
Charlemagne à l*an 801, & fa mort à Tan 813.
Comment les accorder avec nous? Rien de plus
facile, en diftinguant les différens commencemens
de Vannée que nos deux compilateurs ont fuivis ,
le probablement copiés d’après les auteurs originaux.
Ils ont rapporté le couronnement de
< harlemagne à l’an 801, au lieu de le rapporter
à l’an 800, en commençant Vannée le 25 décembre,
jour de Noël} ils ont rapporté fa mort* arrivée
le 28 janvier , à l’an 8 13 , au lieu de la rapporter
à l’an 814 , en ne commençant Vannée qu’avec le
mois^de mars* ou pfhtôt le 25 du même mois,
peut-être même à Pâques feulement. Voilà deux
commencemens de Vannée bien marqués dans les
mêmes annales , compilées fans doute de divers
auteurs ; ce qui a donné lieu au favant éditeur
de faire la même obfervation que nous faifons
ic i , & d’ajouter que ce que nous voyons dans
les annales de Metz & de Moiflac, doit fe dire
de la plupart des chroniques de ce tems-là & des
Jfiècles fuivans.
Que fi dans une même chronique il fe rencontre
divers commencemens de Vannée , que
devons-nous penfer de diverfes chroniques, comparées
les unes avec les autres ? N’y trouverons-
nous pas toutes les variations, à cet égard, que
nous avons remarquées, & que par la fuite nous
remarquerons encore dans nos chartes ? Cela eft
Certain, & Gervais de Cantorbery va nous en
fournir la preuve. Cet auteur vivoit au commencement
du treizième fiècle , dans le tems que les
chroniques fe multiplioient à l’infini. Ecoutons
ce qu’il nous dit : Inter ipfos etiam chronica ferip-
tores (ce font les termes de l’avant-propos de fa
chronique) nonnulla dijfentio eft. Nam cîim omnium
unica & précipita fit intentio annos Dominé
eorufnque continentias fupputatione veraci enarrare ,
ipfos Dominé annos diverfis modis & terminés nume-
rant, fie que in ecclefiam Dei multam mendaciorum
tonfufionem inducunt. Quidam enim annos Dominé
incipiunt computare ab Annuntiatione, alii a Nazi-
vitate 3 quidam à Circumcifione , quidam ver b a
Pajfione. Ajoutons à cette énumération de Germais
ce que nous avons prouvé plus haut : Quidam
tt martio y quidam tandem a pafehate. Voici maintenant
les réflexions qu’il fait fur ces divers com-
mencemens de Vannée de l’incarnation. Cui ergo,
dit-il, iftorum magis credendum eft? Ann us folcriSj
fccundum romanorum traditionem & ecclefia Dei
confuetudinem , a kalendis januarii fumit initium:
in diebus natalis Domini , hoc eft in fine decembris
fortitur finem. Quomodo ergo utriufque vera poterit
ejfe computatio „ cum alter in principio, alter -in
fine anni folaris annos incipiat incamationis ? U ter-
que etiam annis Domini unum eumdemque tituîum
apponit, tum dicit, anno ab incamatione tanto
vel tanto faEla funt ilia & ilia. N i s aliifque fimi-
libus ex caufis in ecclefiâ De i orta eft non modica
dijfentio.
Après un témoignage fi clair le û précis d’un
témoin oculaire, on doit regarder comme fuffi-
famment prouvée la confufion qu’avoient jetée
dans les chroniques les différens ufages de commencer
Vannée. Mais» le texte de Gervais dit encore
plus qu’il ne femble d’abord exprimer. En
1 examinant de près, nous croyons en effet y trouver
un nouveau commencement de Vannée, dont
nous avons dit ci-devant deux mots, fans le
prouver. C’eft fur ces paroles que nous nous
tondons : Annus folaris , fecundum romanorum
traditionem & ecclefiâ Dei confuetudinem a kalendis
januarii fumit initium : in diebus natalis Domini ,
hoc eft, in fine decembris fortitur finem. Quomodo
ergo utriufque vera poterit ejfe computatio , cum
alter in principio, alter in fine anni folaris annos
incipiat incamationis ? Il ne paroît pas qu’on puifte
entendre ces paroles de ceux qui commençoient
Vannée le 25 décembre, jour de la naifïànce du
Sauveur, & de ceux qui la commençoient fept
jours plus tard, avec le mois de janvier. Une
différence de fept jours n’étoit pas capable de
caufer la confufion dont fe plaint le moine Gervais
, lorfqu’ il nous dit : Quomodo ergo , &c. Cette
façon de parler ne marque-t-elle pas clairement
deux chofes : i°.jqu*il y avoit en ces tems-là des
auteurs qui commençoient Vannée avec le mois de
janvier, & cela un an moins fept jours avant
ceux qui la commençoient à.Noël} 20. que les
uns & les autres, malgré la différence d’ un an,
marquoient dans leurs chroniques ces deux années
par la même année de l’incarnation} fi tel eft vrai
le fens des paroles de Gervais, comme il ne paroît
pas qu’on puiffe' en douter, nous fommes
en état de répondre à une difficulté propofée aux
favans parle P. Mabillon, dans fa Diplomatique,
liv. 2 , c. 25, n. 9. Elle roule cette difficulté fur
deux bulles de Pafcal I I , qui fut confacré pape le
14 août de l’an 1099. La première eft datée da
14 février 1103} la fécondé, dont le P. Mabillon
avoit l’original fous les yeux, eft du 23 mars.de
la même année ; l’une & l’autre, comme on le
voit, avant le 25 mars. Les autres dates de ces
bulles font l’indi&ion x & la troifième année du
pontificat de Pafcal II. Ces deux dernières dates
marquent Vannée 1102, tandis que les deux bulles
énoncent l’an 1103 , comme on vient de le dire,
& cela avant le 2 y mars. Comment réfoudre cette
difficulté ? C’eft en difant que le chancelier qui
a drefle ou écrit ces deux bulles, commençoit
Vannée de l’incarnation un an plein avant nous,
& qu’ainfî il comptoit 1103, lorfque nous comptons
i.1,02. Cette réponfe eft fondée fur les paroles
de Gervais, qui viennent d’être rapportées,
& l’interprétation que nous leur avons donnée ,
fe trouve confirmée par les deux bulles de Pafcal.
