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 signalée  des  excès  qu’ils  pourraient  se  permettre.  
 Puis,  par  l’organe  de  Singleton,  d’un  ton  ferme  et  
 décidé,  je  ne  leur  dissimulai point  que  la corvette se  
 trouvait  dans  la  position  la  plus  critique,  et  que  je  
 m’attendais à la voir couler dans  la nuit ; je leur exposai  
 cjue  nous  pourrions  sans  doute  descendre  dans  
 leur ile les armes  à  la main, braver toutes leurs forces  
 et  leur  résister  d’une manière  victorieuse,  mais  que  
 je préférais  m’en rapporter  à  leur  loyauté,  et me placer  
 avec mes  compagnons  sous leur protection.  Tout  
 ce  que  je  réclamais  d’eux  était de  respecter  la vie des  
 Français  confiés  à  mon  commandement,  et  de  nous  
 garantir  la  conservation  du petit nombre  d’objets qui  
 nous  seraient utiles  dans  notre  nouvelle  position.  En  
 retour,  je  leur abandonnerais  sans  restriction  la  possession  
 des  armes  et  des  nombreuses  richessses,  
 comme  ustensiles  en  fer,  verroteries,  étoffes  et miroirs, 
   contenus  à  bord  du  navire.  En  outre,  je  les  
 priais  d’écarter  de  la  corvette  tous  les naturels  dont  
 l’avidité dévorait d’avance  la jouissance de ces  richesses, 
   et  à  cet  égard je  leur  fis  adroitement  sentir  que  
 leur  intérêt même  se trouvait d’accord  avec  le notre;  
 attendu  que  leur  part  se  trouverait  réduite  à  peu de  
 chose  s’ils laissaient tous  les  insulaires  monter  indistinctement  
 à bord au moment du naufrage. 
 Les trois chefs m’écoutèrent avec  la  plus profonde  
 attention;  ils  accueillirent  avec  beaucoup  de  gravite  
 et  de  dignité ma  proposition,  et  s’engagèrent  solennellement  
 à  devenir  mes  alliés, jurant  de  périr eux-  
 mêmes  plutôt  que  de nous  laisser  sacrifier,  ou  même 
 maltraiter  par  les  autres  chefs  de  l’ile.  Palou,  en  sa  
 qualité  d’orateur,  prit  la  parole,  et  fit  un  petit  discours  
 dont  le  but était  de  me  convaincre  de  la  sincérité  
 de  leurs  sentimens  et  de  l’amitié  qu’ils  avaient  
 vouée aux Français. 
 En effet,  lorsque nous parûmes  sur  le pont,  ils  me  
 donnèrent  à  l’instant  même  une  preuve  authentique  
 de  ces  dispositions. Tous les naturels s’étaient  encore  
 insensiblement  rapprochés  de  la  corvette,  et  leurs  
 pirogues  commençaient  à nous gêner.  Les trois eguis,  
 Palou  à leur tête,  ordonnèrent d’un  ton  ferme et  pé-  
 remptoire  aux  insulaires  de  s’écarter,  et  ceux-ci  se  
 retirèrent  en  silence.  Ce moment  de  crise  était  d’un  
 puissant  intérêt,  et  l'effet  rapide  du  discours  de  Palou  
 nous  donna  une  haute  idée  de  ses  moyens  oratoires. 
 Notre  conférence n’avait  guère  duré  que  vingt minutes, 
   et je m’étonnais  déjà  de n’avoir point  entendu  
 les  secousses  du  navire  talonnant  contre  le  récif.  
 Mais  lorsque  je  revins  sur  le  pont,  ma  surprise  
 fut  au  comble,  en  voyant  ce  qui  s’était  passé durant  
 mon  absence.  Au  lieu  de  nous  trouver  éloignés  de  
 trois  ou  quatre encâblures de  nos amarres,  comme je  
 le supposais,  le  courant  directement  opposé  à  notre  
 sillage  avait  presque  entièrement  détruit  la  marche  
 de la corvette,  et nous  avions à peine bougé de place.  
 M.  Gressien, jetant  les  yeux  autour  du navire,  avait  
 reconnu nos bouées à peu de distance; M.  Jacquinot,  
 sans perdre de temps,  avait  fait porter un  bout d’aus-  
 sière  sur  une  de  nos  chaines,  et  le  navire  avait  été 
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