
* combinaifons de doigts. » Cette conjefturë ,
relativement aux figures numérales des Grecs &
des Romains, fe trouve dans la méthode de
Port Royal, & dans une multitude d’autres livres.
Mais l’application qu'on en fait aux chiffres arabes
eft toute neuve. Malhenreufement elle n’eft
pas moins forcée que deftituée d’autorités & de
preuves fol-ides. »
«c Dans le deffein d’enlever aux Arabes l’honneur
d’avoir introduit nos chiffres , 8c pour concilier
les divers fentimens, D. Calmet forma au
commencement de ce fiècle un nouveau fyftême,
dont il doitfia lui-même le précis dansfes recherches
fur l’origine des chiffres d’arithmétique , inférées
dans les mémoires de Trévoux. « Les chiffres , dit-
»» i l , dont nous nous fervons aujourd’hui viennent
v des Latins, 8c font des relies des anciennes no-
» tes deTiroh, que les Pythagoriciens avoient prifes
» pour la facilité de leurs démonftrations d’arith-
» métique. » Ceci eit emprunté du P. Mabillon,
qui trouvoit beaucoup d’affinité entre nos chiffres
modernes 8c les notes tironiennes. « Les anciens
a» chiffres des Arabes, tels qu’on les voit dans
« les manuferits du xm e fiècle, ajoute D. Cal-
« met, viennent des Grecs, 8c ne font autres
» que les lettre^ de l’alphabet de ces derniers.
*° Enfin les chiffres modernes des Arabes font
« peut-être venus des Indiens *, car fur ce der-
» nier article nous n’avons point de preuves bien
•» certaines. » Voilà donc trois fortes de chiffres 3
8c trois origines de ces chiffres , fort différentes.
Les preuves dont le favant'bénédictin fe fert
pour les établir font : « i 9. la reffemblance de
nos chiffres avec les anciennes notes de Tiron,
» 8c des anciens chiffres des Arabes avec les let-
» très grecques 5 2-0. une tradition 8e un ufage
» des notes anciennes des Latins dans tous les
» fiècles jufqu’au xm & x iv e. 93
ce Mais en confrontant ces chiffres 3 il eft aifé
de voir que ceux dont noiis ufons aujourd’hui 3
font à-peu-près les mêmes que ceux des xm 3
x iv & x v e fiècles. Ils n’en font pas plus diffé-
rènsj que l’écriture de ces bas tems diffère de
celle du nôtre. On ne peut pas plus dire que les
chiffres vulgaires des manuferits^ 8c des inferip-
tions des trois fiècles marqués ci-deffus , foient
tous les mêmes que les notes de Tiron, représentées
fur la planche de D. Calmée. Si l’on y
découvre les 2 , 3 ,9 , la reffemblance eft fi légère
, qu’on peut bien la'regarder comme l’effet
d’un pur hafard. D’ailleurs l’ufage des notes de
Tiron ceffa dès le Xe fiècle 5 & il n’en refte
prefque plus aucun veftige dans les monumens
depuis le commencement du x-ie fiècle > fi ce
n’eft le 7 , abréviation d’6’ , 8c 9 , autre abréviation
6! us , toutes deux très - fréquentes dans
l’écriture latine^ Ce n’eft donc pas dans ces notes
qu’il faut chercher nos chiffres vulgaires. On les
trouveroit tous plus facilement dans nos anciennes
écritures 3 tant minufcules que curfivé$.
« Notte favant auteur dit que les Arabes eurent
des chiffres bientôt après le ix e fiècle.^ H prétend
qu’ils prirent des Grecs’ ceux qu’on voit
dans les manuferits du x i i i c. Il s’appuie uniquement
fur la reffemblance de cés anciens chiffres 3
figurés dans fa feptième colonne 3 avec les lettres
grecques repréfëntées dans la fixieme. Mais
cette prétendue reffemblance ne tombe que fur
quelques caractères.331
«* A l’égard des chiffres nouveaux des Arabes 3
comme ils ne reffemblent ni aux nôtres, ni aux
notes de Tiron 3 ni aux lettres grecques , le P.
