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article , en plufieurs occafions , plus élégans
qu’exaéts. Quoique j'aye dit avec raifon que rem-
pi re des arts avoit éprouvé le plus de révolutions
, je ne crois pas que les connoilTances
fimples , comme celles des métaux, puiffent être
dans le même cas, c’eft-à-dire, qu'elles fe perdent
jamais. 11 faudroit pour cela que la terre fût
bouleverfée 3 ou qu un pays fût, entièrement
détruit. »
« De quelque ignorance que les plus grandes
lumières foient fuivies-, elle ne fauroit devenir
fenfible que fur la façon de travailler : mais la
matière une fois connu e,'a toujours exifté,
quoique plus ou moins bien travaillée, auffi biem.
qu en différente quantité, dans les pays civiîifés
qui n’ont point éprouvé de bouleverfement ni de
dépeuplement depuis la guerre de Troye. II faut
donc arriver par les idées générales aux confé-
quences du détail, & dire , par exemple Homère
parle du fer. Ce grand homme e ft . trop
exaéfc pour avoir péché contre le coftume : le
fer exiftoit donc. Mais il n’en parle que bien
rarement j donc il en exiff oit peu de fon temps.
Prefque toutes les armes qu’ il met entre les mains
de fes héros, font de cuivre , & il eft confiant
que l’on travailloit alors ce métal avec toute
l’intelligence pofïible. Je n’en veux pour exemple
que le bouclier d’Achille , qui me paroît toujours
le chef-d’oeuvre de l’ efprit humain du côté
de la compbfition. On ne peut même douter que
réexécution n’y ait répondu ,-ou que du moins il
n’y eût alors des artiftes qui en fuffent capables >
car le poète comme le peintre ne peint que conformément
à ce qu’il voit ou à ce qu’ il a vu.-33
« Si l’on defcend plus bas qu’Homère 3 on lira
des faits fur lefquels je pourrois appuyer mon
fentiment. Hérodote ( Lib. i. cap. xxv. ') dit
qu’Alyatte, roi de Lydie , envoya à Delphes un
grand cratère d’argent 8c une foucoupe de fer
-foudé. Il ajoute que-c’ étoit le plus admirable des
préfens faits au temple d’Apollon , & qu’il
avoit été travaillé par Glaucus dé Chio. Paufa-
n ia s (//£. x . c. 16.) parle de ce même cratère. Il
e ft, dit-il , l’ouvrage de Glaucus de Chio,, qui
avoit trouvé le fecret de fouder le fer. La bafe
ou foucoupe, continue le même auteur, ne -
tient pas par des boucles ou des agraffes, ni
par des clous. Un peu plus bas, Pâufanias, à
l’occafion d’ une ftatue d’Hercule en fer , obferve
que ce métal étoit fort difficile à mettre en oeuvre,
quand il s’agiffoit d’en faire une ftatue. Il eft
vrai qu’il parle ailleurs d’ une ftatue de cuivre ,
formée de plaques raffemblées & retenues par:
des clous 5 mais il ajoute que c’ étoit la plus ancienne
que l’on connût de ce métal. Je demande
maintenant s’ il n’eft pas clair que du tems
d’Alyatre, c’eft-à-dire , environ 6 co ans avant
Jéfus-Chrift , l’ art de fondre le fer étoit encore
dans fon enfance > 8c ce que pouvoient être les
armes 8c les autres uftenfiles de ce métal, tra-
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vailles par des. hommes fi peu éclairés fur ce
point, qu’ils ignoroient la manière de le fouder,
ou , ce qui eft la même chofe , d’en rejoindre les
parties. La reconnoiffance que l’on témoigne à
Glaucus , mérite bien de l’ attention ; 8c fa fou-
coupe préfentée au temple de Delphes , donne
au moins une idée de la rareté de ce métal, &
du cas que l’on en faifoit. Je fuis donc convaincu
que les anciens , non-feulèment dans les premiers
temps, mais dans les fiecles des Romains , ne faifoient
ufage que du cuivre,& qu’ils n’emplpyoient
pas communément le fer ; foit qu’ils ayent fuivi
les pratiques 8c les u.fages établis dès lors dans
Je monde > ce qui s'accorde affez avec leur peu
de génie pour les arts , & par conféquent pour
les découvertes ; foit que le fer ne fût pas encore
auffi commun qu’il l’eft devenu dans la fuite ,
