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 Avril. 
 ) iva Singleloii,  l’un  des  malheureux échappés au désastre  
 du  Port-au-Prince,  et  naturalisé  dans  ces  
 îles depuis  plus  de  vingt-trois  ans.  J’avais  lu  dans  la  
 relation  de  Mariner,  son  compagnon  d’infortune,  
 les  aventures  de  cet  homme,  et je  fus  enchanté  qu’il  
 fût  encore  vivant.  Singleton  me  parut avoir  des manières  
 civiles,  un  ton  poli  et  même  doucereux,  et  
 une parfaite  connaissance  du  caractère  des habitans.  
 Je le désignai pour interprète habituel  et  sédentaire à  
 bord  de  la  corvette,  tandis  que  Read  remplirait  les  
 mêmes  fonctions  sur  les  canots  qui  seraient  obligés  
 de  s’éloigner  du  bord.  Singleton  était  marié  et  avait  
 plusieurs  enfans,  tout  son  espoir  était  de  finir  doucement  
 sa  carrière  à  Tonga-Tabou. 
 Peu  après,  je  vis  arriver  un  troisième  Anglais,  
 nommé  Ritchett,  fixé  aussi  depuis  quelques  années  
 parmi ces  peuples.  Ritchett  était un  petit  homme  de  
 quarante ans,  d’une  tournure  bizarre  et  dont  le  son  
 de  voix  fluet  prêtait  à  la  plaisanterie ;  il  portait  habituellement  
 une  mauvaise  redingote  grise,  sale  et  
 remplie  de  trous ;  il  parlait  avec  prétention,  ce  qui  
 le fit surnommer, par nos matelots railleurs,  le maître  
 d’école.  Quoiqu’il  me  fut  moins  utile  que  ses  deux  
 camarades,  attendu qu’il parlait  difficilement l’idiome  
 de Tonga,  je  l’accueillis  aussi  avec amitié,  et  donnai  
 ordre  que  les  vivres  du  bord  lui  fussent  accordés,  
 comme  aux  deux  autres Anglais,  durant  tout  notre  
 séjour  dans  l’île.  Comme  ils  étaient  privés  depuis  
 nombre d’années des alimens habituels de l’Européen,  
 le lard salé,  les  légumes  se c s ,  et  surtout le pain  et  le 
 vin,  étaient  autant  d’objets  de  sensualité  pour  ces  
 trois  hommes. 
 A leur louange à tous trois,  je  dois  déclarer  qu'ils  
 montrèrent un véritable intérêt, particulièrement Singleton  
 , pour notre  triste  position.  Ils  nous  aidèrent  
 constamment de  leurs bras  et  de  leurs  avis  toutes  les  
 fois que l’occasion s’en présenta. Du premier moment,  
 quand je  les consultai  sur le  caractère  et  les  dispositions  
 des insulaires,  ils  s’accordèrent à dire qu’en  cas  
 de naufrage,  nos vies  seraient  sauves, mais  que nous  
 ne devions  pas  nous attendre à  conserver autre chose  
 que les effets immédiatement  à  notre  usage,  attendu  
 que  le navire  serait  sur-le-champ  envahi  et  pillé  par  
 les sauvages,  sans  que  les  chefs  eux-mêmes  pussent  
 s’y opposer,  en supposant qu’ils en eussent la volonté.  
 Certes,  la  perspective  n’était  pas  flatteuse,  et  je  ne  
 pouvais tolérer l’idée  de voir  ainsi  se  terminer  la  glorieuse  
 expédition de  l’Astrolabe. 
 Mes  hôtes  ajoutèrent  que,  depuis  l’expulsion  du  
 loui-tonga,  les  trois  chefs  les  plus  influens  et  les  
 plus  puissans  dans  Tonga-Tabou  étaient  P alou ,  
 Tahofa et Lavaka ;  qu’en conséquence,  en cas de naufrage  
 ,  le meilleur  parti  serait  de nous placer  sous  la  
 protection de  ces trois  eguis. Je  reconnus  la justesse  
 de  ce  conseil,  et je  me  promis de conquérir  d’avance  
 1 amitié des  trois  grands personnages  du pays  par des  
 présens  de pr ix,  et surtout  par  des marques de  confiance  
 et de considération. 
 Le  louï-tonga,  ou  chef  suprême  et  religieux  de  
 Tonga,  se trouvait pour le moment  relégué à Vavao,