
les titres fur lefquels nous fondons la divinité
de ce chien fabuleux.
Nous prouverons plus aifément fa généalogie
que l’hiftoirc de fon culte. Héfiode ( Tkeogon. v.
3 io. ) lui donne pour parens Typhon & Echidna.
Quintus de Smyrne ( Paralip. lib. 6 . t>. 160. )
ajoute que le Géant ayant trouvé Echidna dans
un antre placé aux portes de l'enfer , 8c près
du féjour de la nuit * lui fit violence.
Le premier fruit de leurs' amours fut Orthus *
chien de Géryon* que fes deux têtes ( Pierres de
Stock, pag. 283. ) font dillinguer aifément du
chien des enfers. Cerbère vint enfuite , 8c ne s’éloigna
jamais de fon plein gré * des bords ténébreux
qui l’avoient vu naître. Homère* qui* félon
la remarque de Paufanias ( Laconica * pag. 212. )
a donné le premier au chien enlevé par Hercule
le nom de chien de Pluton * ne lui en a point
affeélé d’autre * 8c s’ eft tû fur fa forme & fon
emploi. Les vers du prétendu Orphée gardent
le mène filence > mais un écrivain très-inftruit
de la théologie Egyptienne , Macrobe ( Saturn.
lib. cap. 20. ) afuppléé à leur défaut. Cerbère^
toujours placé aux pieds de Sérapis a , félon lui,
trois têtes * l’une de chien 8c l’autre de loup*
féparées par celles d’un lion qui eft d’une proportion
plus forte que les deux autres. Elles
font portées par un corps de chien qui eft enveloppé*
ainfi que les têtes* par les replis d’un
long ferpent. On ne connoît qu’un feul monument
fur lequel Cerbere foit ainfi repréfenté ; il
eft expofé dans le cabinet d’antiques de Ste Geneviève.
Cette conformité parfaite avec la def-
cription de Macrobe lui donne un grand
prix.
Les poètes Grecs 8c Romains ont à l’envi altéré
la forme de ce monftre infernal j ils ne fe
font accordés que fur un feul point * fon corps,
qu’ ils ont tous décrit comme appartenant à
l’efpèce des chiens $, fa tête a fourni mille variations.
Héfiode ( Tkégon.v. 316. ) lui en donne
cinquante î Ariftophane * ( Ran& * v. 471. ) fuivi
par Horace * ( Horat. lib. 2 * od. 13* Hb. 1 , od.
19. ) double ce nombre ; & Sophocle les réduit à
tro:s. Cette dernière opinion eft celle de
Paufanias , de Virgile , d’Ovide * do Tibulle ,
de Cicéron ( Cicer. 1 , Tufcul. 10 .) * &c. d’Horace
lui - même * dans un autre de fes poèmes.
Plufieurs monumens antiques repréfentent Cerbere
avec trois têtes de chien dans un des travaux
d’Hercule. On le voit fur une belle agathe
gravée par Diofcoride , décrite par Beger * placée
de nouveau parmi les pierres du baron de
Stoch J fur une autre pierre de Leonardo-Agof-
tin ij ( Gemme di L. Agoftini. N°. y, ) fur un
camée du même auteur * où Cerbère eft aflis
tranquillement au pied d’un arbre devant Orphée*
& fur un jafpe rouge de la galerie de Florence,
( Muf. Florent, tom. 1. tab.71. ) où il accompagne
Sérapis-Pluton. Pellerin ( Supph 3 , p l.y N°. 4.)
a décrit un médaillon d’Héraclée dii Pont,fur
lequel eft placé Hercule traînant le monftre à
trois têtes de chien.
Paul-Lucas mérite d’être féparé du nombre
des auteurs qui ont donné des deferiptions du
chien Cerbère. Il parle d’un Cerbere d albatre de
cinq pouces de hauteur avec fa bafe , rapporte
par Montfaucon. On voit de face une ^ tete
d’homme qu’accompagnent de chaque cote une
tête de loup 8c une tête de chien , entortillées
de deux ferpens; La tête d’homme paroit fi extraordinaire
, fi peu conforme aux traditions
Egyptiennes 8c Grecques * qu’elle peut ^a*re
reléguer ce monument au rang des fables dont
le débit paflbit autrefois pour un privilège de
voyageurs. On peut au moins regarder cet écart
comme une bizarrerie du fculpteur, ainfi que les
trois corps donnés à Cerbere par ( Hercules fu-
rensy 24. ) Euripide , font une licence poétique.
