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Mi
1827.
Juin.
d’abord qu’ils s’avancaient jusque par bâbord ; en
conséquence j ’avais déjà fait le commandement de
virer lof pour lo f, manoeuvre presque désespérée et
qui par sa lenteur nous eût sans doute jetés sur le
réc if, avant que la corvette eût pu revenir au vent
sur l’autre bord. Heureusement M. Jacquinot qui
aux premiers cris d’alarme s’était élancé de sa cabane
sur le gaillard d’avant, me héla que le récif ne nous
dépassait point et ne se prolongeait même qu’à un
quart de notre route à tribord ; il me conseillait de
prolonger la bordée. Cet avis se trouvait d’accord
avec ma propre opinion ; je fis à l’instant rétablir la
barre, et amurer la grande voile, en serrant le plus
près, de manière cependant à porter bon plein.
On se fei’a sans peine une idée des angoisses que
durent éprouver tous les habitans de l’Astrolabe,
jusquau moment où l’on fut certain que les récifs
étaient doublés. Dans un silence effrayant et solennel,
chacun attendait l’instant fatal qui devait décider
de notre sort. A dix heures quarante minutes , nous
passâmes à une encablure environ de la pointe la plus
orientale du brisant, et nous vîmes ensuite avec la
plus grande joie que sa direction s’éloignait un peu de
celle de notre route. Certes , nous n’étions pas pour
cela hors de toute inquiétude, car le récif pouvait de
nouveau nous barrer le chemin ; mais nous avions
du moins la ressource de tenter à virer de bord vent
devant, si toutefois la houle nous le permettait. Si
le sort eût voulu que l ’Astrolabe restât contre ces
écueils, une lionne partie de l’équipage aurait d’abord
péri dans le naufrage. Parmi ceux qui se seraient
sauvés sur les îles voisines , plusieurs seraient devenus
la pâture des sauvages, et les autres auraient
mené une existence misérable et semblable à celle
qui avait été le partage des Espagnols du Concepcion
parmi les naturels de Viti ; mais il leur serait resté
beaucoup moins d’espoir d’échapper à leur déplorable
condition, attendu que les îles méridionales de
l’archipel Viti ne se trouvent sur aucune route de
navire. Ils n’auraient donc eu presque aucune chance
de trouver un jour des Européens disposés a les délivrer.
Depuis cinq heures du soir où nous avions pris la
bordée du su d , jusqu’au moment où nous tombâmes
sur les récifs, nous n’avions couru que dix-huit milles,
de sorte que je n’avais aucun sujet de m’attendre à
une semblabie rencontre. Ces dangereux brisans
étaient donc une découverte de T Astrolabe; ils reçurent
le nom de notre corvette qui avait failli payer
bien cher cet honneur.
Vers minuit, nous aperçûmes dans le S. S. O .,
malgré les ténèbres , une petite de haute au-dela des
brisans, et successivement trois ou quatre autres îlots
semblables, auxquels ces brisans servaient de ceinture
dans l’E. Nous avons passé le reste de la nuit
sur le qui-vive, craignant à chaque instant de faire
quelque nouvelle rencontre aussi dangereuse que
celle à laquelle nous venions d’échapper.
Quoiqu’il soufflât une brise assez fraîche, la mer
était si lourde et si creuse, que nous avancions avec
1827.
Juin.