Calmet veut bien en abandonner l origine aux
Indiens. En effet 3 les chiffres de ces peuples approchent
beaucoup de ceux dont fe fervent a
préfenc les Arabes.- »
ce Quelqu’ingéniëux 8c quelque recherche que
foit ce fyftême, il n’a nul fondement folide- La
manière de lire 8c d’écrire des Orientaux,. montre
affez clairement que nos chiffres vulgaires j
tant d’à-préfent que des xm , x iv 8c x v c ficelés
, viennent plutôt des Indiens 8c des Arabes
que des Grecs 8c des Latins. D. Calmet convient
lui-même que la manière dont nous nous fervons
de ces chiffres , 8c fur-tout du zéro, vient des
Arabes 3 8c que l’ordre dans lequel nous arrangeons
ces chiffres , ce en donnant Ja plus grande
»» valeur à celui qui eft le premier de^ la gauche-
33 à la droite , 8c en commençant à lever, les-
» fommes de la droite à la gauche, eft conforme
33 à la manière d’écrire des Arabes : que tout cela
33 eft de l’invention des Orientaux......8c que les
» noms d’alg èbre , de chiffres , de calcul , de
33 tarif, &c. nous viennent de la même fource.»
Pourquoi donc ne leur attribuerons - nous pas .
l’origine 8c les figures de nos chiffres, qui fe
lifent de gauche à droite. Le x in e fiecle , ou
nous eûmes plus de commerce avec les Orientaux,
eft cependant celui où nous trouvons moins
de traces de nos chiffres. « O r, ajoute-t-il,, ce
33 n’eft pas un petit préjugé qu’ils ne font pas
3» venus à nous par le canal de ces peuples ,
»» comme on l’a cru-jufqu’ici.33 Cependant fi 1 on
confulte les manuferits de France, d Angleterre,
d’Allemagne 8c d’Italie, pour favoîr quand on a
commencé à fe fervir des chiffres nommes arabes
, on fera convaincu que dans le xm e fiecle
l’ufage de ces lignes étoit déjà commun parmi
leé chrétiens. Il faut toujours fuppofer. avèc-
Jofeph Sca-iiger , que ces chiffres ont fubi parmi
nous le fort de l’écriture, c’eft-à-dire , que leurs
figures n’ont pas moins varié :que celles de nos
lettres. »
« Le P. Papebrok étoit perfuade que l ufage
de nos chiffres a été inconnu avant, les croifades.
En 1672, Conringius ne leur donnoit que quatre
cents ans d’antiquité. Le P. Hardouin donne
comme une chofe connue de tout le monde ,
que ces chiffres n’ont point été en ufage avant
la fin du xm e fiècle , ou le commencement d»
fuîvant. « Scalîger étoit fi convaincu de leur
« nouveauté > qu’il affura qu’un médaillon d’ar-
33 gent, fur lequel il fut confulte, étoit moderne,
33 parce que les caractères 234 8c 235 étoient
»» gravés deffus. »» D. Mabillon fe contente de
dire que i’ufage en fut rare avant le x i v c fiècle.
Il Convient cependant qu’on trouve ces chiffres
dans un petit nombre de manuferits plus anciens,
qui traitent de la géométrie 8c de l’arithmétique.
Un de nos fa vans, académiciens va plus loin :
Vufage des chiffres arabes , dit-il, ne remonte -pas
plus, haut que le x i y z fiedé. Les éditeurs du glof-
faire de M. du Cange, fur le mot numeric& nota,
avancent pareillement qu’avant le - x i v e fiècle ils
étoient inconnus. D’autres auteurs ont déféré à
Planudes, moine grec, qui vivôit fur la fin du
xilis fiècle, l'honneur d’avoir été le premier qui
fe foit fervi de ces chiffres. Mais nous les croyons
plus anciens,, fans néanmoins être convaincus
qu’il faille les faire remonter au-delà, du xn c fiècle.
Le doCteur Wallis 8c Veidler, célèbre-pro-
feffeur de mathématiques à Wittcmbergl, ont fait
tous leurs efforts pour prouver que Boèce, auteur
du i v c fiècle, a voit fait ufage de chiffres très-
approchans de ceux dont nous nous fervons aujourd’hui.
Ils s’appuient principalement fur deux
ou trois manuferits, où ils ont vu que les ckif^
fres employés dans l’arithmétique , la mufique ,
8c vers la fin de la géométrie de ce philofophe,
' font femblables aux nôtres. Cette reffemblance
eft-elle bien certaine 8c bien établie ? Pour les
mettre en évidence , nous regretterons toujours
é}u’on n’ait pas fait deffmer 8c graver ces chiffres ,
tels qu’ils font dans les manuferits de Boèce.
C’étoit l’unique moyen de prouver que. ce philofophe,
dans fa table de Pythagore, s’étoit fervi
des mêmes figures numérales qu’on emploie aujourd’hui.
Boece n’a-t-il pas employé d’autres
lignes,-qui, .comme nos chiffres , pou voient fe
multiplier, fe divifer 8c fe combiner à l’infini ?
