»o La manière la plus commune d’abréger Té- .
criture chez les anciens , eft celle ou l ’on
conferve une partie des lettres qui expriment les
mots , en même - tems qu’on fubftitue certains
fignes à celles qu’on fupprime. Ces abréviations.,
qui viennent des lîgles 3 furent d’abord confacrées
aux noms propres 3 à certains mots & à certaines
phrafes. Elles reçurent différentes formes,
& fe multiplièrent furtout dans les écritures du
moyen & du bas - âge. Si l’on ne fe fait une
habitude de les déchiffrer , il eft très-difficile de
les entendre & de lire les mff. & les diplômes.
En faveur de ceux qui s’appliquent à l’ étude de
ces monumens, plufieurs antiquaires ont formé
des recueils d’abréviations latines, rangées par
ordre alphabétique, & fuivies de leur explication,
Celles que Baringius publia à Hanovre en
*737* dans fon livre intitulé : Clavis diplomatica ,
xemplilfent dix-huit pages in-40. à trois colonnes.
Les caractères en font gothiques, & ne remontent
pas plus haut que le treiziéme fiécle. L ’abbé
Godefroi de Beffel ( Chronic. Godwic. p. 51 ) a
donné dans une demie page in-folio , les abréviations
les plus ordinaires des manuferits du onzième
fiécle. Celles des chartçs d’Ecoffe occupent 40 pag.
jn-folio dans le- tréfor ckoifi des Diplômes & des
Médailles 3 publié par M. Anderfon. Ce beau, recueil
d’abréviations, repréfentées fuivant l’ordre
alphabétique, ne commence qu’à la fin du onzième
fiéçlç. Mais on n’a riçn de plus -étendu ni de
plus parfait en ce genre, que le Lexicon diplomatique
de M. Walter, où font renfermées 22y
planches d’abréviations expliquées. Le favant dip
lom atie a marqué le fiécle où chacune d’elles
étoit en ufage , en commençant au huitième, &
finiffant au feiziéme. Notre littérature Françoife
manque encore d’un pareil ouvrage, dont la né-
çeffité fe fait fentir vivement à ceux qui veulent
déchiffrer les anciennes écritures, &: travailler
dans les archives. «
» Au moyen d’un di&ionnaire d’abréviations,
fait fur les mff. & les chartes de France , on fur-
monteroit fans peine bien des difficultés , & l’on
éviteroit de prendre un mot pour un autre,
méprife qui change fouvent le fens d’une phrafe.
Combien d’erreurs n’a pas produites la*temérité
des copiftes anciens & modernes , lorfqu ils ont
voulu rendre des abréviations qu’ils 11’entendoient
pas ? L’ancien Martyrologe de S. Jerô'me en fournit
un exemple frappant. Au 16 février, on y
marque onze martyrs compagnons de S. Pamphile,
recommandable par fon amour pour l’écriture
iainte , dont il diftrjbuoit des copies à tous les
fidèles. A la fuite de ces mots : Juliani cum
Ægyptiis V , il y a en abrégé mil3 qui fignifie
militibus. Les copiftes, après le mot Juliani3 ont
mis tout au long cum aliis quinque millibus. Ba-
ronius lui-même, ne s’eft pas apperçu de cette
bévue , qui de cinq martyrs en fait cinq mille,
hl’eft-il pas encore Apprenant qu’un suffi, habile
homme que M. l’abbé Fleuri, ait pris pour les
fceaux de plufieurs feigneurs, les fignatures de la
charte de la fondation de Cluni, exprimées par
l’abréviation ftg ou s avec une barre, qui fignifie
ftgnum ? »»
, » Les bornes_de notre ouvrage ne nous permettent
pas de traiter avec étendue la matière
des abréviations. Nous ferons feulement quelques
obfervations fur l’ufage plus ou moins fréquent
qu’on en a fait en chaque fiécle.