par le foin avec lequel on s’eft appliqué à le travailler
dans les derniers fîècles, 8c principalement
en France. » •
« Quoi,qu’il en fo it , je n ’ai-vu dans le nombre
des cabinets de l ’Europe dont j’ai vifite la plus
grande-partie, que deux lames d’épées, de fer
que l’on puiffe regarder comme romaines. Elles
font dans le cabinet des Jéfuites de Lyon : il n’y
en a même qu’une qui', foit entière. ( On en a
trouvé une à Herculanum , que l’on voit à Por-
tici. ) Malgré la rouille 8c tout ce qui contribue
à détruire ce métal,. il eft étonnant que du
nombre prodigieux d’armes que les Romains ont
fabriquées pour leur ufage, il ne s’en foit pas
confervé quelques vertiges dans les lieux fecs ,
& principalement dans un pays chaud comme
l’Egygte, qui fournit tous les jours tant d’antiquités
de toutes les nations, 8c où l’on n’ a jamais
trouvé le plus petit morceau de fer. Tout
eft brotiT'c, pierre , verre, ou terre cuire. Ces
raifonS feules étoient capables de me confirmer
dans une opinion qui deviendra plus claire , 8c
qui fera démontrée par les monumens que l’on
découvrira.33
« En attendant de plus grands éclairciffemens,
je n’ai rien négligé pour retrouver la trempe du
cuivre. La molleffe de ce métal, ou la facilité
avec laquelle il fe cafte, étoit une objection
trop folide, 8c qui me faifoit trop de peine, pour
ne pas chercher les moyens de le rendre tel qu’ on
en puiffe faire ce que les anciens en faifoient,
en remployant à tout ce que nons exécutons
avec le fer. L ’expérience eft au-deffus de tous les
raifonnemens. »
« Les recherches que j’ ai fait faire fur le métal
même , m’ont donné le cuivre très-dur, fondu,
forgé, allié, trempé, fufceptible de la meule >
enfin, fournis à toutes les propriétés du fer. Je
vais commencer par copier le détail de l’opération
que M. Geoffroi le fils a bien voulu faire
à ma prière j 8c l’on jugera des foins & de la
fagacité avec lefquels il s’eft prêté à cette petite
manoeuvre. Au refte, toutes les expériences dont
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il eft parlé dans le difcours fuivant, ont ete
faites fur des armes des Romains , «8c pour
fabriquer des lames pareilles à celles que
pou a découvertes à Genfac, (village fitue fur
la frontière de l’Auvergne & du Bourbonnois) ,
& qui font dans le cabinet des antiques du
roi.'39
« Le verd-de-gris, qtü*nefe forme qu’ à la longue
.» fur le bronze, fert à décider à la fimple mj-
» peftion que les armes anciennes qu’on m a fait
„ voir , 8c qui ont été trouvées dans là terre ou
W dans les ruines , font de cuivre pur 8c fans
» alliage, ou que s’ il y a de l’alliage, du moins
« le cuivre eft en grande quantité ; 8c^c eft a ce
» dernier fentiment que l’on doit s arrêter, Iorf-
» que l’on penfe au peu de folidite 8c de^ dureté
. » que le cuivre pur peut acquérir par l’écrouif-
m fage, ou les autres moyens qui nous ^ font
»> connus. M. le comte de Caylus, qui m’avoit
„ engagé à l’aider dans l’examen de ce métal 3
« examen qui eft du reffort de la Chimie, m’a
»» communiqué un paffage de Philon de Byzance
» (Afathem.veteres), qui m a fourni le fujet de mes
»» premières expériences. Le voici tel qu’il me 1 a
» donné. »
« Philon, en parlant d’une machine qui fer-
» voit à lancer des traits, 8c qui étoit formée
» de deux lames de cuivre courbes qui avoienpdu
» reffort, dit que ces lames étoient faites d’un
» cuivre rouge, purifié 8c recuit plufieurs fois :
M on mêle, ajoute-t-il, à une mine péfant de
»j cuivre , trois drachmes d’étain bien purifie >
» & après avoir fondu le tout enfemble , on en
» forme des lames , on leur donne une courbe
» légère, 8c lorfqu’elles font bien froides, on
» les bat pendant long-tems. »
, « J’ai fait des mélanges de cuivre & d’étain
» fondus enfemble, & alliés dans différentes pro-
» portions : tous ces effais m’ont donné un cuivre
