Pline ajoute que le chaume du froment
a quatre noeuds, & que la paille du far adoreum
en a fix. Le froment eft féparé de fa balle dans
la grange, 8c on en fème le grain-dépouillé de
fon enveloppe : le far 3 au contraire, ne pouvoit
être dépouillé de fa balle qu'en le faifant rôtir,
3c on le femoit avec fesenveloppes ou follicules,
comme l’orge & l'avoine. Les Gaulois, qui re-
cueilloient le plus beau far de l'Europe , l’appe-
\o\eni brance 3 & ils nommoient le froment arinca.
X e far îéuflîlTbit par-tout, & le froment veut
une terre grafiTe , bien préparée , 8c un climat
temp'éré : le far fe femoit dès le mois de feptem-
bre, & le froment au mois de novembre »,
et H eft d’autres différences entre le far & Iç
froment, fur lefquelles on peut confulter lés
auliores rei rujiica ; mais il fera toujours incertain
à quelle efpèce de nos grains modernes il faut
rapporter le far des anciens. «
Quelques
« Quelques auteurs prennent le far pour l’épeau-
tre ou bled locular, ainfi appelé à caufe de la balle
ou glume qui recouvre ce grain, qui a d’ailleurs
les mêmes propriétés que le far.3 en ce qu’il vient
par-tout, qu’il réfifte aux hivers Içs plus rudes,
qu’il réuflit dans les lieux fecs comme dans les
fonds marécageux, 3c quonen fait en Allemagne
3c en Suifife d’excellentes fromentées comme les
Romains faifoient leur bouillie avec le far : mais
répeautre étoit également connu des anciens 5 les
Grecs l’appellent %ea, 8c Pline n’eût point manqué
de l'obferver, fi c'eût été le même bled. Diofco-
ride diftingue deux efpèces d’égeautre que nous
avons encore : la première, qu il appelle mono-
coccon y parce qu'elle n'a qu'un grain dans chaque
balle ifolée 3- 8c l’autre dicoccon, parce qu'il y a
deux grains fous une enveloppe commune. L ’é-
peautre %ea3 que les Latins appeloient femen3 fe
cultivoit principalement dans la Campanie 3 où
l’on faifoit Y a lie a 3, éfpèce de potion ou de bouillie
très-nourriffante, d'où elle ayoit pris le. nom
à'alica ab alendo. Quoique le far 8c I'épeautre
fuflent des grains de même genre, Pline ne manque
pas d'en faire fentir la différence 3 car il dit
que le fa r étoit réfervé pour les hommes, & que
I’épeautre & l'orge étoient deftinés aux chevaux;
cependant comme il y avoit quelques peuples qui
vivoient d'épeautre, Pline ajoute que c'eft faute
de far y qui ?eâ utuntur3 non habent far. Liv. XV II.
c. 81.»
ce Ceux qui confondent le far avec le feigle, fe
trompent également, puifque le feigle étoit aufli
connu des anciens, 3c que Pline le diftingue nommément
: on ne cultivoit le feigle en Italie qu'en le fe-
mant avec de l'orge, des vefees, dufar3 & d’autres
grains, pour procurer au béf ail un fourrage que l ’on
appeloit farrago, à caufe de ce mélange. Pline
ajoute cependant qu’on cultivoit le feigle en quelques
lieux des Alpes, pour en faire un pain détef-
îable, qui n'étoft propre qu'à appaifer la faim
canine de ces montagnards, dénués des moyens
de fe procurer de meilleur bled ; il remarque même
que les plus aifés mêloient un peu de far avec le
feigle, pour en corriger l'amertume & rendre le
pain moins noir, comme nous mêlons du froment
avec le feigle dans la même vue 5 & il*ajoute que
cela n'empêche pas le pain où il y a du feigle de
lâcher le ventre, & d'être aufil mauvais qu’indi-
gefte. Je ferois donc porté à croire que le far
adoreum des anciens n’eft autre chofe que notre
