
A P I
Il y a voit en effet des marques diftinétives pour
le reconnoître. Sa naiffance ne devoit point être
naturelle & ordinaire. La geniffe qui le portoit,
I avoit conçu, difoit-on , d’un coup de tonnerre.
On le reconnoiffoit, félon Lucien , à fa beauté
& a fa force. D'ailleurs , ce boeuf étoit noir,
excepté une marque blanche carrée fur le front.
U devoit porter fur le dos la figure d'un aigle,
un noeud fous la langue en forme d’efcarbot, &
un croiffant blanc fur le côté droit. Ce blanc,
ce noir & le croiffant étoient relatifs à la fois
au foleil & a la lune. On doit leur rapporter encore
le caraétere particulier que dévoient avoir les
poils de fa queue > ils etoient 3 c ’eft-à-dire ,
doubles, ou de deux couleurs, ou de deux efpèces
de poils. Nous parlerons plus bas de la tache
carree qu’il avoit au front.
Comme il eft difficile de croire que ces marques
le trouvaffent naturellement toutes les fois qu'on
avoit befoin d un nouvel A p i s , il n'eft pas dou-
teu*» félon Diderot, que les prêtres ne les imprimaient
a quelques jeunes veaux qu'ils nourrif-
foient fecrètement.
Lorfqu'ils jugeoient à propos de faire paroître
«n nouvel A p is 3 on lui bâtiffoit une petite maifon
tournée vers l'orient, comme Elien dit que l’avoit
ordonne Mercure. On l'y nourriffoit de lait pendant
quatre mois. Cet efpace de tems étant écoulé,
& une nouvelle lune éclairant l'h o r ifo n le s prêtres
de toutes les claffes fe rendoient auprès de la
nouvelle divinité, la faluoient avec les cérémonies
prefcrires, & la plaçoient fur une barque dans
une niche dorée, pour être conduite à Memphis,
accompagnée de cent prêtres. Mais avant d'y arri- j
v e r , A pis étoit mené à Nilopolis, ville du N il,
ou les pretres le nourriffoient foigneufement pendant
quarante jours. Les femmes feules pouvoient
I approcher dans cette ville, mais en découvrant
les parties du corps que la pudeur oblige de cacher,
& jamais elles ne pouvoient obtenir Cette
faveur, après qu'il avoit quitté Nilopolis.
- L^roême cortège de prêtres accompagnoit^p/V
jufqu a Memphis, où on lui avoit préparé deux
etables très-ornées & très-commodes. Sa divinité
datoit de fon entrée dans cette nouvelle demeure.
Les deux étables fervoient au peuple à prendre les
augures. Lentrée à’A pis dans l'une étoit un auguré
favorable ; le contraire étoit annoncé par fon entrée
dans l’autre. On pouvoit l’y contempler par
une fenêtre, & mieux encore dans un petit pré
qui étoit placé devant fes étables. Elien dit que
ce boeuf avoit auprès de fes loges des édifices
très-grands & très-vaftes, dans lefquels on tenoit
des géniffes deftinées à fatisfaire les defirs d‘Apis.
Mais c’eft une fable grecque ; car Pline, Solin
& Ammien difent expreffément qu’un feul jour
dans l’année on lui préfentoit une geniffe choifie
d'apres certaines marques , & qu'on la tuoit dans
le même jou r , apres que le boeuf A p is l’avoit i
faillie.
A P I
Son entrée dans l’une ou l'autre de fes loges
n’étoit pas la feule manière dont il rendoit fes
oracles.^ 11 en avoit une autre très-célèbre dans
l'antiquité j c'étoit par des lignes, comme Jupiter-
Ammon, & comme l'oracle de Delphes lui-même.
Selon Héraclite, cité par Stobée, il manifeftoit
fa volonté par l'empreffement avec lequel il fai-
fiffoit la nourriture qui lui étoit offerte. Ammien
obferve qu'il refufa d'en prendre de la main de
Germanicus, & que cet infortunée victime de la
jaloufie deTibère, fut empoifonnée bientôt après.
Le célèbre aftronome Eudoxe fournit encore au
boeuf facré un autre moyen de prédire l'avenir.
S'en étant approché, Apis lécha fon manteau $ &
les prêtres en conclurent que cet homme feroit
fameux par fa fcience, mais que fa vie feroit de
courte durée.
