
 
        
         
		1827. 
 Mai. 
 Ces  sauvages  montrent une obstination  singulière  
 à garder  leurs prisonniers. Je  ne  puis  me  dissimuler  
 q ue,  fermes  à  leurs  postes  respectifs,  ils  déploient  
 un courage extraordinaire  à  y  attendre  l’effet de  nos  
 boulets et de notre mitraille.  S’ils  combattaient  pour  
 une meilleure cause, je ne pourrais m’empêcher d’admirer  
 leur  constance.  D ’ailleurs  si je  dois  m’en  rapporter  
 à  certaines  déclarations,  la  plupart  des hommes  
 qui m’ont  été enlevés  auraient eu le projet  de  déserter  
 ; Fabry et Bellanger  seuls  étaient parfaitement  
 étrangers à ces  coupables desseins.  Il en  résulte naturellement  
 que  ce  sont  les  seuls  dont  le  sort  me  pa^  
 raisse digne d’intérêt. Si le bruit dont je viens de parler  
 était fondé, la conduite de Tahofa serait moins odieuse,  
 puisqu’elle n’aurait pour objet que de s’assurer la possession  
 d’hommes  qui  se  seraient,  pour  ainsi  dire,  
 donnés  à lui. 
 Toute  la nuit  il  a tombé  de  la  pluie,  et  le  vent  a  
 soufflé  au  N.  E.  et à  l’E.  N.  E.  par  rafales.  Les naturels  
 ont encore travaillé à abattre beaucoup d’arbres. 
 Vers  sept heures  et  demie  du  matin,  nous  avons  
 tous  reconnu  très-distinctement,  au  bord de  la mer,  
 et  à  trois  cents  pas  environ  à  l’E.  des  remparts  de  
 Mafanga,  deux  de nos hommes,  Fabry  et Bellanger. 
 • Le  premier  paraissait  grièvement  blessé  à  la  jambe  
 droite,  et  ne  marchait  qu’avec  peine ;  Bellanger  lui  
 aida  à laver  et panser  sa  plaie,  puis  ils  allèrent s’asseoir  
 sous  des  arbres  du  rivage. Au premier aspect,  
 ils semblaient être libres,  et  personne  ne  se montrait  
 auprès d’eux ; mais  la  lunette  nous permettait  de  découvrir  
 au  travers des  fourrés  plusieurs  hommes  armés  
 qui  surveillaient  attentivement  toutes  leurs  actions. 
 Il  m’était  facile  de  comprendre  que  les  naturels  
 voulaient  par  là  nous  tendre  un  nouveau  piège;  ils  
 comptaient trouver  l’occasion de nous tuer du monde  
 si je  tentais  d’envoyer  un  canot  pour  reprendre  ces  
 deux  matelots;  mais  je  ne  fis  pas  le  moindre  mouvement. 
 Le  ciel  s’est  chargé  de  plus  en  plus ;  la  pluie  a  
 tombé par torrens, et le vent a soufflé bon frais à l’E . ,  
 avec  d’assez  fortes  rafales.  Il  a  fallu  détalinguer  la  
 partie  de  la  grosse  chaîne  qui  se  trouvait  sur  l’ancre  
 de bâbord  pour  la  rajuster  avec  celle  de  tribord,  et  
 étalinguer à sa place la grande  touée,  afin de nous procurer  
 les moyens de filer  de nos amarres. 
 Nous  n’avons  pas  envoyé  un  seul coup  de  canon,  
 et nous  nous  sommes contentés  de  tirer de  temps  en  
 temps quelques coups de fusil  pour tenir les  naturels  
 en  haleine.  Aujourd’hui ils ont  constamment observé  
 un profond  silence,  et l’on ne peut douter que la pluie  
 violente qui  n’a cessé de  leur battre  les  épaules,  n’ait  
 beaucoup refroidi leur ardeur guerrière. A six heures,  
 le coup  de  canon  de retraite  a  été  tiré à mitraille  sur  
 Mafanga. 
 Notre  position  est  devenue  plus  critique  que  jamais; 
   si nos  ancres venaient  à manquer, nous  serions  
 jetés  sur les  récifs,  et  là  notre destruction serait inévitable  
 ; nous serions en un Instant enveloppés par des  
 milliers de barbares  acharnés  à  notre  perte. Aussi je