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 Avril. 
 la ruine de la Mission.  Il me fut  aisé  de  voir que cette  
 dernière  crainte  l’agitait  violemment.  A  toutes  mes  
 observations,  à  toutes mes  suppositions,  ce  bon méthodiste  
 répondait sans cesse par ces mots,  keepyoar  
 ship —   «  conservez  votre  navire ;  »  et ce refrain finit  
 presque par m’impatienter contre lui.  Certesje n’avais  
 nulle  envie  de  quitter  mon navire  de ma  propre  volonté  
 ;  et  si j ’avais eu  le moindre  espoir  de pouvoir le  
 conserver,  je  ne  lui  aurais pas  adressé  une  seule  de  
 ces questions.  Comme M.  Thomas souffrait beaucoup  
 du roulis qui était très-dur,  et sans doute de  la crainte  
 de  voir  le  navire  prêt  à  s’engloutir,  il me  demanda  
 la  permission  de  se  retirer.  Je  ne  fis  aucun  effort  
 pour  le  retenir,  car je vis que sa présence ne pouvait  
 nous  être  d’aucune  utilité,  et  je me  contentai  de  lui  
 recommander  les  objets  confiés  à  sa garde. 
 Le  résultat définitif de mon entrevue  avec M.  Thomas  
 , fut de me convaincre que le meilleur parti à prendre, 
  si l’Astrolabe devait rester sur les récifs de Tonga,  
 était  de me  placer avec mes  compagnons  sous la protection  
 des  chefs  Palou,  Tahofa  et  Lavaka.  Désormais  
 bien  fixé  sur  ce  point,  je  me  résignai  à  attendre  
 les  évériemens, pour  agir en conséquence. 
 Cependant  chacun  des  officiers  du  bord  se  liait  
 d’une  amitié  particulière  avec  quelqu’un  des  eguis de  
 Tonga,  en  changeant  de  nom  avec  lui,  suivant  la  
 coutume établie depuis long-temps dans  ces iles.  Ainsi  
 Palou  prit pour ami  ou  o fa , M.  Jacquinot,  Lavaka  
 devint  celui  de  M.  Quoy,  Tahofa  de  M.  Sainson,  
 Houla-Kaï  de  M.  Lesson,  Moe-Agui  de  M.  Dudemaine, 
   Canon-Gata  fils  de  Palou  de M.  Gaimard,  
 Waï-Totaï de M. Gressien, etc.  Je  voyais avec plaisir  
 se  former  ces  liaisons  qui  ne  pouvaient  que  devenir  
 fort  utiles  pour  notre  sécurité ;  car  je  savais  qu’en  
 général  ces  insulaires  y  restaient  fidèles,  malgré  les  
 événemens.  Aucun  n’osa  me  proposer  son  amitié,  et  
 je ne  fis  aucune  démarche  dans  ce  b u t,  afin de  n’exciter  
 aucune  rivalité.  Un  seul,  parent de  Toubo,  et  
 issu de la souche  royale,  nommé Ohila,  et  qui  s’était  
 fait chrétien , me proposa  avec timidité d’être son ofa :  
 mais  je  le  remerciai  fort  poliment,  sachant  bien  que  
 ce  serait de ma part  une démarche très-peu  politique  
 que  d’accepter  sa  proposition,  bien  qu’en  to-ut  autre  
 temps je  m’y  fusse prete sans  aucune répugnance.  .,  
 Malgré  les  circonstances  pénibles  où  nous  nous  
 trouvions,  M.  Quoy  poursuivait  courageusement  
 ses  analyses  et  ses  dessins  d’histoire  naturelle.  Sa  
 table  était  établie  sur  le  gaillard  d’arrière,  et,  à  le  
 voir  paisiblement  travailler,  on  n’eût  jamais  soupçonné  
 que  d’une  minute  à  l’autre  l’Astrolabe  pouvait  
 s’engloutir  et  ne  laisser  à  ceux  qui  la  montaient  
 que  le temps  nécessaire  pour  s’enfuir à  la hâte.  Loin  
 de  contrarier M.  Quoy  dans  ses  travaux,j ’applaudissais  
 à sa persévérance et à sa présence d’esprit; je l’en-  
 couragais même de mon mieux , et je feignais de porter  
 à ses  recherches un intérêt qui,  dans  ce moment,  était  
 loin  de  mon  esprit.  Mais  c’était  un  moyen  de  dissimuler  
 aux matelots toute  l’étendue  du danger qui  les  
 menaçait,  et  dans  le métier de  la mer  c’est  une  ressource  
 qu’un  capitaine ne doit jamais  négliger.