vois l’anxiété peinte sur toutes les ligures de l’équipage
; ces hommes q u i, les jours passés encore, couraient
avec ardeur au combat, et eussent bravé des
centaines de naturels, pâlissent à l’aspect du danger
qui nous menace, et semblent me reprocher tacitement
mon imprudence et mon obstination. Quelques
membres même de l’état-major, en tout autre temps
si calmes, si dévoués, si intrépides, ne paraissent envisager
qu’avec inquiétude et consternation notre position
actuelle près des récifs de Mafanga. Tant il est
vrai qu’il faut un tout autre courage pour attendre de
sang-froid une catastrophe contre laquelle il est impossible
de lutter, que pour se jeter les armes à la
main à travers les plus grands périls !...
Dans la soirée, M. Lottin m’a communiqué l’avis
que plusieurs hommes de l’équipage n’attendent que
l’instant favorable pour enlever une embarcation et se
réunir à ceux de leurs camarades qui se trouvent déjà
parmi les sauvages. J’ai remonté à la source de cet
avis , et j ’ai vu qu’il n’était malheureusement que trop
fondé. Comme je l’avais signifié aux sauvages, mon
intention était effectivement de rester devant Mafanga,
et de les canonner jusqu’à ce qu’ils consentissent à me
renvoyer les prisonniers. Mais la conviction que je
viens d’acquérir des mauvaises dispositions de l’équipage
, me contraint à modifier cette résolution. Je suis
décidé à passer seulement devant Mafanga la journée
de demain : si après-demain matin le vent est bon,
et que les insulaires ne m’aient fait aucune proposition,
je remettrai à la voile, quoi qu’il m’en coûte, pour
ne pas exposer plus long-temps l’expédition à sa ruine
complète.
Ce n’est pas que je craigne de tomber au pouvoir
des sauvages, mes mesures sont prises pour éviter
cette humiliation. Au moment où la corvette sera envahie
par ces barbares , et lorsque tout espoir de résister
avec quelque succès sera anéanti, j ’ai pris la résolution
de faire sauter le bâtiment. M. Dudemaine a
reçûmes instructions à cet égard, et je compte assez
sur son courage et sa haine pour nos ennemis pour
être certain qu’il les exécutera fidèlement. Mon intention
n’est pas de donner cette détermination de ma
part comme un trait de bravoure ni de dévouement.
En effet, je suis réservé à une mort certaine et cruelle
de la part des sauvages : je n’aurai d’autre mérite que
d’échanger cette perspective contre une fin plus rapide
et plus douce en sautant avec l’Astrolabe. Mais en
terminant ainsi ma carrière, j ’aurai du moins la consolation
de donner une leçon sévère aux perfides insulaires
de Tonga-Tabou, et de soustraire en un instant
aux regrets et aux réflexions des navigateurs
l'uturs les tristes débris de notre brillante expédition.
La nuit a été détestable ; obscurité complète , pluie
à verse et fortes rafales d’E . et E. S. E. A deux heüres
nous avons filé de la grosse chaîne pour mieux assurer
notre tenue.
A sept heures et demie du matin, les matelots Fabry
et Bellanger ont encore paru quelques instans sur
la plage. Peu après, le pavillon blanc qui avait été
enlevé par les naturels , aux premiers coups de canon
1827.
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