Les marques les plus générales d’abréviations
chez les anciens , font la petite ligne droite
horifontale — & la ligne courbe tranfverfale o>
en forme d’S couchée, ou d’accent circonflexe
Grec 05. Ces deux fignes placés, fur la fin d’ un
mot au bout de la ligne, valent Ym ou Vu dans
les pande&es de Florence. Um y eft fignifiée par
une ligne fous le milieu de laquelle on met un
point. Ces lignes, placées fur le milieu d’un mot,
fuppléent aux lettres qu’on retranche pour abréger,
.comme dans cet exemple : IHS XPS , Jefus-
Ckrifius. Dans ces noms adorables, les Latins ont
anciennement retenu les lettres Grecques , mais
les terminaifons font changées, félon le génie de
la langue Latine- Le D traverfé horifontalement
par la ligne droite , fignifie digefte 5 le mot omnia
s’abrége par orna & non par oia dans une charte
du roi Eudes, de l'an 888. Dans les anciens a&es
de Ravenne , pour exprimer dixerunt, dtr fe fert
d’un d curfif, formé d’une queue traînante, fur
laquelle il y a jutant de barres que de perfonnes
qui parlent. »
>» La conjonction eft' s’abrège par une ligne
horifontale, ou par un S couchée entre deux
points de cette manière ri* . L ’une & l’autre
abréviation d'eft fe rencontre dans les mff. Elles
paroiffent fréquemment dans ceux qui ont plus de
fix cens ans d’antiquité , & dans quelques inf-
criptions du onzième fiécle. La ligne horifontale
entre deux points pour fignifier eft 3 eft employée
dans le très-ancien mff. des épitresde S. Paul de
la cathédrale de Wirtsbourg' & dans beaucoup
d’autres , cités par D. Martianay. Cette figure
étant fëmblable à celle de l’Obèle , qui eft le
figne des fautes à corriger, il faut prendre garde
de confondre l’une avec l’autre. La barre ou
ligne fans points mife au bout des mots pour
fervir dJm, comme meoru- , annonce une haute
antiquité. Nous l’avons remarqué dans un frag-
/ment des plus anciens Virgiles du Vatican. Ou
s’ en eft fervi dans la" fuite pour fignifier d’autres
lettres, comme val- - 3 pour va{e3 V libre. , que les
copiftes & les imprimeurs ont rendu par une H. La
ligne droite placée fur p , fignifie pri, & la ligne
courbe veut dire pre. & per. On met la ligne
droite quelquefois fur des mots écrits fans abréviations.
C’eft ainfi que dans le beau mff. de S.
Paul de la bibliothèque du r o i , on écrit quelquefois
Dei. Souvent les fignes d’abréviations font
doubles
doubles dans un même mot. Nous l’avons obfetvé
dans le manufcritdu roi 3838. & dans les.évangiles
en lettres d'argent du chapitre de Vérone,
dont le P. Bianchini a publie un beau modèle.
Ces mots interprétation/: non indiget, font al Ml
abrégés intp. n ind, dans le mff. du Roi
qui renferme le Cod‘e Theodofien. La ligne droite
& la courbe font auflî d’ un grand ufage dans les
mff. Grecs pour marquer les abréviations. «
*> Les points font des fignes ^abréviation pref-
que auflî ordinaires que les lignes. Tantôt ces
points font écrits fur les lettres , comme dans
plurib' pour pluribus. Nous avons trouve ^cette
abréviation dans le Virgile d’Afper. Tantôt les
points font marqués devant & apres , comme, .e.
qui fignifie eft dans la première Bible de Charles-
le-Chauve, de la bibliothèque du ro i, & dans
les deux plus anciennes de S. Martin de Tours.
L ’ufage le plus ordinaire eft que les mots abrégés
foient fuivis d’un point. Ainfi écrivoit-on_XPI.
pour Ckrifti dès les premiers tems. Le commentaire
de S. Jerome fur les pfeaumes, renferme
dans le mff. du roi 2235 , en fournit beaucoup
d’exemples. Tous les mots abrégés y font régulièrement
fuivis d’un point , & quand le fens
en demande un , on en ajoute encore un autre ;
ils font pofés perpendiculairement ou diagonale-
ment , & plus fouvent horifontalement. Le
fragment du Vatican déjà c ité , fe fert du point
final pour abréger ces mots Laudib. q. laudibufque.
Le relatif que. eft ainfi abrégé par deux points q : dans
un modèle d’écriture faxonne, publié par Schan-
nat. Ces points ont fouvent la figure de virgules
& de triangles très-pointus. Tels les voit-on dans
le célèbre Pfeautier de S. Germain-des-Près,
dans le mff 223 y , & dans plufieurs fortauciens.
