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M. Thomas avait, quitté le bord à trois heures, et à
quatre le vent parut varier à l’est. Je crus devoir
tenter un nouvel effort pour sortir de notre situation
désespérée. Il me sembla que les nombreuses et solides
pirogues des naturels, placées devant la corvette,
pourraient, en lui donnant la remorque, nous
être d’un grand secours. Par l’organe de Singleton,
je communiquai mon désir aux chefs de Tonga. Sur-
le-champ Palou y acquiesça sincèrement, et donna
l’ordre aux pirogues de se placer sur les toulines.
Tahofa ne le fit qu’avec froideur, et je suis porté à
croire que, sous main, il donna des ordres contraires.
Quant à l’inepte Lavaka, il regardait d’un air
insouciant la manoeuvre sans y prendre aucune part,
ni probablement aucun intérêt. Quoi qu’il en soit, il
fut absolument impossible de faire placer les pirogues
sur les toulines : il était évident que les naturels ne
se prêtaient que de fort mauvaise volonté à nous rendre
ce service. Ayant reconnu que leur présence ne
pourrait nous être qu’importune, je leur fis signe de
se retirer.
Réduits à nos propres moyens, nous plaçâmes la
chaloupe et le grand canot de l’avant pour faire abattre
le navire sur bâbord, tandis que nous bordions
le petit hunier, et que nous filions à la fois toutes nos
chaines et tous nos câbles par le bout, pour n’être
retenus par aucun obstacle. Puis nous appareillâmes
toutes nos voiles ; les équipages des embarcations redoublèrent
d’ardeur, et la corvette se mit en mouvement.
Voyant qu’elle allait de l’avant, nous nous
crûmes enfin sauvés. Cette illusion dura huit ou dix
minutes ; puis nous restâmes encore une fois parfaitement
immobiles. La sonde jetée de l’avant ne donna
que quatre pieds d’eau, et nous reconnûmes que
cette partie du navire reposait sur le récif. Cette fois,
sans ancres à jet ni grelins et déjà loin de notre dernière
station, je regardai notre perte comme infaillible.
Nous allions bientôt avoir à traiter de noire
propre salut ; car les naturels qui s’étaient écartés de
la corvette, tandis qu’elle faisait route, venaient tout-
à-coup de s’en rapprocher au moment où elle avait
échoué, semblables à une nuée de vautours qui n’attendaient
que l’instant favorable pour fondre sur leur
proie. Sur ma requête, nos trois chefs leur avaient
signifié de ne point monter à bord, et cet ordre avait
été respecté. Toutefois je vis que notre position était
devenue si précaire, que la sécurité de l’équipage me
commandait de traiter sans tarder et d’une manière
positive avec les trois eguis. En conséquence, je donnai
l’ordre à M. Jacquinot d’employer l’équipage à
serrer les voiles, à préparer la dernière ancre, à dé-
p g e r la corvette; en un mot, de l’occuper de manière
à ce qu’il ne pût réfléchir sur sa position. Puis, je descendis
dans ma chambre, en faisant signe à Palou,
Tahofa, Lavaka et Singleton, de m’accompagner.
Pour rendre notre conférence plus solennelle, je
fis asseoir ces hommes devant le portrait du roi que
je leur désignai comme l ’egui suprême des Français,
capable de les récompenser dignement de leur générosité
envers nous, comme de tirer une vengeance
TOME IV . ^