S’il faut s’en rapporter à Veidler, fur la reflèm-
blance des figurés numérales de Boèce avec nos
. chiffres arabes , la queftion eft terminée. Mais fi
ces figures font différentes, il n’eft pas démontré
que le philofophe du IVe fiècle ait fait ufage
de nos chiffres vulgaires. 33
« On a cru que Gerbert, moine d’Aurillac, 8c premier pape françois , fous le nom de Syl-
veftre I I , avoit enfeigné l ’arithmétique avec ces
chiffres vers la fin du x c fiècle , 8c. qu’il les avoit
appris des Sarrafins dans fon voyage d’E.fpagne.
« Quoique les chiffres romains paroiffent em-
3» ployés dans quelques-unes de fes lettres, il 3» n’eft pas moins certain , dit un favant acadé-
33 micien ( l’abbé- le Boeuf) j que dans l’art
3> de compter fur la table couverte de poudre,
33 il eonnoiffoit, les chiffres qui exprimoient cha-
.33 cun en une feule pièce les neuf premières
» unités, à-peu-près comme on les repréfente
»» aujourd’hui. » Nous avons voulu nous affurer
du fait en confultant le manuferit colbertîn 5 3 66.S.
de la bibliothèque du Roi. Nous n’y avons point
vu nos chiffres vulgaires, qui ne fe montrent que
dans une copie de cet auteur affez recente. Avant
le milieu du xm c fiècle, Jean de Sacrobofco ou
de Sairbois , qui vécut a Paris jufqu en 1256,
fit, dit-on, ufage de nos chiffres dans fon livre
de Sph&ra Mundi. Sous le règne de S. Louis ,
quelques écrivains continuèrent de s’en fervir.
L’auteur anonyme du traité de l’Algorithme ou
de l’arithmétique, compofé en langue vulgaire
au plus tard fous Philippe lé Hardi, fit entrer ces
chiffres dans fes leçons fur la multiplication 8c
dans Tes explications de géométrie.33.
ce On ne voit pas que les Efpagnols s’en foient
fervi long-tems avant les François , les Italiens
& les Anglois. Cependant s’il failoit s’en rapporter
à*don Naffarre , on les trouveroit dans
des inferiptions des v 8c VIe fiecles, dans plu-
fieurs livres, 8c même dans les plus anciens
diplômes publiés par-Schannat 8c Mabillon. Mais .
nous ayons découvert que qptre favant Efpagnoi
prend des caraélères romains 8c des notes de
Tiron pour des- chiffres arabes. Il s’accorde pourtant
à dire avec le P. Kirker, qu’Alphonfe X ,
qui fut reconnu roi de Calrilie 8c de Léon l’an
1.252, les répandit dans toute l’Europe, par le
moyen de fes tablés aftronomiques. Quelques-
uns même nous donnent ce printe pour le premier
chrétien qui ait fait ufage des chiffres arabesj
mais c’eft fans trop de fondement.33
ce Les favans d’Angleterre ont beaucoup travaillé
à fixer la date de l’introduélion primitive
de ces chiffres dans leur ifle. En général je doc-
-tenr Wallis place leur époque au tems cVHer-
mannus Contractas , qui fioriffoit vers l’an 1050.
Pour déterminer avec plus de précifion leur âge
en Angleterre , il a eu recours à une inferip-
tion en bas-relief, qui étoit autrefois fur un
manteau de cheminée de la maifon presbytérale
de Helirdon ou Helindon. Selon lui, cetteinferip-
tion offre ce^caraélères M°. 123. Tuffkin a prétendu
donner une preuve plus fûre de l’antiquité
des chiffres chez les Anglois. .C’eft une
croifée d’une maifon bâtie à la romaine dans le
marché de Colchefter, fur laquelle on voit un
écuffon chargé de ces caractères .1090. Cope
ayant reçu de Wigdel-hall, dans le comté d’Her-
ford, une ancienne date, où il lifoit M. 16. ,
c’eft-à-dire ic i6 , en conclut auffitôt que c’étoit
la première époque des chiffres arabes, 8c qu’on
avoit eu tort de la chercher dans les inferiptions
de Helindon & de Colchefter. Mais depuis ce
tems-là ayant acquis une nouvelle date, trouvée
à Worcefter, qui portoit 975, il fe crut autorifé
à faire remonter jufqu’au x e fiècle l’antiquité des
chiffres dans fon pays.33
« Après un examen férieux de toutes ces pré'»
tendues découvertes, Ward foutient que ces-ca-
ra&ères n’oiit été en ufage qu’un fiècle après la