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 que j ’attendais  :  garantis  par  leurs remparts ,  les  sauvages  
 peuvent  braver mes menaces. Désormais  mon  
 unique espérance  est de  lasser  la  patience  de ces insulaires  
 ,  surtout  de  voir la division naître parmi  les  
 chefs  de  l’ile,  et  amener  la  restitution  des  prisonniers. 
   Toute  la nuit  on a entendu les naturels  abattre  
 des  arbres  pour  fortifier  leurs  relranchemens  et  réparer  
 les  brèches  faites  dans  la journée. 
 En  effet,  au  point  du  jo u r ,  nous avons  reconnu  
 que de  grands  travaux  avaient eu lieu durant la nuit ;  
 d’énormes  tronçons  de  cocotiers ,  des  bananiers  entiers  
 avaient été  entassés  les  uns sur  les autres,  pour  
 exhausser  les  remparts  et  même en  faire  un  double  
 rang  sur  certains  points.  L ’activité  de  ces  sauvages  
 était  prodigieuse,  et  les  fossés  étaient  gardés jour  et  
 nuit par  des  centaines de  guerriers armés  ,  tout prêts  
 à  s’opposer  à  une  descente.  A  six  heures,  comme  
 pour  nous  saluer,  ils  nous  envoyèrent  un  coup  de  
 mousqueton. 
 Le  ciel  était  très-couvert  et  il  tombait  une  petite  
 pluie  continuelle.  A  neuf heures,  M.  Guilbert  alla  
 dans la chaloupe  déraper  l’ancre  du  large,  et  la  reporta  
 à  quatre-vingts brasses plus près du  récif.  Tant  
 que  dura  cette manoeuvre,  les  naturels ne  cessèrent  
 de  tirer des coups de fusil sur la chaloupe,  tandis que  
 du  bord  nous  leur  adressions  de  temps  en  temps  
 quelques  paquets  de  mitraille,  pour  les  empêcher  
 de  s’approcher trop du rivage,  où ils  eussent pu ajuster  
 leurs  coups  avec  plus de  succès. 
 Nous  réussîmes  enfin  à  nous  amarrer  du  côté  du  
 large  avec quarante brasses de  la grosse chaine,  auxquelles  
 nous  avions  ajouté  quarante  brasses  de  grelin  
 ,  et du  côté du  récif avec  trente  brasses de  la  petite  
 chaîne ;  mais  le  temps  ayant  beaucoup  empiré,  
 la  pluie  redoubla  et  le  vent  souffla  très-frais  à  l’E.  
 N.  E.  avec des  rafales.  Aussitôt  que  l’équipage  eut  
 dîné, je me vis contraint de filer quarante-cinq brasses  
 de  la petite chaîne,  pour  reprendre  à  la bitte  le  bout  
 de la  grosse,  et nous prémunir  contre  les  effels  du  
 mauvais  temps. 
 Dans  toute  la  journée,  je ne  fis tirer  que dix-sept  
 coups de canon,  dont six à mitraille,  et  à longs intervalles  
 les uns des autres.  Par là mon but était de tenir  
 les  sauvages  sur un  qui-vive continuel ; et quelque incommode  
 qu’elle  fôt pour  nous-mêmes,  la  pluie  qui  
 tombait  ne  laissait  pas  que  de  me  favoriser  dans  ce  
 projet,  car  il  n’est rien  que  ces  hommes  supportent  
 avec  plus  de  répugnance.  On  concevra  sans  peine  
 cette aversion de  leur part pour la pluie,  en songeant  
 à  la  nature  de  leurs  étoffes,  la  plupart  composées  
 d’une  substance papyracée qui ne peut en aucune manière  
 les  protéger  contre  des  averses  un  peu  prolongées. 
 Vers cinq heures et  demie  du  soir,  nous  avons  la.  
 consolation de  revoir cinq  ou  six de nos  hommes ;  ils  
 sont  toujours  cantonnés  dans  le  hangar à gauche  du  
 grand figuier.  On  les  voit  même  de  temps  en  temps  
 sortir de leur bastion  pour  aller  causer avec les guerriers  
 postés  autour de  cet arbre.