orge d’hiver, connu fous le nom à'écourgeon y
qu'Olivier de Serres met mal-à-propos au nombre
des froments. L'auteur de la Maifon rufiique l’appelle
fecourgeon 3 comme qui diroit fecours des
gens ,• parce qu'étant hâtif, il eft d'un grand
fecours aux pauvres gens qui n'ont pas de bl&d
pour vivre jufqu'à la nouvelle récolte, & qu’on
le moiffonne le premier 5 raifon pour laquelle on
l ’appelle orge de prime. Les Flamands en font de
la bière comme les Romains faifoient leur alica ;
Antiquités , Tome 1%
il fe fème en feptembre comme le far; fon chaume
a fix noeuds comme Iq far 3 ih eft plus haut que
celui de l’orge commun. 11 donne prodigieule-
ment de grains, 8 c il a toutes les qualités que
Pline attribue au far. Comme c’étoit I’efpèce de
bled que les anciens cultivoient de préférence,
il ne feroit pas étonnant que la culture en eût
multiplié les efpèces 3 8c ce qui me confirme dans
mon opinion fur l'identité du far 8c de l’écour-
geon ou orge de prime, c'eft que Pline remarque
qu’il y avait un far printanier, comme nous avons
nos orges de mars, & que les gladiateurs fe nommoient
hordeariiy parce qu'ils ne mangeoient rien
autre chofe du tems de Pline, que des bouillies
d orge & de far. »
M. Pauéton a confacré une partie du dixième
chapitre de fa Métrologie, à établir des caractères
diftinétifs entre les différens bleds des anciens.
On les trouvera détaillés aux mots Ador , Millet,
Orge, Seigle, Sésame, Siligo & T r i-
tigum . Nous donnons ici les réfultats.
Le triticum3 « 7ropos3 étoit notre froment barbu ;
la f l ig o , TtXiyviç 3 étoit notre frofnent commun
fans barbe, celui que l'on cultive ordinairement
en France 3 edof 3 ador, adoreum, fa r , arinca ,
fandalum , halicafirum , femen , ^ea , ££« , ,
eXvpeij opvÇety olyra 3 oryxa 3 tiphe , bromos 8c tragos 3
étoient le riz 3 hordeum galaticum ou diftichum,
xpibü, étoit l’orge à deux rangs de grains, notre
Orge commun} hordeum hexafticum ou cantherinum y
\ orge à fix rangs de grains, qui fervoit ordinai-
■ rement à nourrir les chevaux 3 avena, l’avoine
commune; Y afin des Tauriniens dans Pline, était
notre feigle ; le millium enfin 8c le panicum 3
■ étoient notre millet & notre panis.
On ignore l'époque à laquelle les hommes commencèrent
à cultiver le bled que la nature leur
offroit mêlé avec les plantes fauvages ; ainfi qu’011
l'a trouvé de nos jours fur le grand plateau de la
Tartarie, & en Sicile dans le pays des Léontins.
Voici lés traditions fabuleufes des Grecs fur ce
fujet. Cé.rèsv, félon les uns, fit connoître le bled
| aux hommes : c’eft pour cette raifon qu'ils la pla- .
cèrent dans l’olympe. Triptolème, fils de Célcus,
roi d'Eleufis, fit, félon d’autres, ce prefent aux
mortels. Quelques-uns veulent que Triptolème
n'ait appris aux hommes qu’à femer 8c à cultiver
le bled que Cérès avoit déjà montré. Diodore de
Sicile t-ranfporte à Ifîs ce que l’on dit ici de
Cérès; 8c il aftjire qu’Qfîris inventa r-Agriculture,
dont le bled eft un des principaux objets.
Il eft affez vraifemblable que le bUd fut cultivé
d'abord par les Egyptiens. Cependant les
Athéniens revendiquoient cette priorité, qui leur
étoit difputée. par les Cretois , 8c fur-tout par les
Sicilieps. Car. Cérès avoit fait connoître à ceux ci
le bled avant; que de pafter dans l’Attique. Servi us
8 c Macrobe difqnt que Saturne rendit ce fer vice
aux habitans du Latium.
N n n