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 seraient jamais  attaquer  nos  gens  tant  qu’ils  seraient  
 réunis. 
 Cette  expédition  fut  conduite  avec  beaucoup  d’ordre  
 et  d’intelligence.  Notre  petit  détachement  mit  
 d’abord  le feu au village de Nougou-Nougou et à celui  
 d’OIeva,  composés  chacun  d’une  trentaine de  cases,  
 puis  à  quelques  habitations  isolées,  et  l’on  détruisit  
 cinq  ou  six  belles  pirogues.  D ’épaisses  colonnes  de  
 fumée  s’élevèrent  de  cette  partie  de  File,  et  annoncèrent  
 aux  naturels  les  rapides  effets  de notre  vengeance. 
 Après  avoir  livré  aux  flammes  le  village  d’Oleva,  
 les  Français  s’avancèrent  en  colonne  serrée  le  long  
 de  la  plage  vers Mafanga ,  tandis  que  le  grand  canot  
 les  suivait  le  long  du  récif.  A mesure  qu’ils  approchaient  
 de  Mafanga,  les  sauvages,  qui  jusqu’alors  
 avaient  fui  devant  eu x ,  devinrent  de  plus  en  plus  
 nombreux,  et  quelques-uns,  retranchés  dans  les  
 fourrés  du  rivage,  commencèrent à  faire  feu  sur  les  
 nôtres  qui restaient entièrement à  découvert.  Cependant  
 les  Français  répondaient  par  une  mousqueterie  
 bien  nourrie;  ils  continuaient  leur  marche,  et  tout  
 allait  bien,  quand  le  caporal  Richard,  qui  s’était  
 éloigné  de  quelques  pas  du  détachement  après  avoir  
 abattu un insulaire,  au lieu de rallier son parti,  courut  
 imprudemment dans  le  fourré pour  s’emparer de  son  
 ennemi.  Aussitôt huit ou dix  sauvages tombèrent sur  
 Richard,  lui  arrachèrent  son  fusil,  l ’assommèrent  à  
 coups de casse-tête,  et  le  percèrent  de coups avec  sa  
 propre  baïonnette.  A  ses  cris,  nos  gens  coururent 
 à  son  secours,  et  le coq  Castel  abattit  encore  un  des  
 assaillans.  Ceux-ci  prirent  la  fuite,  et  Richard  fut  
 délivré  de  leurs  mains ;  mais  il  était  trop  tard  ;  le  
 malheureux  était  couvert  de  blessures,  et  fut  porté  
 expirant au  canot. 
 Notre  détachement  riposta  encore  quelque  temps  
 aux coups de  feu  des naturels  avec beaucoup  de sang-  
 froid et  d’intrépidité.  Enfin M.  Gressien,  voyant que  
 sa  troupe  restait  entièrement  exposée  aux  traits  des  
 sauvages.,  tandis  qu’on ne pouvait  leur répondre avec  
 aucune  apparence  de  succès,  jugea  très - sagement  
 qu’il  était grand  temps  d’opérer sa  retraite.  Les Français  
 rentrèrent  donc  tout  doucement  dans  le  canot,  
 à  travers  les  balles  de  l’ennemi  qui  pleuvaient  autour  
 d’e u x ,  et  dont  une  atteignit  et  froissa  le  coude  
 de  M.  Dudemaine.  Il  fallut  sans  doute  un  étrange  
 hasard  pour en  être  quitte  à  si  bon marché.  La manière  
 adroite  dont  un  fusil  à  deux  coups  était  servi  
 et  tiré  du  côté  des  sauvages,  fit  soupçonner  à  nos  
 gens  que  Simonet  leur  avait  prêté  son  aide. 
 Le  grand  canot  rentra  à  bord  à  cinq  heures  et  
 demie,  et  je  fus désolé  en  voyant  l’état déplorable où  
 se  trouvait  Richard.  Du  reste,  cet  infortuné  paraissait  
 avoir  déjà  perdu  toute  espèce  de  sentiment,  et  
 il expira à huit heures du soir des  suites des horribles  
 blessures  qu’il  avait  reçues. 
 J’approuvai  fort M.  Gressien  d’avoir  pris  le  parti  
 de  la  retraite ;  car,  s’il  eût  différé  tant  soit  peu,  il  
 eût  fini  par  être  enveloppé  par  les  sauvages,  et  la  
 plupart  des  hommes  de  son  détachement  auraient 
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