Les enfans qui entouroient le boeu f facré dans
les cérémonies publiques en danfant & en chantant,
lui fervoient auffi à rendre des oracles. On
prenoit pour des réponfes les paroles fans fuite
qu'ils proféroient , & des vers détachés des hymnes
qu'ils chantoient en l’honneur de leur divinité. La
dernière, manière de recevoir fes oracles étoit,
félon Paufanias, ( Ackaic. ) d'approcher l’oreille
de la gueule du dieu, de fe boucher enfuite les
oreilles, jufqu’à la fortie du temple, & de prendre
pour la réponfe à"Apis les premièrés paroles que
l’on entendoit fur la place.
Le culte qu’on renaoit au boeu f A pis étoit t-rès-
folemnef. On lui offroit des faerifices en grande
pompeÿ & , ce quiparoîtra étrange, des boeufs
choiiis avec foin en étoient les vi&imes. Mais
Plutarque dît (vit. Cleom.y qu’à la vérité le dieu-
boeuf dédaignoit les honneurs dont fes prêtres
l’accabloienu 11 y avoit dans toute l’Egypte des
fêtes confacrées en fon honneur, & particulièrement
en l'honneur de fa naiffance > ces dernières
étoient appelées Qiofpûvtu > apparition du dieu, &
duroient fept jours. Tous.les ans on les commen-
ç o i t i Memphis par la cérémonie de jeter dans un
certain endroit du IN il appelé Coupe, un vafe d’or
& d’argent. On affuroit que pendant les fept jours
les crocodiles ne nuifoient à perfonne, mais que
le huitième ils reprenoient leur férocité.
La fuperftition égyptienne avoit fixé une limite
précife a la vie d‘Apis ; & lorfque fes forces
vitales auraient pu la lüi faire franchir, les prêtres
le noyoient dans Je Nil. Vingt-cinq ans renfer-
moienr cette vie divine. Cette période étoit relative
à un cycle particulier aux prêtres égyptiens j
qui ramenoit le foleil & la lune, auxquels A p is
-étoit cenfâcré, à des termes femblables & égaux.
Les prêtres cachoient avec- foin au vulgaire le
puits qui fervoît à noyer le boeuf facré : & fon
emplacement, ignoré de tous, étoit compté au
nombre des chofes introuvables & des énigmes
înfolubles. C’eft pourquoi Stace prie Ifis de vouloir
bien l’enfeigner elle-même à Metius Celer*
(Sylvr i i . z . ) :
A P I
Quos dignetur agros, aut quo fe gurgite N i i ï
Mergat adoratus trepidis paftoribus Apis.
Ces vers nous apprennent encore que l’on^faifoit
croire au vulgaire que le dieu mettoit lui-meme un
terme à fa vie en fe précipitant dans les ondes.
Le fecret fur cet objet étoit rigoureufement ob-
fervéj & , félon Arnobe, une punition très-grave
étoit deftinée à celui qui l’auroit révélé. ^
Saumaife ( in Solin. ) pîaçoit ce puits entre
Sy ène & Eléphantîs, fur les frontières de 1 Egypte
& de l’Ethiopie : comme fi les prêtres euffent entrepris
un .v o y a g e 'au ffi long & auffi périlleux que
celui de remonter le N il, pour un fi mince o b je t !
Il n’y a d’ailleurs pas d’apparence que les pretres
des divinités adorées dans les autres nomes, les
euffent laiffés traverfer paifiblement leur territoire.
Ce puits ne doit pas être cherche' ailleurs que
dans les ruines de Memphis, ou parmi ceux dont
la plaine de Sacara eft remplie. Paul Lucas trouva
dans ces ruines, en 1714 j des catacombes dorees
& peintes avec les couleurs les plus vives. C eft-la
qu’il vit un boeuf embaumé avec foin & avec les
parfums les plus recherchés. Il eft probable que
les prêtres avoient ohoifî ces fouterreins profonds,
ôr dont l’entrée n’ étoit connue que d’eux feuîs,
pour y placer les cadavres des A p i s , tandis que
le peuple les croyoit plongés dans le Nil.
Cette conjecture de Jablonski, qui nous fert de
guide dans cet article , paroît contredite par des
témoignages précis de Paufanias & de Clement
d’Alexandrie. Le premier dit (in Atticis) qu i l y
avoit à Memphis un temple de Sérapis tres-ancien ,
dont l'entrée n'étoit permife à perfonne , pas
même aux prêtres, qu'à l’enterrement A!Apis. Le
même auteur parle fouvent des cérémonies que
l'on obfervoit a ces funérailles, ainfi que Diodore
de Sicile. Ils font mention tous les deux d un
temple d'Hécate ténébreufe, de portes d'airain,
appelées Léthé & Cocyte, d’un Mercure qui portoit
le cadavre à'Apis jufqu’à un certain endroit,
où il étoit remis à un homme déguifé en Cerbère,
& c . L'imagination féconde des Grecs n a '
•pas. tari fur ce fujet. Cette contradiction apparente
s’explique facilement, çn diftinguant les Apis que
l'on faifoit difparoître fans pompe & fans funérailles
lorfqu’ils avoient atteint l’ âge de vingt-
cinq ans, des Apis qu'une mort prématurée en-
levoit avant ce terme, & que l’on enfeveliffoit
avec toute1 la pompe & toutes les marques de douleur
poflibles.
