
Pîutarque rapporte dans la vie <(e M. Antoine.
C alpurnie, époufe de Ce far, s’empara des tablettes
de ce héros après fon alïaflînat. Elle eut l’adrefle
• y inférer tout ce qu'elle jugea à propos de
feindre. De forte que cette veuve donna des
magiftratures à des citoyens , en fit entrer d’autres
dans le fénat * en rappela plufieurs de l’exil
ou les fit fortir de prifon, comme fi elle n’eût
fait qu’exécuter les dernières volontés de fon
mari. Le peuple romain , qui ne fut pas long tems
dupe de cette fupercherie , ne s’en vengea cependant
qu’en appelant les citoyens ainfi favorifés
par la veuve de fon maître, du nomr-de ckaroniu.
Ils ne poûvoient en effet alléguer d’autres motifs
de ces changemens fubits , que les tablettes du
mort, oubliées fans doute au paffage du Styx dans
ia barque de Char on.
Cette divinité n’étant pas d’origine égyptienne,
comme nous l’avons prouvé contre Diodore de
Sicile 3 il faut donc croire qu’elle a été créée
par les premiers Grecs. Ils en durent cependant
l’idée par analogie aux anciennes fables de l’Egypte.
Car Diodore ( Diod. Sicul. lib. i.) nous
apprend que les prêtres de cette contrée alfignoient
pour demeure aux âmes , après l’abandon des
corps, de valies régions firuées au-delà de i’Océan.
Cette tradition fe retrouve dans Orphée, Homère
& les anciens poètes grecs, qui font régner Piu-
ton lur des pays qui confinent avec l’Océan. Les
Ftrufques l’avoient confervée avec foin, comme
ii paroit par un vafe décrit dans Gori ( Muf.
Etrujc. tab. i j 8 ). Sur ce monument un Génie
conduit une ami aux enfers j il eft précédé par
Mercure & Hercule. Cette peinture eft entourée
de poiffons & de flots agités. On y reconnoït
l’opinion qui plaçoit les champs élyfées au-delà
de ja grande mer : c’étoit-là fans doute un des
dogmes que les Etrufques reçurent des colonies
égyptiennes ou des Pélafges. Ces derniers leur
communiquèrent à la fois & les divinités de
création égyptienne, &: celles qu’ils avoient imaginées
, entre lefquelles étoit Charon. ■-
Rien en effet de plus naturel d’après ces idées,
que de fuppofer une barque pour traverfer les
mers voifines du Tartare, & un batelier prépofé
à fa conduite. On ne pouvoir d’ailleurs le fuppofer
que très-vieux , fi l’on examinoit l’efpace
immenfe de tems depuis lequel il exerçoit fon
emploi, & très-farouche eu égard aux dignités,
aux richelfes de ceux qu’il devoit pafier, fans fe
laifler fléchir par d’auftî puüfantes confidérations5
enfin pauvrement vêtu afin d’être fidèle au cof-
rume des lieux qu’il habitoit. À peine eut-on
ébauché cette peinture , que l’imagination des
Grecs , avides du merveilleux, réalifa le fantôme
& redouta fon .approche. Enfuite la crainte qui
a fait les premiers dieux, félon Pétrone, divinifa
l’objet des terreurs de tout l’univers, & Charon
lut mis au rang des divinités infernales.
CHARONITÆ fenatores. Voyc£ ChARON.
CHARONIUM. V o y e i Ch a r o n .
CHAROPS, nom qu’on donnoit à Hercule
dans la Beotie, à caufe d’un temple qu’il avoit
dans le lieu par où il aborda" en emmenant
avec lui le chien des enfers. Ce nom veut
dire, aux yeux brillans j & il exprime la joie
qui étoit peinte fur le vifage du vainqueur de
Cerbère.
CHARRUE. Les anciens ont donné à la charrue
plufieurs inventeurs, Ofiris , Bacchus, fils de
Jupiter & de Proferpine, Triptolème, Buzigès
héros de l’Attique, Cérès , Minerve, Prométhée ,
Dagon , Abis. On peut conclure de cette multitude
d’inventeurs , qu'on ne connoiffoit pas le
véritable.
Les Grecs, & Héfiode en particulier ( Labor.
