
de Bon a rini, on voit d’un côté Mercure , & de j
l'autre le vieillard vêtu d’une tunique, & debout |
dans fa barque , qu’il conduit avec une perche.
11 eft aflis fur une lampe de L ic e ti, couverte de
bas-reliefs qui repré fentent les funérailles & la %
defeente aux enfers. Charon mal vêtu y tient un
aviron , & reçoit des mains d’un Génie ailé 8c
de Mercure armé du caducée,.l’ame du mort pour
lequel la lampe avoit été fabriquée. Liceti a cru ,
voir les furies dans trois têtes hideufes placées
l’ une auprès de Charon , & les autres auprès du
cadavre. Mais à voir leurs cheveux hériffés fans
apparence de ferpens, on ne peut les méconnoï-
tre pour des pleqreufes gagées.
Lucien fait dire à Charon, que malgré fon grand
âge , il conduit encore lui-même fa barque-à
l ’aide de fes deux rames. On ne lui en donne
qu’une ordinairement. Sa barque étoit aüffi ancienne
que les fleuves fur lefquels elle vogiioit.
Des planches de liège en formoient l’affemblage.
Les uns nous l’ont repréfentée. comme une chaloupe
capable de recevoir un grand nombre
d’ames, trop petite cependant pour recevoir
toutes celles qui avoient le droit d’ y être admi-
fes} car Ovide dit de cette barque: turbs vix
fatls una ratis , ( Confol. ad Liviam. ). Un frêle
canot rempli par la Sybille , Enée & le nauton-
nier : voila la defeription qu’en donne Virgile.
Elle étoit peinte d’une couleur bleue ou grifâtre,
ainfique nous l’apprenons d’ une épigramme grecque
rapportée par Suidas ( Suidas vop6/xtç)f 8c de
Virgile qui l’appelle ccerulea puppis.
Avant d’arriver au rivage fur lequel erroient
les âmes, Charon étoit averti par le filençe ou
par les aboiemens de Cerbère, de la fageife ou
de l’impiété de ces malheureux fupplians. Stace
dit eh effet du redoutable chien (Sylv. J.) ; .
m . . . . Tacet ille piis ne tardior adft.
33 Navita , proturbetque vadis. Vehit ille me -
rentes
y> Proùftus 3 & mânes placidus locat hofpite
çymba.
Nous ne devons donc pas être étonnés de la
dureté avec laquelle il repouffe dans l’Enéide
certaines âmes , tandis qu’il en admet d’autres
avec coYnplaifance. Stàce le lave dans ces vers du
reproche ‘de prédilection & de perfonnalité.
Que devient après cela l’application que des
malins onr faite du paffage fuivant aux cenfeurs
royaux, & aux auteurs qui cherchent à hâter
par de vives follicitations l’examen de leurs
livres ?
3i Stabant orantes primi tranfmittere curfum :
n Tenàehantque manu s ripe, ulterioris $mor e ?
*» Navita fed trifiis nunc kos , mine- fmmovet
illos |
33 A fi alios longe fummotos arcet arena.
Quelque noble cependant que foit le motif
d’exclufion prêté à Charon par Stàce, il en eft
un autre plus connu- Apulée (■ //&. 6. Afin. Aur. )
dit que c’eft l’avarice 3 8c mille échos l’ont répété
après lui. Il affure que ce vice règne même dans
les régions inférieures , que Charon n’en eft pas
exempt j car i f n’admet perfonne dans fa barque
fans en avoir reçu le péage. On lit dans Ovide
( Confol. a et Liviam. ) ; Omnes cxpèÜüt avarus
portitor. Properce fe fert de l’exemple de Charon
pour , prouver ; qu’il eft un ;moyen de fléchir
les divinités les plus farouches• C Eleg. i i . : lilf,
4 - ) •', '
Vota moventfuperos. Ubi portitor &ra reeepit,
Obferat umbrofos lurida porta rogos.