Toute l’ Egypte étoit plongée à cette époque
dans la trifteffe & le chagrin. Les bords du Nil
retentiffoient de. chants lugubres & de cris plaintifs.
Tibulle l'attefte, (1 . Eleg. 8 .) :
Te canit y a,tque fuiim pubes miratur Ofirin .
Barbara, Aîemp/iiten plongere dolla bovent.
Lucien dit que tous les Egyptiens coupoient leurs
cheveux. Ce deuil & cette affiiCtion duroient
A P I * 2 7
jufqu'â ce que l'on eût trouvé un autre Apis .
Darius, fils d’Hyftape , étant à Memphis, &
voyant toute la ville dans la confternation, promit
cent talens d'or à celui qui découvriroit un
g nouvel Apis . (Poly&nus firat. 7 ) . ^ ^
Lorfque les prêtres ju g e o ie n t qu'il y avoit allez,
de tems écou lé, ils montroient ce taureau fi
ardemment déliré, & portant toutes les ma rq u es
de la divinité. Spartien nous dit que fous le régné
d'Hadrien, il y eut une Jedition en Egypte au fujet
d’un nouvel A p i s , qui n'avoit paru qu apres un
grand nombre d'années, poft multos annoir. Ce
long intervalle de tems étoit'fixé par les pretres,
puifque c’ étoienteuxqui examinoient & jugeoient
la validité des caraCIères du nouvel Apis. O r , ils
laiffèrent écouler quelquefois plufieurs années
entre la mort imprévue d’un A p i s , & l’apparition
de fon fucceffeur ; on doit croire que ce retard
dépendoit de leur fyftême religieux. J a b lo n sk i
fuppofe, avec affez de fondement , quils atten-
doiènt, dans ce cas, que vingt-cinq ans entiers
fe fuffent écoulés depuis l’apparition de Y A p is
mort, jufqu’à celle au taureau qu’ils lui fubfti-
tuoient, afin de conferver la période des A pis
toujours égale.
Ce doéte allemand a employé huit pages entières
de fon Panthéon Ægyptiorum, à prouver que
le boeuf A pis h’étoit pas un fymbole commémoratif
du patriarche Jofeph. Nous employerons
notre tems à des recherches plus utiles. Nous
allons montrer que ce boeu f facré étoit un fymbole,
comme tous les objets facrés de la Mythologie
égyptienne, & qu’ il étoit celui du Nil. Tout '
ce que nous avons d it de lui ju fq u i c i , annonce
affez qu’il étoit l’emblème de la fertilité que ce
grand fleuve apportoit aux terres de l’Egypte.
L ’efpèce de l’animal que l’on avoit choifi pour
cela, L’indiquoit affez. Toute l’antiquité femble
s’être accordée à repréfenter les fleuves fous la
forme de taureaux ou de boeufs. Voye^ Fleuves.
Plutarque dit expreffément (de I f de) que le boeuf
étoit en Egypte le fymbole delà terre. Les peuples
de l’Inde rendent un culte à la Vache, à
caufe de cette allufion convenue.
D’ailleurs, les prêtres n’enfeignoient-ils pas *
en propres termes, q iiA p is étoit conçu lorfque
la lune envoyoit une émanation productrice, &
_ que cette émanation étoit reçue par une vache
qui defîroit les approches du taureau. Tous ces
phénomènes myftiques étoient relatifs aux phénomènes
géorgiques de l’Egypte > car on voyoit
que le Nil croiffoit depuis la nouvelle lune du
printems jufqu’ à celle du folftice d’été. BSs 'opyueru,
Ta vache qui defiroit les approches du taureau,
étoit, dans le langage facré, la terre de l’Egypte
qui attendoit le débordement du Nil. Elien (1 1 .10 )
dit aulfi qu’une des taches du boeuf facré défîgnoit
Paccroiffement du fleuve j & dans le meme endroit
, il affure qu ’A pis procuroit l’abondance des
fruits & la fertilité de toute l’année. Enfin, ce
1 F f ij