Dans le S. Hilaire du roi, que eft abrégé par q;
& dans le Code Théodofien de la même bibliothèque
par?’. Dans d’autres manuferits du huitième
fiécle, les abréviations'finales font exprimées par
ces fignes : • : : , 2e ’ 3 • Lorfque les anciens
copiftes avoient mis une lettre ou un mot de trop,
ils marquoient un point au-deffous au lieu de les
effacer. Ils fe fervoient encore de cette figure • • ,
avec une barre oblique au-deffous, pour marquer
les tranfpofitions. Il*faut donc bien prendre garde
de ne pas confondre ces points des correcteurs
avec ceux des abréviations.
Qmo eft Y abréviation de quomodo dans le mff.
iy2. & '£ ' eft celle de la fyllabe bus dans le
mff. 1820 de la bibliothèque du roi. Lorfque
les abréviations affeCtent tout le mot, elles font
fouvent entre deux virgules , comme, e » eft.
Dans les mff. qui ont plus de fix cens ans , la
même conjonction eft 3 eft fouvent marquée par
une ligne horifontale entre deux points ri* > dans
le mff. royal 1820, pour abréger qui, on fupprime
l ‘u3 & l’on marque Yi ou I’m au-deffus ‘ . “ i. Mais
de toutes les figures qui marquent les abréyia-
Antiquités, Tome I .
lions, la plus fréquente e ft le C curfif renverfé,
qui prend la forme du 9 : ce figne produit
différens fons tout contraires i écrit a la hn_ou
au milieu du mot, il marque us , comme D 9 ,
maxim9 , reb9 , pour Deus, maximus , rebus, &
Aug9fti pour Augufti. Au-deffus du p9 3 il fignifie
poft. Placé au commencement d un m ot, il ngnihe
corn ou con\ Ainfi, dans un nombre prefqu inhni
de monumens , on écrit 9tra pour çontra, 9verjus
pour converfus, 9vfacones pour converfationes, £f_
pour commuai, 9/cia pour confcientia, 9memorao
pour commemoratio, & c . Le 7 , pour figniner ,
n’eft pas moins ordinaire dans les manuferits & les
Chartres. On retrouve ces marques d’abréviations ,
avec beaucoup d’autres, dans les notes T iraniennes.
Il y a des abréviations propres de certaines écritures
particulières. La faxonne & la lombardique
expriment autem par ce figne h''. On donne
huit à neuf cens ans aux manuferits ou il le
trouve. » ,
■» Les abréviations devenant plus frequentes,
marquent une moindre antiquité, a raifon de
leur augmentation. On en trouve peu dans les
plus anciens manuferits. _ Si l’écriture capitale
ou onciale en eft belle, s’il n’y a qu un tres-petit
nombre d'abréviations, c’eft un figne de la plus
haute antiquité. La ligne droite ou courbe pour
tenir lieu d’une M ou d’une N , & le point marque
après le Q , font prefque les feules qu’on rencontre
dans le fameux Virgile de Médicis. Elles ne font
guères moins rares dans les PandeCtes Florentines.
M. Brencman, outre la barre mife au bout de la.
ligne pour remplacer l’M & l’N , j i y a remarque
que id. pour idem, N. pour non , edm pour edittum ,
& I. pour primum. Dms pour Dominas, eft la
marque d’une haute antiquité.^ En effet, cette
abréviation fe trouve dans les évangiles écrits de
la main de S. Eufèbe de Verceil, & dans le pfeau-
tier de S. Germain, évêque de Paris. Dnus pour
Dominas, n’eft peut-être pas moins ancien. Dans
le même pfeautier, & dans quelques autres manuferits
d’une égale antiquité, on ffabrège pas
Dominum par Dnürn , ni même par Dnm, mais par
D o n , avec deux marques & abréviations. Celles
que nous avons remarquées dans les épîtres de
S. Paul de la bibliothèque du ro i, fe réduifent
prefqu’à JHÜ. XPÏ. DMI. N. Jefu Ckrifti Dominé
noftri. Elles font rares dans le beau manuferit de
S. Profper de la même bibliothèque, en écriture
onciale du fixiéme fiécle. Elles fe bornent prefqu’à
D s 3 Dnus , xp s, fps feus, bus & que exprimés
par une virgule & plus fouvent par un triangle
fréquemment allongé haut & bas ,^en forme d S.
Mais les abréviations font d’une extrême rareté dans
le manuferit des évangiles en lettres capitales d’o r ,
appartenant à l’abbaye de S. Germain-des-Pres.”
„ Elles devinrent moins rares un peu apres le
fixiéme fiécle. Les modèles du feptiéme , publiés
par dom Jean Mabifton, en offrent un bon