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Avril.
appréhensions sur le salul de la corvette. Aussi trente
brasses de chaine suffirent pour nous tenir, et nous passâmes
une nuit bien paisible, comparativement à celles
qui venaient de s’écouler. D ’ailleurs , quoique le ciel
fût orageux, le calme persista. J’eus seulement l ’occasion
de m’assurer que les courans de la passe sont
très-violens.
Tahofa et Lavaka me demandèrent la permission
d’aller passer la nuit à terre, et j ’y consentis sans difficulté.
Du moment où le navire se trouvait hors de
danger, nous avions recouvré toute notre puissance,
et la présence de ces chefs à bord me devenait moins
essentielle.
A six heures quarante-cinq minutes du matin, j ’ai
fait déraper ; e t , à l’aide de nos embarcations et d’une
faible brise d’est, j ’ai essayé de gagner le mouillage de
Pangaï-Modou. Mais le calme est survenu, et je me
suis aperçu que le courant nous portait directement
sur le récif. Il a donc fallu me résoudre encore une
fois à laisser tomber l ’ancre à peu de distance des
coraux , par dix brasses de fond, pour attendre un
temps plus favorable. Dans cette position, nous nous
trouvâmes précisément entre les trois îlots Magon-
Ha, Manou-Afai et Fafaa. Si nous avions eu des
ancres à je t, nous aurions facilement pu nous haler
dans l’intérieur de la baie; mais nous étions complètement
privés de cette ressource.
Du reste je ne voulus pas attendre plus long-temps
pour faire aux trois eguis les présens que je leur avais
promis, afin de les récompenser de leur généreuse
conduite. Je les fis descendre dans ma chambre, et là 1S27.
ils reçurent de mes mains, au nom du grand egui Avril.
des Français, chacun un mousquet, deux livres de
poudre, trois aunes de drap écarlate et deux grands
coutelas, avec d’autres menus objets. Ces trésors les
comblèrent de joie, et ils me renouvelèrent, dans
toute l’effusion de leur ame, leurs sentimens d’affection
et de dévouement à ma personne. Quoique ces
trois chefs fussent certainement les plus puissans de
l’ile et que tout le reste parût céder entièrement à
leurs volontés, je remarquai néanmoins qu’ils cachèrent
sur-le-champ les objets précieux que je leur
donnais, et qu’ils évitèrent avec soin de les exposer
aux regards des autres chefs. Nul doute qu’ils ne
craignissent d’exciter leur jalousie : cette précaution
démontrait en même temps que le pouvoir obtenu par
ces trois eguis était dû à la force et à l’usurpation
plutôt qu’à leur naissance ou à des droits légitimes.
Ces soupçons de ma part, comme on le verra bientôt,
lurent vérifiés par les renseignemens que je réussis
à me procurer.
C ’est aujourd’hui même l’anniversaire du jour où
nous quittâmes les côtes de la France. Combien de
fois, depuis cinq jours, j ’ai craint que notre campagne
ne pût compter une année complète de durée ! Ces
craintes sont enfin dissipées, et l’Astrolabe semble
renaître.
J’ai reçu dans la soirée un message de M. Thomas
qui me demande des nouvelles du navire, et me recommande
encore de ne pas l’abandonner. Cette fois