Au refte, ce commencement de Vannée de l’incarnation,
antérieur au nôtre d’un an, ne doit
point étonner dans un tems.ou chaque auteur
femble avoir eu la liberté de commencer Vanrs*
quand il vouloit. Oa a vu plus haut qu’il y «n
avoir qui la commençoient le jour de l’Annonciat
i o n , neuf mois & fept jours avant nous. Cette
manière de commencer Vannée de l’incarnation,
n’empêchoit pas ceux qui la fulvoient, de regarder
le premier de janvier comme le premier jour
de Vannée folaire, fuivant l’ufage des Romains,
très-connu & très-commua en Occident (1 ).
De-là il eft arrivé tout naturellement que pour ne
pas s’éloigner de cet ufage, certains auteurs ont
commencé dès, le mois de janvier à dater leurs
récits par Vannée telle ou telle de l’incarnation,
quoiqu'ils fuffent bien que cette année telle ou
telle ne devoit commencer que le 2y mars fuivant.
11 en eft de ces auteurs comme de ceux qui
datoient par les années de nos rois, & fans faire
attention ni *au mois ni au jour^ précis ' qu’ils
avoient commencé de régner, dès le mois de
janvier fuivant, datoient leurs récits de la fécondé
année de ces princes, quoiqu’ ils n’ignondfent point
que leur règne ne commençoit qu’un certain
,nombre de mois après celui de janvier (2). 11 nous
(1) Des lettres de grâce données l’an 1435, & confervées au
tréfor des chartes, font datées le premier jour de janvier, qu’on
appelle communément le premier jour de l ’an. L’ufage étoit en
ces teras-là, comme à préfent, de donner des étrennes au
premier janvier.
(») Cet ufage n’étoit point particulier aux auteurs fran-
çois/on le remarque dans pluüeurs diplômes des empereurs
d’Allemagne. Le Mire en rapporte un ac l’empereur Otton I ,
(Not. Ecc Belg. c. Ci.) daté au 12 janvier 9 66, la trente-unicme
année de fon régné. Or, ce prince n’étant parvenu au trône
qu’au commencement de juillet 936, le ix janvier 966, il
n’écoit encore que dans la trentième , ôc non la trente-unieme
année de fon régné. Mais Otton, ou fon chancelier, comptoit
les années incomplettes comme les années complettes *,
c’eft-à-dire, qu’i l regardoit l’an 956» comme fi le régné
d’Otton eût commencé au premier jour de >:ette année, &
comptoit par conféquent les fept derniers mois de cette année
comme une année complette du régné de ceprince. Il fe trouve
quantité d’exemples de cette maniéré de fupputer les années
des règnes, dans d’autres diplômes de ce prince, dans ceux
de Henri, fon pere } dans ceux d’Otton II. fon filsi de
Henri II, de Conrad JT, de Henri III, de Lothaire II, qu’on
peut voir dans Le premier tome de la Chronique -de Gotwich.
On doit même faire remonter cet ufage bien plus haut
que les rois de France & les empereurs d’Allemagne. Le
Cardinal de Noris, dans fa lettre fur une médaille d’Hé-
rode Antipas, remarque, d’après Képler & le P. Péta 11, que
les Juifs comptoienc les années de leurs fouverains du mois de
Nifan, qui précédoit l’avenement de ces princes au trône ;
de forte qu’ils comptoient une fécondé année au premier de
nifan fuivant, quelque peu de tems qu’ils euffent régné auparavant
: il le prouve par un pafïage de Jofephe , qui ne fouffre
> point de difficulté. LeTalmud eft également formel là-deflus.
