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les fantés dans de larges coupes, fans obferver
aucun ordre > & les Lacédémoniens buvoient
iimplement le vin qui étoit toujours verfé dans
les memes coupes ». Les Romains, en adoptant
le luxe des Grecs, prirent d’eux l’ufagè des petits
& des grands vafes. Cicéron nous l’apprend {Verr.
I. 26.) : Mature veniunt, difcumbitur , fit fermo
inter eos 3 6* invita cio , ut Gr&co more biberetur,
kortatur kofpes 3 pofcunt majoribus poculis.
Les anciens, dans les grands repas, portoient
des fantés à tous les coups qu’ils buvoient. On
voit en effet-qu’ils faluoient d’abord les dieux,
enfuite leurs amis préfens, leurs maîtreffes, leurs
amis abfcns, & même chez les Romains les empereurs.
Lorfqu’ils buvoient à leurs maîtreffes ou à
leurs amis abfens, ils verfoient un peu de vin
en forme de libation, pour leur rendre les dieux
favorables, & enfuite ils les nommoient. Théo-
crite peint cet ufage dans fon Idylle 1 4 , vers 18.
Horace (r. od. 27. 9.) :
' Vultis feveri me quoqite fumere
Fartem Falerni ? Dicat Opuntia,
Frater Megilla, quo beatus
Vulnere , quâ pereat fagittâ.
Et Tibulle (r i. 1. 31.) :
Sed bene Mejfalam fua quifque ad pocula dicat,
Nomen & abfentis fingula verba fonent,.
Plufîeurs anciens mettoient leur gloire à boire
plus de vin que tous les autres convives. Alexandre
lui-même, fi Ton en croit Athénée {lib. 10. c. 9.),
eut cette ridicule ambition, de il en fut la victime.
«C e roi ayant pris une coupe qui tenoit
deux conges (près de huit pintes de France),
porta une fanté à Protée, le plus grand buveur
des Macédoniens. Celui-ci l’accepta, fit du roi
un grand éloge, auquel applaudirent tous les convives,
8c vuida la coupe. Il la redemanda enfuite,
& la but une fecondç fois en portant une nouvelle
fanté à Alexandre, qui rendit cette fanté &
but la coupe de Protée. Mais ne pouvant fou-
tenir cette énorme quantité de vin, il fe pencha
fur fon couffin , lailfa tomber la coupe, & fentit
les premiers fymptomes delà maladie qui le précipita
dans le tombeau ».
Le vainqueur des Perfes encourageoit ces excès.
Il propofa des prix fur le tombeau de Calanus
pour les combats gymniques, pour ceux des mu-
ficiens, & enfin pour les plus forts buveurs. Le
premier de ceux-ci devoir gagner un talent, le
fécond trente mines, & le troifième dix. Trente-
cinq d’entr’eux moururent fur-le-champ, fix autres
expirèrent quelques heures après ; & la viétoire
refia à Promachus , qui avoit bu quatre conges, '
près de feize pintes ». Denys-le-Tyran propofa un
fçiïibiabië défi dans un feftin, avec une couronne
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d’or pour le vainqueur 5 le philofophe Xénocrate
la gagna.
Les convives témoignoient par des applaudiffe-
mens réitérés, leur admiration pour celui d’entr’eux
qui buvoit le plus 5 fur-tout lorfqu’il ne
reprenoit point fon haleine 5 ce que les Grecs
exprimoient par le mot , fans interruption.
Mais ils renvoyoient impitoyablement ceux qui
ne pouvoient boire la quantité de vin preferite par
le. roi du feftin , arbiter bibendi , & à Athènes,
o'hÔtttk , en leurdifant, H «r/â»., « «vibi, quil
boiv.e , ou qu’i l forte.
Tibère choifît pour quefteur un homme nouveau
& inconnu, qu’il préféra à des candidats de
la plus haute nobleffe, parce que cet homme
avoit bu une fanté qu’il lui avoit portée, de la
valeur d'une amphore, c’eft-à-dire, environ trente
une pintes. {Suétone).