& Die/.),, connoiffoi.ent deux efpèces de charrues
, l’une fimple, uàreyvov, & l’autre compo-
fée, 7ry,KTi\>. La charrue fimple étoit un croc ou
pic , tels que les fauvagesjie quelque? contrées
les emploient encore 5 on voit cette charrue fur
des médailles de Syracufe. Cinq tombeaux étruf-
ques offrent le néros Echetliis combàttant â
Marathon avec la charrue Ample, Je croc (Paufan,
lib. 1. 1 y.). Héfiode recommande au laboureur
de chercher dans la forêt un arbre courbé, de
le couper & de le durcir .à la fumée dans fon
foyer. Virgile enfeigne au laboureur à donner
cette courbure aux jeunes arbres (.Géorgie, 1.169.)
dans la forêt même :
Continué in fylvis magna vi flexa domatur
Inburim , & curvi formam accipit ulmus ara tri,
On voit ordinairement la charrue fimple fur les
médailles de colonies, conduite par un homme,
dont la tête , recouverte en partie par la toge ,
annonce pour cet inftant le cara&ère religieux $
& traînée par un boeuf & par une vache, elle
retrace la cérémonie; d’ufage pour la fondation
des colonies & . des "villes romaines. Toutes les
circonftances de cette aétion étoient réglées par
les livres pontificaux j le jour en étoit fixé par
les augures & indiqué par les aufpiees. Pourrions-
nous douter après cela que le choix de la charrue
elle-même ne fût a-ufli déterminé par les rits des
augures. Le’ filençe des écrivains fur cet objet fem-
ble être réparé par la reffemblance confiante des
charrues que nous offrent les médailles des colonies.
C’ell toujours la charrue fimple avec un manche.
Peut-être les Romains vouloient-ils rappeler par
cette forme primitive de la charrue, la fimplicité
des premiers tems & la pureté des moeurs antiques.
Les dieux eux-mêmes n étoient pas dif^
penfés d’employer cette même forte de charrue,
lorfqu’on fuppofoit qu’ils préfidoient à la fondation
de quelque ville , & qu’ils en traçoient
î eux-mêmes l’enceinte.
Uné médaille de grand bronze dé Commode,
nous en fournit un exemple lingulier. On.y voit
au revers Hercule conduisant la charrue des colonies
& traçant les fondations de Rome , avec la
légende : Hercu/i Romano conditori.
La charrue compofée eft confervée dans l’Araire
des provinces méridionales de France. C’-eft, dit
Euftathe (not. 32. verf. xtu. lib. Odyjf.), celle dont
le fep n’eft pas taillé dans le même morceau de
bois. Héfiode l’a décrite foigneufement ( Labor. &
dies. 430. ) ainfi que Virgile ( Géorgie. 1. 169.).
Le fécond parle des oreilles, bina aures, que
l’on ajoute à plufieurs efpèces de charrues, &
des roues, currus imos , dont Pline attribue l’invention
aux Gaulois-Cifalpins. Des médaillés de
la famille Sçmpronia ont pour type une charrue
garnie de roues. Pline a parlé auflî du coûtre ,
qu’il diftingue du foc. De forte qu’il eft prouvé
que les anciens ont connu toutes les efpeces de
charrues , & même toutes les additions que les
modernes s’applaudiffent d’y avoir faites.
Les deftins des charrues anciennes que nous j
venons de citer, nous ont mis à portée de don- '
ner une explication fatisfaifante des feeptres que
portent Ofiris & les figures égyptiennes. Sa nouveauté
& fa vraifemblance'nous engagent à la
donner ici.
Trois différentes efpèces de feeptres font répétés
mille fois fur les monumens égyptiens , &
portés par des hommes & des dieux , que leurs
coëffures variées peuvent faire prendre pour
toutes les divinités de l’Egypte. Tantôt ils paroif-
fent fous la forme d’un bâton furmonté d’une
traverfe pofée obliquement ; tintôt la traverfe
eft réduite à fa moitié, & forme Un angle avec
la pointe du feeptre 5 tantôt enfin , & le plus
fouvent, cet angle du fommet eft termine en
bec pfoifeau', & accompagné d’un oeil , ce qui
lui donne de la reffemblance avec la tête de la
Huppe, Upupa.
