les récifs occupaient. Je ne pouvais songer à mouiller
dans un canal où la sonde ne trouve point de fond à
soixante ou quatre-vingts brasses : en conséquence je
mis en panne et envoyai M. G uilbert sonder de l’avant;
à moins de deux longueurs du navire il se trouva sur
le banc de coraux.
Pour éviter le danger qui nous menaçait, nous tentâmes
l’unique moyen qui nous restait, celui de virer
vent arrière en masquant partout pour nous faire culer.
La manoeuvre fut sur-le-champ exécutée, et nous cillâmes
un instant : mais le courant qui nous prenait
par le travers nous empêcha d’achever notre évolution,
d’autant mieux que la brise était très-faible. Tout-à-
coup l’avant du navire heurta contre le brisant.
Heureusement en ce moment il y avait peu de
houle. En quarante minutes les voiles furent serrées,
le grand canot mis à l’eau, une ancre à jet élongée et
mouillée à une demi-encablure de la corvette par quarante
cinq brasses de fond. On vira dessus, et à trois
heures et demie nous étions à flot. Mais il nous était
devenu impossible de nous écarter du récif, car le
vent était revenu au S. S. E ., et nous prenait précisément
par le travers. Nous ne pouvions pas non plus
élonger de grelins au large, attendu qu’à cinquante
toises de cette funeste muraille, on ne trouvait plus de
fond à soixante-dix brasses.
Le ciel s’était couvert, des grains de pluie survenaient
par momens, et la houle commençait à se faire
sentir. Je ne vis pas d’autre parti à prendre que celui
de nous maintenir le long du récif aussi long-temps
que nous le pourrions et jusqu’au moment où le temps
permettrait de nous en éloigner. Une seconde ancre à
jet fut donc élongée dans le S. O . , nous nous halâmes
dessus ; et quand nous fûmes à pic, nous laissâmes tomber
l’ancre de veille de tribord avec la grosse chaine,
puis nous en filâmes dix brasses environ. L ’Astrolabe
resta ainsi élongée suivant la direction du récif,
et à quarante pieds de distance au plu s, tenue de
l’avant par le grelin seul, car la chaîne venant trop
perpendiculairement ne travaillait presque point, et
contre-tenue de l’arrière par l’autre grelin. Gelte situation
était affreuse, et je ne pouvais m’en dissimuler
tout le danger. Il suffisait d’un souffle de vent plus
fort pour faire rompre nos grelins et nous jeter sur
les rochers, où la corvette eût été brisée en peu de
temps.
De sept à neuf heures du soir, la mer était presque
basse, et la lame brisait avec une grande force contre
la masse de corail, près de laquelle nous nous trouvions
suspendus. La corvette roulait avec violence
et d un bord sur l’autre ; en ce moment, si ses amarres
eussent manqué, sans doute son sort aurait été
promptement décidé. II me fallut aussi renoncer au
dernier espoir que j ’avais conçu. J’ai déjà annoncé
qu’au moment où nous échouâmes, la mer était précisément
pleine, et depuis lors le courant n’avait cessé
de porter avec force au N. O. Si le jusant portait dans
cette direction, il me semblait avec quelque apparence
de fondement que le flot porterait au S. E ., et
m’aiderait à me tirer d’embarras. Il n’en fut rien. Le