On eft d’accord fur la force de fa voix^} il
en faifoit retentir jour 8c nuit les voûtes du rar-
tare. ) Tibul. lib. 3. Elcg. 4 ' dEneid. lib. 6 .') Lie
avec des chaînes de ferpent* couche dans un antre
obfcur fur des os à demi rongés * il ouvre fans
ceflfe fes gueules appelées par Martial ora prodi-
giofa i il effraie & repouffe les ombres qui vou-
droient fortir des enfers. ( Quint. Smyrn. Paralip.
lib. 6 . v. 264. ) Illes dévore même fi elles s’obftin-
nent à franchir ces barrières éternelles. C eft ainfi
que le peint Héfiode. ( Théogon. 768. ) Mais autant
il eft redoutable aux ombres rebelles*autant il
eft doux 8c careflant pour ceux qui veulent pénétrer
dans les fombres demeures. Car il les flatte
des oreilles & de la queue* 3c nous le voyons
dans Horace lécher le pieds du fils de Sémélé.
Ce monftre ainfi repréfenté* n’a pas paru afîez
effrayant à certains poètes, ils ont encore couvert
fon corps de ferpens au lieu de poils. (Æneid.
lib. 6 . ) Tibulle parle dans fes élegies de leurs
horribles fifflemens * 8c leur affocie le ferpent qui
termine la queue de Cerbère. Ces reptiles * qui couvrent
la peau du chien compagnon fidèle de Sérapis
* écoutent dans Juvénal les voeux qu’on
adreffe à cette divinité * 8c annoncent le fucces
qu’ils auront.
» Et movitfe caput vifa eft argentea ferpens
m Illius lacrymis. »
On croyoit en effet qu’il fe lailfoit quelquefois
fléchir. Audi plaçoit-on auprès des morts un gâteau
de mielj avec l’obole de Caron, (SuidasMtMr.vl..)
& la couronne deftinée à ceux qui^ avoient parcouru
la carrière de la vie. On efperoit appaifer
avec ce préfent le redoutable chien * & le ren-
dre favorable à leurs ombres. Virgile a puifé dans
cette tradition grecque l’idée du gateau de la Sy-
bille. . ,N
Il eft rare d’appercevoir cette crinière v ew
neufe für les pierres gravées repréfentant Hercule I
enchaînant Cerbère, quoique ce travail du héros
de Tyrinthe ait fouvent exercé les plus habiles
artiftes. Il a été chanté auffi par tous les poètes de
l’antiquité. En voici l’abregé : Euryfthée ayant dévoué
à la mort le fils d’Alcmène * 8c voyant avec
indignation qu’il échappoit à tous les dangers par
fa valeur le par la protection de Pallas* lui ordonna
d’enlever Cerbère 8c de l’arracher des enfers.
Hercule obéit ( Diod. Sicul.lib 4. Paufanias
Laconie. Odyjf. 1. lliad. Géorgie, lib. 4. v.
Strabon3 lib. 8. Suidas rctivctfov. ) Il parcourut les
bords de la mer Adriatique * pénétra par l’Epire
dans le Péloponèfe * & vint dans la Laconie au
promotoire de Ténare. Il y termina fa courfe ,
parce que Mercure lui indiqua une caverne près
du temple de Neptune dans Ténare, & le con-
duifît par cette ouverture fur les bords du Styx.
Sans doute que le caducée du conducteur des âmes
adoucit le chien terrible* 8c produifit le même effet
qu’avoient produit autrefois les fons de la lyre d’Orphée
j car Hercule prit place fans difficulté dans
la barque de Caron , 8c parvint ^jufqu’au palais
de Pluton. Cependant Montfaucon (tom. i.p . 217.)
dit qu’un certain Menetius,bouvier de l’enfer, voulut
s’oppofer à fon paflage > mais il embraffa ce
téméraire, & le ferra tellement, qu’il l’étouffa en
lui brifant les os.
Proferpine fut touchée du fort d’ un héros auquel
elle étoit attachée par les liens du fan g * ayant
reçu tous deux le jour du fouverain des dieux.
Elle lui accorda d’abord la grâce de fes deux anais*
Théfée 8c Pirithous, malgré l’offenfe griève qu’ils
lui avoiént faite. Elle remit enfuite, félon Plutarque
* ( Parall. N icu & M. Crajji. ) Cerbère entre
fes mains > mais cet écrivain eft feul de fon avis.
Tous les Mythologues conviennent qu’ il combattit
long-tems ce monftre, & ne l’emmena qu’après
l’avoir lié avec des chaînes de diamant. Ovide a
chanté cette lutte terrible. ( Métam. /. 7. ) Il peint
vivement les efforts de Cerbère * la douleur qu’il
éprouva en voyant la lumière, & les hurlemens
affreux dont il fit retentir les airs par trois fois.