» plus roide 8c plus dur que le cuivre ^ rouge î
» mais ce métal allié n’ avoit ni le grain ni la
a- dureté des armes des anciens , qui m’avoient
»été préfentées. Au refte, ce métal eft aigr eSc
*» difficile à forger. Je croyois que puifque 1 e-
» tain communiquoit au cuivre affez de dureté
» pour lui donner du reffort, je pourrois par-
» venir par ce feul alliage à le durcir affez pour
» en faire des armes. Après quelques tentatives
» inutiles, je cherchai à m’ affurer s’il y avoit
» dans ces armes antiques une portion d etain
» fenfible, 8c auffi confidérable que dans le métal
»que j’alliois. Pour cet effet, je mis dans un
» bain de plomb fur une coupelle un morceau
» de mon alliage , qui auffi-tôt qu’il commença
» à fe fondre, végéta, à caufe de l ’étain qu’il
» contenoit. J’ai répété cette expérience fur le
» métal des armes antiques > 8c ce métal n’ayant
» point végété , mais étant plus difficile à fondre ^
» que le mien, je fus convaincu que ce n’étoit
Antiquités, Tome I «
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» point l’étain qui durciffoit le cuivre, qui eft
» le-métal principal des armes. »
ce La difficulté que j’avois trouvée a fondre ce
. » métal, me fit foupçonner qu’il contenoit du
» fer ; 8c mon foupçoa fe changea prefque e»
» certitude , lorfque je comparai le grain de^ ce
» métal avec celui de quelques effais ^ de cuivre
» alliés de fe r , que mon pète avoit faits dans le
» tems qu’il donna à l’Académie des Sciences un
» Mémoire fur le tombac. »
ce J’ai cherché à imiter pour la dureté 8c pour
» le tranchant , une épée romaine j 8c je crois
» n’y avoir pas mal réuffi dans celle que j aï
» remife à M. le comte de Caylus. Elle eft faite
» avec un mélange de cinq parties de cuivre
« rouge 8c d’une partie de fer fondus enfemble „
» puis jetées en moule. Elle a été réparée de
»3 enfui té affilée fur la meule. Le fer que_j ai
» ajouté au cuivre rouge pur, eft du fil-de-fer :
» comme il préfente beaacoup de furface au feu,
» il eft plus facile à fondre > mais il a 1 incon-
» vénient de fe brûler facilement, 8c de fe ré-
33 duire en feories. Ainfi , je crois qu il feroit
» fort difficile de déterminer la quantité de fer
33 qui eft mêlée au cuivre , attendu qu’ on ne doit
» pas compter celui qui eft change en feories. »»
ce On fait qu’il y a beaucoup de minés de
» cuivre ferrugineufes. Ces mines fourniffent a
>» la fonte un cuivre dur ,8c aigre qui a befoin
» d’être raffiné pour être dépouille de toutes les
» parties de fer 8c de foufre qu il contient, 8c
» pour devenir doux 8c facile a travailler.Je crois
» que fuppofant que les armés de cuivre fuffent
» communément en ufage chez les anciens, le
» fentiment le plus naturel eft de croire que le
33 cuivre dont ils les faifoient, etoit ce cuivre
33 aigre 8c dur, tel qu’ il eft dans de certaines
33 mines, 8c qui eft ce que nous appelons le cuivre
33 noir. Ils s’epargnoient la peine de le dépurer :
3> ce qui l’auroit rendu moins propre a 1 ufage
» auquel ils le deftinoient. Comme nous avons
33 encore plufieurs mines de cuivre qui font dans
>3 le même cas telles que celles du Lyonnois#
33 de la baffe - Navarre , 8c prefque toutes les
33 autres de France, il ne feroit pas impoffible de
33 vérifier ce fentiment que j’ofe avancer comme
33 le plus vraifemblable > mais je n ai pas eu à
33 Paris les facilités néceffaires pour les expé-
33riences.33 ,
« Au refte , je crois avoir amplement indique
3» un des moyens qui pouvoient fervir à durcir
33 le cuivre j je dis un des moyens, attendu que
33 je crois qu’il y en a plufieurs , 8c même qui
»3 produiroient des effets plus fenfibles. «
« Cette opération fi clairement rendue eft
d’autant plus cürieufe en elle-même , que l’ alliage
do ces deux métaux , le fer 8c le cuivre
étoit regardé comme impoffible ; cette opéra-
tioDAdis-je^foiiraet donc le cuivre les Pr^