Aüffi voyons-nous l’épithète d’avare accompagner
toujours le nocher du Styx.- Le tribut fur
lequel on a fondé ce reproche d'avarice, n’étoit
pas une fomme bien forte. Deux pièces de la
monnoie la plus vile 3 deux oboles acquittoient
ordinairement ce péage chez les Grecs. M. Pauc-
ton j dans fon traité de métrologie, évalue à près
I de fept de nos fols les deux oboles attiques. « Hélas,
» dit-on dans Ariftophane (Ranet ) 3 combien de
3-, puiffance & de force ont deux oboles ! »
Le comique s’égaie enfuite en parlant de cette
fomme ,■ qui chez les ombres fatisfaifoit l’avarice
du péage , & dans Athènes, la cupidité ' des
juge s, dont elle formoit les épices à chaque
audience.
La vanité des perfonnes opulentes ou d’une
naiffance diftinguée,. repouffe tout ce qui peut
les confondre avec le peuple, même au-delà du
trépas. Ç’eft pourquoi les Athéniens avoient taxé
leurs rois à trois, oboles, qu’ils faifoient enfe-
velir avec leurs cadavres. Lès dieux au contraire
voulant fans doute donner aux mortels l’exemple
de la modération & de l’économie, s’étoient
fournis à la taxe du peuple lorfqu’il leur étoit
arrivé de traverfer l’ onde noire. Dans les grenouilles
d’Ariftophane, Bacchus demande à Hercule
comment il doit faire pour entrer dans la
barque. Le héros lui répond qu’à l’inftant où il
aura payé deux oboles, le vieillard n’héfitera
pas à le recevoir. Lorfqu’il approche du rivage,
le choeur l’engage à payer le tribut ; car les
anciens poètes dramatiques tranfportoient -les
choeurs à leur gré & contre toutes vraifemblance
dans les*régions les plus éloignées,.& les moins
faites pour être le féjour des mortels. Bacchus
dit modeftement à Charon : prenez ces. deux
oboles } celui-ci l'admet fur le champ. Nous
yoyons dans Suidas qu’ i y avoit. des mots formes
' * gxpre*
exprès pour exprimer à dernier péage , A*»■ <#**ƒ 8c |
% C tpi6C téoVT0t.
Plus heureux que les autres Grecs, 8c que les
habiraiis de l’Olympe eux-mêmes , les citoyens
d’Egiale étoienfc exempts du tribut dû à Charon,
& paffoïent le Styx fans bayer d’oboles ( Suidas
Troptoi. ). Caliimaque allure qu’ ils dévoient cette
prérogative honorable à Cérès. Cette déeffe éplorée
arriva fur leur territoire après'avoir parcouru
l ’univers entier à la pourfuite du ravifleur de fa
fille. Lés habitans d’Egiale foulagèréfit fa peine
en lui apprenant le nom du gendre que Jupiter
& les Deftins lui avoient donné. Ils lui montrèrent
près de leur ville la routé par laquelle il étoit
rentré avec fa proie dans les fotnbres demeures.
Cérès les paya de cette bonne nouvelle en accordant
à leurs ombres une franchife abfolue.
Les Hermoniens s’étoient approprié la même j
difpenfe, &r en ufoient journellement. Le chemin
qui conduifoît de leur pays aux enfers étoit fi
cou r t, qu’ils ne fe croyoient point obligés de
payer quelque chofe. pour le voyagé. Ils regar-
doient fans doute le voifinage de Charon 3 comme
un droit à fa générofité & à fa bienveillance
Tous les écrivains de l’antiquité font d’accord
fur la nature du tribut qu’il exigeoit, en accordant
le paffage dés redoutables fleuves > mais ils
ne le font pas fur la manière dont il le pércévoit.
On croit ' qu’ordinairement chaque mort lui
préfentoit fes deux oboles, 8c qu’il lés recévoit
de fa main. Sur une lampe de Bellori, on le voit
debout tenant une rame , & recevant le naulum
ou péage que lui donne une ame préfentée par
Mercure armé du caducée. Bartoli nous a con-
fervé le deffm d’un beau .monument fëpulcral,
fur lequel Charon tend la main gauche pour recevoir
le naulum , préfenté par deux âmes qui font
près d’entrer dans fa barque. Cependant Juvénal
peint l’avare batelier prenant dans la bouche
des morts la pièce de monnoie que leurs héritiers
avoient foin d’y placer pour cette deftina-
tion. Il dit d’un pauvre :
. . . . Nec habet quem porrigat ore trientem.