Quintus de Smyrne l’a placé fur le bouclier
d’Eurypile ( Paralip. lib. 2* 260.) On y voit les
coups vigoureux que lui porte ce héros, & les
traces de fa victoire fur les bords fangeux du Styx,
au travers duquel il entraîne fa proie.
Le monftre captif exhala fa douleur en de longs
gémiffemens * une écume noire & livide découla
de fes gueules enfanglantées. Cette liqueur horrible
fe deffécha en tombant fur les roches : on en
vit naître fur le champ le redcrtfifcble Aconit, (Dyon.
perieg. v. 788. Nicarid. Alexiphar. Plinius , lib. 6 .
cap. 1 , Mêla. ) cette plante dont le fuc eft un
poifon préfent 8c fans remède. Ce fut auprès d’He-
raclée du Pont que le vainqueur de Cerbère fortit
des enfers î le médaillon de cette ville cité plus
haut en fait foi. C’étoit d’ ailleurs une tradition
confiante dans toute la Grèce* quoique Paufanias
la rejette formellement. Elle fit naître fans doute
la réputation des magiciens de Theftalie* contrée
voifine du Pont. Médée y préparoit fes poifons *
toutesles femmes de ces régions commandoient aux
aftres* aux élémens, 8c elles paffoient pour les
plus puiffantes * dirai-je magiciennes ou empoifon-
neufes de l’univers. La force du venin de cette redoutable
écume a fait croire aux romains que Cerbère
rompoit fes chaînes dans les temps de p elle,
& parcouroit les contrées infeétées. Séneque le
dit expreffément dans fon (Edipe :
» Quin tanarii vincula ferri
» Rupijfe canem fuma * & noftris
»» Errajfe locis. >»
Quoique Cerbère eût des forces proportionnées
à la grandeur de fes membres, il ne pouvoit manquer
d’être vaincu par le fils d’Alcmene. Trois
dieux puifians fàvorifoient le héros, Proferpine*
félon Plutarque, Mercure* qui, dans les peintures
du tombeau des Nafons * le ramène a la lumière *
8c Pallas. Cette dernière déelfe nous fait connoïtre
dans l’Iliade ( lliad. 6. ) la proteélion^ ouverte
qu’elle lui avoit accordée. Se plaignant a Jupiter
des malheurs des Grecs * elle lui reproche d avoir
laiifé autrefois expo fer fon fils Hercule aux plus
grands dangers * 8c elle l’ afliire qu’elle ne 1 auroît
pas laiffé fortir du Tartare fi elle eut prévu les
fecours que dévoient recevoir de lui lesTroyens
fes ennemis.
Sans parler des pierres gravées déjà citées , on
[ voit encore à Narbonne un marbre décrit par du
1 Choul* 'fur lequel Hercule traîne à la fuite le redoutable
chien. ( Pierres de Stock * pag. loi»
Métam. lib, io. ) On peut heureufement l’y regarder
fans craindre le trille fort de cet inconnu
dont parle Ovide qui fe rencontra par hafard fur
le chemin d’Héraclée à Trézène* au moine ît où
le héros paffoit avec fa proie. La vue du monftre
à trois têtes * 8c des efforts vigoureux qu’il faifoit
pour recouvrer fa liberté * le remplit de frayeur. Sa
peur fut fi -grande qu’ il en perdit le mouvement
8c la vie. Non pavor ante reliquit * quam natura
prior, faxo per corpus obortv. Cette métamorphofe
eft exprimée dans la peinture X V I du tombeau des
Nafons * delfiné par Bartoli, 8c expliqué par Bel-
lori. A l’entrée de la .carverne d’où fort Hercule,
conduit par Mercure, 8c traînant Cerbère , on voit
un homme aflis fur une roche* élevant la main gauche
pour exprimer fon étonnement. Bellori {Thés,
ant. rom. Gravii. tom. 12. p. ioyy. ) n’en a pas
parlé dans fon explication, 8c nous devons réparer
! fon filence. On ne peut méconnoître ici l’infortuné
| qui fut changé en pierre à la vue du monftrueux
chien. Sifiphe condamné à rouler un rocher , 8c
que le fils d’Alcmène eflaya de délivrer avec Thé-
fée 8c Pirithoüs, eft étendu fous les pieds de Plu-
; ton* fur un jafpe de Stoch» {pag. 283. ) On le.