Prima dies nifan, y eft-il dit, eft novus annus regum. Annus
ille eft à quo numerare & fupputare incipiebant annos regum
fuorum in contraftibus, chircgraphis & publicis omnibus infiniment
is & diplomatibus qui ad annos & menfes regis regnantis
eomponebantur. Ôn voit auffi par le même livre, & par d’autres
monumens, comme Samuel Petit le prouve, que les Juifs
comptoient les années des empereurs & des autres princes
étrangers , du mois Tifri, qui avoir précédé leur avènement,
quand même il ne fe feroit écoulé aue quelques mois, &
même un féal jour. C’eft à l’aide de ces principes qu’on
peut expliquer les dates d'années des princes juifs, qui fe
trouvent fur les médailles d.e Philippe le-Tétrarque, d’Hé-
rode, roi de Calcide , d’Hérode Antipas, d’Agrippa I èc
d’Agrippa le jeune. '
Les Egyptiens, dit M. l’abbé Bellei, qui nous fert ici de
guide, ûuyoicns auffi l’ufagc particulier dç compter,une noufuffit,
pour le préfent, d’avoir prouvé un commencement
de Vannée de l’ incarnation, antérieur
d’un an au nôtre a&uel, & d'avoir rendu raifon ,
autant que cela fe peut faire, d’un ufage peu
connu & fort éloigné de notre tems.
Ce qui vient d’être dit fur les divers commencemens
de l ‘année qui fe rencontrent dans
nos chartes & nos chroniques, fait voir quelle
attention il faut apporter à la leéture de ces anciens
monumens. Sans cela on feroit continuellement
expofé à s’y méprendre, & cf autant plus facilement
, que ceux qui commençoient Vannée
diverfement, n’en avertiflent point, comme le
moine Gervais vient de nous l’apprendre. Us
datent tous de Vannée de l’Incarnation, fans
dire qu’ils la commencent le 25 Mars , neuf
mois & fept jours avant nous, ou trois mois
moins fept jours après nous, ni s’ ils la commencent
avec le mois de Janvier de Vannée qui
précédé la nôtre, ou avec le même mois comme
nous, ou avec le mois de Mars, à Pâques ou
à Noël. Combien ne faut-il pas d’attention &
de difeernement pour ne point prendre le change
fuf des dates fi embarrafiantes & fi embrouillées
? Quelle témérité d’en juger précipitamment
, comme fi elles ne renfermoient aucune
difficulté ! Ces dates ne s’ accordent pas avec notre
calcul, donc elles font faufîes, & les chartes
ou les chroniques qui les renferment, de nulle
vclle année de régné au thoth ou premier jour de leur année
civile (29 août) •, en forte qu’ils comptoient une fcconae année
au thothj qui ouvroit une année nouvelle, quand le prince
n’auroit régné que peu de tems auparavant.
Le P. Pagi (ad an. 6 } , n. 3) a obfervé que fans cette méthode,
on ne peut expliquer la date d’une fécondé année
de Galba, ni la cinquième année d’Elagabale, gravées fur
des médailles égyptiennes. C’eft par la même méthode que
le baron de la Baftie explique la huitième année h . de
l’empereur Probus, fur des médailles frappées en Egypte.
Le cardinal de Noris a prouvé que les habirans d’Antioche
& de Laodicée en Syrie , comptoient de même une nouvelle
année de régné au commencement de leur année civile. A
menft à quo annum ordiebantur, numeràrunt, quod & de
annis imperii Julii C a farts Arttiochcnfcs ac Laodicenfes fecijfe
in volumine de annis Syro- Macedonum demonftrovi.
T.el étoit auffi l’ufage de la ville de Tyr. Trajan fut adopté
par Nerva, créé Céfar, 5c revêtu de la puiftance tribuni-
tienne le 18 feptembre de l’an 97 de J. C. Le 19 oûobre
du mois fuivant, premier jour de l’année civile de Tyr, les
habitans comptèrent la fécondé année b du régné de ce prince ;
Sc le 19 octobre de l’an ir<î, ils comptèrent la vingt-imieme
année vit.. Sans l’application de cet ufage, on ne pourroit
concilier les monumens avec la durée du régné de Trajan,
qui ne fut „pas de vingt ans complets.
Ajoutons encore l’ufage particulier de la ville de Séleucie ,
/près des bouches de l’Oronte. Nous avons vu ,: dit M. Bellei,
dans le cabinet de M. l’abbé de Rothelin , un beau médaillon
frappé par les habitans de cette ville, en l’honneur
de Galba, la fécondé année de fon règne : etovs neov
iEPON B. Galba n’avoic régné que neuf moisde treize jours,
à compter même du 3 avril de l’an 6 8 , jour auquel il fut
proclamé Augufte en Efpagnc du vivant de Néron, ou fept
mois fept jours, fi l’on compte de la mort de Néron, vers le
12 juin de la même annéi. 68. Il fut tué à Rome le 1 {janvier
69. Les habitans de Séleucie comptèrent donc une fécondé
année du régné de ce prince au commencement de leur année
civile, à l’automne qui fuiyk fon aventment au uônc.