Cette pratique religieufe étoit aüffi en tifâge
chez les Egyptiens , fi l’on en croit Diodore,de
Sicile. Mais il paroît par fa narration, que nous
avons examinée plus haut, que cét ancien peuple,
plus économe que les Grecs, ne payôit qu’une
feule obole. Le comte de Caylüs a donné dans
fon recueil le deffifl d’une pièce d’ot travaillée
comme une feuille légère 3 8c trouvée dans le
corps d’une momie. Plufieurs voyageurs affurent
qu'ils ont fait la même qbfervation. Je ne parlerai
pas des momies nouvellement déterrées ,
fous la langue defquelles les Arabes gliffent de
petites feuilles d’or afin de tromper lés Francs.
Il faut croire d’après ces témoignages , que les
pièces côtifervées; jùfqu’à rlos jours ont échappé
aux recherches du prétendu Charon égyptien, Sc l
Antiquités , Tome I.
que ces cadavres ont joui du même privilège
que les Hermoniens. Mais d s’ offre ici une réflexion
plus naturelle 8c très-importante c’eft
que le récit de Diodore eft une pure fable.
Hérodote en effet décrivant dans îc plus grand
détail les embaumemens , ne dit pas un mot qui
foit relatif à la pièce d’or du péage. L ’on trouve
d’ailleurs dans le corps des momies des ob;ets
qui ont encore moins de rapport avec la defeente
aux enfers , tels que de petites Ifis d’une porcelaine
groffiêre, des Scarabées de jade , 8c des
Sphynxs de différente compofition.
Urt moyen àuffi fûr dé fléchir Charon , étoit,
félon Virgile , de lui montrer le rameau d’o r ,
fi célèbre dans les anciennes fables ; car ce métal
paroît avoir toujours eu pour lui un grand attrait.
Ce fut à fa vue qu Enée 8c la Sybille durent leur
entrée aux enfers. Le batelier les affûta d’abord
qu’ils n’avoient à attendre de lui aucune coiii-
plàifancé.
« N e c v e r o A l c id e m m e f u m l& td tu s eu n ten t
n A c c e p i j f e la c u , iïeC T h e f e à P ir ith û u fn q U è ,
»» D i i s q u .am v is è è r i i l i .
Ce. fatal foUvénir l'affiigéôit fenfiblement. Il ne
poüvôit eft effet fé rappeler la condefcendance
dont il avoir üfé envers Hercule, qui al loin
chercher Alcefté, fans penfer à la captivité d’une
année .entière à laquelle Pluton le condamna pour
î’en punir. Serviüs, qui nous a confervé, d’après
Orphée, la mémoire de cette rigoureufe punition
, ajoute cependant que Charon avoit été
forcé par ces héros à ies admettre dans fa barque
fans aucune rétiibütion. On voit Pluton conduifant
le batelier infernal dans fa prifon ( Muf. Etrufc.
tab. i j S.) , fur une urne cinéraire rapportée par
Gôïi. '
Quoique nous ne çonnoiflîons aucune fête
inftituée ,■ aucun temple élevé à l’honneur de
Charon, il eft cependant certain queijes Grecs
8c les Romains le .plaçoient au rang des divinités
infernalés. Nous l’apprenons d’une épitaphe :
« jj, m. ( Gruteri, p. 794. n°. r. ) PoïCTiTORi.
» PLUTO'NI. ET PROSERPINE. 1ÎÀVE. JÜLIA......
» IN. DÉORÜM. NUMERVM. REÔEPTA. ” Virgile
le n animé 'éxpréffé nient dieu , crudd^deo viridis-
qüé feâé&iis. On lui en âttribüoit le pouvoir. îi
appeloit IeS âmes que la mort alloit féparer de
leurs corps. O ri dit daris Ariftophane à une vieille
femme qui à déjà un pied dans la foffe ( Lyfif-
trata, v. 60f . } : ce Que defirez-vous ? De' quoi
VOtis occupez-vous encore? Charon vous appelle.
Aüffi dans les .Grenouilles du même poète le
falue-t-on comme les dieux (v . 186.) par le
nombre facré trois : « Charon, je vous faluc trois
33 fois. . . . . *>. Ce font affurément des droits
bien prouvés a'u neétar 8c à l’ambrofie.
Son ncrm a donné' lieu à un jeu de mots que
B b b b b