Les plus fages des Romains fe livroient habituellement
aux plus grands excès d’ivrognerie.
Plutarque-, & plufîeurs autres écrivains dignes de
f o i , racontent que Caton d’Utique s’ènivroit
toutes les nuits. Horace le dit expreffément ( 3,
od. z i . ) :
Narratur & prifei Catonis. ,
. Sape mer o incaluijfe virtus.
Sénèque, ce grave ftoïcien, difoit que l’on peut
boire quelquefois jufqu’à perdre la raifon, pour
foülager Tes peines.
Ces excès trouvèrent cependant-des cenfeurs
dans l’antiquité ; &des législateurs les proferivirent
avec févérité. Les gens fobres & retenus ne bu-
voient que trois fois, comme le dit Eubulus dans
Athénée {lib. i l , ineunte) y la première pour la
fanté, la fécondé en l’honneur de l’amour & de
la volupté, & la troifième en l’honneur du fom*
meil. Ils fe retiroient enfuite, & laiffoient boire
une quatrième-& plufîeurs autres fois, ceux qui
vouloient fe permettre des excès. C ’eft ainfî que
Panyafîs buvoit aufïi crois coups feulement 5 le
premier en l’honneur des Grâces, des Saifons &
de Bacchus ; le fécond en l’honneur de Vénus &
& de Bacchus, le troifième enfin en l’honneur de
la pétulance & de l’infulte. Les Lacédémoniens
avoient en horreur ces mêmes excès 5 ils ne bu-
voïent point à la fanté les uns des autres ; &
leur légifiateur, le févère Lycurgue, ne permet-
toit de boire que pour étancher la foif. Solon
•les avoit regardés du même oe il, & l’on voit
dans fa vie écrite par Laèrce, qu’il vouloit qu’un
archonte pris devin fût puni de mort, & que l ’on
chafîat de l’aréopage ceux qui étoient fujets à cet
excès. Pittacus , tyran de Mytilène, craignant
que l’abondance des vins de Lesbos ne rendît fes
fujets enclins à l’ivrognerie, fit une loi qui con-
damnoit à Une double peine celui qui fe feroit
rendu- coupable de quelque crime étant pris de
vin. •
Le
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Le nombre de trois cyathes i t f pinte, ou
trois de nos petits verres à liqueur ) , auquel
s’étoient réduits par retenue les gens fobres dont
nous venons de parler, fuffifoit rarement aux
débauchés. Ils s’y bornoient quelquefois en l’honneur
des Grâces j mais pour l’ordinaire, ils le
multiplioient par trois en l’honneur des neuf
n i H H B témHniwncr a i ____ r •_____ Rr
< . . , . . Tribus, aut novem
Mifcentur cyathis pocula commodis ;
•Qui Mufas amat impares ,
Ternos ter cyathos attonitus pet et
Vates : tres próhibet fupra
Rixarüm metuens tangen Gratia,
Nudis juncta fororibus.
Et Aufone {Idyll. xi. i .) :
Ter bibe 3 vel toties ternos ; ftc myfiica lex efi,
Vel tria potanti, vel ter tria multiplicanti,
Imparibus novies ternis contexere cubum.
De-là vînt le proverbe latin : Aut ter bibendum,
aut novies.
Les anciens buvoient autant de cyathes (■ *£ de
pinte ) qu’ils fouhaitoient d’années à celui dont
ils portoient la fanté 5 fur quoi Ovide dit plai-
famment que les grands buveurs fouhaitoient
fouvent à leurs amis les nombreufes années du
vieux Neftor & des Sybilles (Faft. n i . f j i . ) :
Sole tainen3 vinoque calent, annofque precantur,
Quot fumunt cyathos 3 ad numerumque bibunt.
Invenies illic qui Nefioris ebibat annos,
Qua fit per calices fa fia Sibylla tuos.
