niais doit les recevoir de la main d’un autre ; elle
ne peut pas même toucher à un cure-dent. Si elle est
pauvre, et qu’elle n’ait personne pour la servir, elle
doit ramasser ses vivres avec la bouche. Celui qui
manquerait à ces règles, veri'ait son corps s’enfler et
périrait bientôt. Cette opinion est si profondément
enracinée dans l’esprit de ces naturels , que Mariner
ne pense pas qu’aucun d’eux ait jamais essayé d’y
contrevenir. Quand ils le voyaient toucher à des cadavres
et se servir ensuite sans accident de ses propres
mains , ils attribuaient ce privilège à l’influence
des dieux étrangers auxquels il était soumis.
C ’est à l’empire que le tabou exei’ce sur l ’esprit de
ces insulaires que les diverses classes de la société
doivent la conservation de leurs privilèges respectifs ;
car quiconque vient à toucher une personne qui lui
est supérieure, soit par le rang, soit par le degré de
parenté, devient tabou. Désormais il ne saurait, sans
danger, toucher de ses propres mains à ses vivres
avant d’avoir eu recours à la cérémonie du moe-moe.
Cette cérémonie consiste à toucher de ses mains la
plante du pied d’un chef supérieur, d’abord avec la
paume, puis avec le dos de chaque main, et à les laver
ensuite avec un peu d’eau. S’il n’y a pas d’eau à proximité,
on se contente de les frotter avec un morceau
de tige de bananier dont le suc tient lieu d’eau. Alors
l’homme taboue peut sans risque se servir de ses mains
pour manger. Cependant, si une personne craignait
de f avoir fait par inadvertance, tandis que ses mains
étaient encore tabouées, pour prévenir les suites de
ce sacrilège, elle irait s’accroupir devant un chef, et,
prenant un de ses pieds, elle l’appliquerait contre
son ventre, afin que ses alimens ne lui fissent point de
mal. Cette dernière opération se nomme f a t a , presser
; et je crois que c’est de là que vient le nom des
Fata-Fati, attendu que c’est par les membres de cette
dernière famille que l’imposition du pied est la plus
efficace ; c’est d’ailleurs à eux seuls que peuvent recourir
les eguis du premier rang G
Il est tabou de manger en présence d’un parent
supérieur, à moins qu’il ne tourne le dos ; il est tabou
de manger des vivres qu’un chef supérieur a touchés.
En cas d’infraction fortuite à ces deux règles, il faut
avoir recours au fata. Le tabou encouru en touchant
la personne ou les vêtemens du touï-tonga ne saurait
être levé par aucun autre chef que le touï-tonga lui-
mème, attendu qu’il est supérieur à tous. Pour éviter
les inconvéniens qui pourraient résulter de son absence,
on se sert d’un bol ou de tout autre objet
consacré appartenant au touï-tonga, dont le contact
opère le même effet que celui de ses pieds. Du temps
de Mariner, le touï-tonga réservait pour cet usage un
plat d’étain qui avait été donné à son père par le capitaine
Cook. Vea-Tchi faisait usage d’un plat semblable.
Le kava seu l, soit en nature , soit en infusion ,
n’était point sujet au tabou , quel que fôt le chel qui
l’eût touché; de sorte qu’un simple toua pouvait