Les voyageurs qui ont décrit ou defliné les
bas-reliefs des obélilques, & Kirçheren particulier
, ont toujours défigné le troifième fous le
nom de feeptre à tête de Huppe fjeeptrum,
x.^y.ÿÇo»‘<PitXav, baculus cucupkomorpkus.
On reconnoït dans le paffage du premier au
fécond, & enfuite au troifième, la marche que
fuit l’efprit humain, en cherchant toujours à orner
& embellir les chofes qui dans leur origine étoient
de l’ufage le plus commun. Les Egyptiens trouvant
dans la pointe fupérieure du fécond une
légère reffemblance avec le bouquet de plume
que porte l’oifeau appelé Huppe , & dans la
pointe inférieure une autre reffemblance avec fon
bec long & effilé , ajoutèrent un oeil & les
linéamens de l’ouverture du bec. Ce fut alors une
tête de Huppe complette. De même on vit les
Grecs & les Romains former en tête & en col de
Cygne les manches des patères & des flmpulum ,
dont le prolongement terminé par un empâtemeat
courbé , a dû néceffairement faire naître 1 ides
d’une tête de Cygne.
Si nous demandons à Kircher quel étoit l’objet
figuré par cet attribut qu’Ofiris tient fouvent fur
les obelifques, il nous répondra, dans un endroit
de fes ouvrages, qu’il eft la marque de la fou-
veraine puiffance fur les trois règnes, animal ,
minéral & végétal : Varietatls caufam rerum it
tribus inferioribus mundis , animali, vegetali
minerali ( OEdip. Ægypt. ni. 282. ) : & dans un
autre ( ibid. 277. ) , qu’il exprime la variété des
couleurs dü bouquet de plumes de la Huppe.
Tum regiam poteftatem , tum rerum vi c a loris tu
mundo produHarum varietatem t crifia XJpupi omni-
genâ colorum varietate imbutâ lipoyÀoCptKoeç préfigura
ta m. Qu’il eft difficile de fatisfaire le leéteur
judicieux avec des explications auffi vagues !
L’agriculture nous en fournira de plus naturelles.
Rappelons-nous que les Egyptiens en croyoient
Ofiris l’inventeur, & que Tibulle a chanté ( lib.
1. eleg. 7. ) cette tradition ancienne avec toutes
fes branches dans les vers fui vans :
Primus aratra manu folerti fecit Ofiris ,
Et teneram ferro follicitavit humum.
Primus inexpertA commijit femina terr& ,
Pomaque non notis legit ab arborions.
Hic docuit palis teneram adj-ungere vitem.
Hic viridem dura ceedere falce comam.
Bacchus & agricolA magno confecla labore
Péclora t'iftitié dijfoluenda dédit.
Sera-t-on étonné, après la Içéfcure de ces vers,
de voir dans les feeptres égyptiens l’attribut de
l’agriculture , la charrue- fimple , c’eft-à-dire , le
croc ou crochet avec lequel les premiers hommes
fillonnoient la terre ? Diodore y a reconnu
auflî une charrue, & ce ne peut être que la plus
fimple.
Cette même charrue , ou le bâton courbé dont
eft armé Echetlus fur les tombeaux etrufques,
eft placé auflî dans les mains d’Ofiris. On y voit
auffi le croc fait de deux pièces , & parfaitement
femblable à la charrue du tombeau publié par
Spon, fi l’on fait abftraftion du manche , qui
étoit le plus fouvent une partie ajoutée.
Cette explication paroît plus naturelle que
celle de Kircher. Le bâton recourbé , le lituus des
Egyptiens étoit, félon lui, le figne du pouvoir
abfolu des divinités fupérieures fur les inférieures
, & il défignoit en même-tems la fymmétrie
harmonique qui régit l’univers. Et per baculum
, quidem fupenus incurvum ( ibid. pag. 177.) abfo-
lutum numinum in inferiora influent’,um dominium ,
& fummam , quam per hune influxum rebus induce
bant, fymmetriam harmonicam indicabant. C’étoit
encore, félon lui, un thyrfe fait avec la plante