Nous voyons dans Plaute (Stick, v. 4. 24^ un
buveur qui avale autant de cyathes qu’il a de
doigts à la main :
Vide, quot cyathos bibimus. S T. tôt 9 quot digiti
funt tibi in manu.
Çantio eft Gr&ca, « wém ven > « rfis vit, S fib
TtTTUfU.
Leur ufage le plus ordinaire étoit de boire autant
de cyathes qu’il y avoit de lettres dans le nom de
leurs maîtreftes ou de leurs amis. Mart. (1 . 72 .1 ) :
Navia fex cyqthis , feptem Juftina bibatur3
Quinque Lycea , Lyde quatuor, Ida tribus.
Omnis ab infufo numeretur arnica falerno.
Le même poète enchérit fur l’ufage ordinaire ;
Antiquités y Tome 1 •
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car il ajoute aux cyathes qu’ il veut faire boire en
l’honneur de Domitien, autant de rofes 8c de
baifers {rx. 9J. 3.) :
Nunc mihi die , qui s e.rit} cui te, Calatijfe, deorum
Sex jubeo cyathos furtdere ? Cafar erit. ( Cafar)
Sutilis aptetur decies rofa crinibus , ut fit
Quipofuit facra nobile gentis opus. {Domitianus)
Nunc bis quina mihi da fuavia , fiat ut illud
ViSlor ab Odryfioquoddeus orbe tulit. [D aima tic us)
Les anciens croyoient que les ombres des défunts
fe repaiffoient des mets qu’ ils depofoient
•für leurs tombeaux & des libations dont ils le*
arrofoient. Une urne ronde de la villa Mattel
nous apprend, par fon infeription, qu’ils eteu-
doient encore cette idée confolante, & qu ils
croyoient les mânes capables de boire a la fanté
des amis qu’ ils avoient laiffés fur la terre. On lit
fur cette urne : hâve, argenti. tu. nobis.
BIBTâS.
BOIS, matière employée par les anciens ar-
tiftes.
L ’hiftoire de l’Art de Winkelmann nous fournit
cçt article:
« L ’on fabriquoit des ftatues de bois avant
qu’on en f ît de pierre & de marbre. U en fut de
même des bâtimens dés anciens Grecs, & Ppîybc
nous apprend que les palais des rois de Medie
étoient de bois. En Egypte, on trouve encore
aujourd’hui d’anciennes figures égyptiennes, faites
de bois de fycomore > & en Europe, plufîeurs
'cabinets offrent aux curieux de ces fortes d’antiques.
Paufanias rapporte les noms des différens
bois, dans lefquels les anciens artirtes tailloient
leurs figures. Le figuier fut préféré, félon Pline,
aux autres efpèces de bois, à caufe de fa mol-
leffe. Au fiècle de Paufanias, on voyoit encore
des ftatues de bois dans les lieux les plus renommés
de la Grèce. Telles étoient entr’autres les
figures’qui fe trouvoient à Mégalopolis en Arcadie
} une Junon, un Apollon & les Mufes j de
plus, une Vénus & un Mercure de la main de
Damophon, un des plus anciens artiftes. L’on
fait même que la ftatue de l’Apollon de Delphe ,
envoyée en préfent par les Cretois, étoit de bois ,
& taillée dans un feul > tronc d’ arbre. Dans le
nombre de ces ftatues, il faut remarquer à Thè-
bes, Hilaire & Phoebé, femmes de Caftor & de.
Pollux, avec les chevaux de ces deux frères en
ébène & en ivoire, de la main de Dipoène &
dé Scyllis, difciples de Dédale : à Tégée en Arcadie
, une Diane d’ébène des premiers tems de
l’art : à Salamine une ftatue d’Ajax du même
bois. Paufanias croit qu’il y avoit déjà des ftatue»
de bois nommées Dédales avant lé tems de l’ar-
tifte de ce nom ».
« A Sais & à Thèbes-en Egypte, il y avoit
aufli des ftatues coloffales fçulptées en bois. Nous
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